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dimanche 31 mai 2015

La beauté

Sans doute le fait d'être un peu vide, et même vidé, vacant. Un peu ravagé aussi, comme un champ de bataille, j'étais, après être passé sur le billard. Et huit ou dix jours après, j'ai pris ces deux grandes claques de beauté qui m'ont fait sentir que je n'étais pas que de la peur et de la douleur. Je n'avais rien fait  pour mériter cela. Juste pris un abonnement avec des CD en cadeau, juste tendu le bras dans la médiathèque trois semaines plus tôt.


Les images sont toujours magnifiques
 
 Il y a longtemps que j'aimais son nom qui sonne si bien : Joyce Carol Oates. A la médiathèque, elle se trouve sur un des rayons du haut, qui s'offrent toujours à mon regard . Mais elle a écrit des tartines, et les écrivains prolixes, ça finit souvent par faire de la merde qui fait du cash. Ou alors, il y a simplement une part de déchet en tout. Mais la Joyce, le premier bouquin d'elle que je lis tape dur. La fille du fossoyeur, un titre un peu … Mais bon ! La quatrième de couverture m'avait incité à garder cet ouvrage quand même, et il m'a accompagné à la clinique, où j'en ai juste grappillé quelques lignes, à toutes petites gorgées. J'avais à faire, notamment à souffrir. Le Paasilina passe mieux que la Oates, en début de convalescence, c'est évident. Comme le pantalon de survêtement, qui va mieux que le jeans qu'on ne pourrait fermer d'un seul un bras … Mais je m'égare. Et pas de gare, ce roman : c'est un apprentissage, c'est plusieurs vies, c'est l'histoire au XX ème siècle, les vies brisées par l'émigration hors d'Allemagne ; c'est dense.

Bref, je l'ai terminé, mais il est à lire encore, par vous, si vous ne connaissez pas cette dame. Et pour me reposer de ma séance de paresse engagée depuis des semaines, j'ai regardé un film sur CD. Eh bien il ne s'y passe rien, avec une beauté, une lente beauté, une intense beauté qui émeut aux larmes même un vieillard aux yeux secs. In the Mood for Love doit vouloir dire "partants pour l'amour" ou un truc approchant. Mais ils ne partent pas vraiment, mais ils sont éblouissants, mais ils sont si beaux.

In the mood for love ...

Terminer ce livre, voir ce film, cela faisait beaucoup pour un convalescent encore fragile. Tant de beauté dans les livres, tant d'émotion dans les chefs-d'œuvre cinématographiques ... encore heureux d'avoir si peu d'oreille, car ce sera déjà un crève-cœur que de mourir sans avoir lu tous les bons livres, et vu tous les bons films. Si j'aimais la musique autant que les livres, je courrai chaque jour à la recherche d'un élixir d'immortalité.

jeudi 28 mai 2015

Ma poupée-garçon



Quand on naît dans le genre masculin, on est condamné à un profil et à un destin XY. Comme les géomètres ? Sans doute est-ce pour cela que j’ai tué des milliers d’indiens, que j’ai gagné plein de guerres avec des pistolets en plastique et des sabres du même métal, grâce à un courage illimité, pendant que ma sœur couvait ses poupées. Pff, la fille !
 
Une fois pourtant, je me suis égaré sur la route du genre. Je me souviens très bien, même si j’étais vraiment petit ; c’était bien avant l’âge scolaire. J’avais adopté, sans doute trouvée, une poupée. Babeth, ma grande sœur, se moquait de moi, et ce fut plus terrible encore quand ma maman et ma grand-mère me raillèrent. "Tu joues avec une poupée ?" J’avais défendu bec et ongles mon honneur de garçon … Et ma poupée, je m’en souviens encore, cinquante cinq ans après ! "C’est  une poupée garçon !" Je revois les images de la cour de la ferme, et ma poupée-garçon. C’était en fait un garçonnet de vingt centimètres de haut en short, bien dégradé d’ailleurs. Il était en caoutchouc, mais n’émettait plus le moindre pouet ! pouet !  quand on pressait son corps.


1000 fois moins beau que celui-ci ...




Je ne me rappelle pas d’autre entorse, et l’école a dû finir de me formater en garçon-garçon. Il s’écoula ensuite  bien  dix  ans avant que je ne recommence à jouer avec des poupées. Des « en vrai » qui  me fixèrent radicalement dans mon genre. J’ai toujours conservé depuis de vrais jeux de garçon. Les jeux, les injonctions parentales, puis sociétales, nous installent dans notre genre. Et les hormones, évidemment. Je suis resté jaloux des filles quand même, qui parlent mieux que nous de davantage de choses. Mais bon, elles ne pissent pas debout, non plus. Qu’adviendra-t-il, grâce à ce chemin que l’on commence à ouvrir  pour les bambins, un chemin moins marqué de prédestination, à l’école, et aussi à la maison où le partage des tâches s’installe ? Du bien, en général. Peut-être un inconfort pour quelques-uns et quelques-unes, qui ne seraient pas survenus à la mode ancienne, quand on avait besoin de bonne chair à canon, et de reproductrices compétentes. 

Comment sera le monde des garçons demain ? Je pense à des activités principalement masculines, comme la chasse que je pratique assidument. Une quasi parité s’installera t-elle ? Je pousse l’amour de mon art jusqu’à fabriquer moi-même les cartouches de mes carabines, et je ne connais encore aucune dame qui le fasse. En France. Cela viendra t-il ?
Renaud disait - je crois - dans une chanson, qu’une fille valait toujours mieux que son frangin. Ou un truc comme ça. Les garçons me semblent aussi avoir davantage besoin d’une passion, alors que les filles sont davantage touche-à-tout. Le foot, la chasse, le bricolage ou la photo sont-ils là pour combler un vide ? Ils sont probablement des territoires de substitution, qui remplacent ceux que nous n’avons plus à conquérir. 

Déjà que nous ne sommes pas purs, car croisés X Y, serions nous incomplets, en plus ?

jeudi 14 mai 2015

L'embouteillage du mercredi




C’est rare le mercredi, les embouteillages monstres à Paris. Le vendredi soir, oui … Jamais je ne vais à Paris, du coup. Et surtout pas en voiture. La mienne est toujours crépie de bouses de vaches, d'ailleurs. Ça surprendrait son parisien, cette particularité qui découle bêtement du croisement quotidien de vaches laitières se rendant au pâturage. Pas croisées cet après-midi ; il faut juste viser un peu les horaires. Avoir son fromage salers à 200 mètres a sa contrepartie.


Mais où vont-ils tous ?


Mais je m’égare (de Lyon, autrefois). Je roule dans ma campagne, ce mercredi. Une journée chargée : kiné, puis coiffeur. C’est chargé, deux rendez-vous, pour un retraité tout nouveau, porté sur le glandage et l’introspection. Demain, aussi, bibliothèque, et chaussures. Deux grosses heures en ville, plus le trajet. Mais jamais d’embouteillage, heureusement. Sauf les vaches. Et vendredi, je cuisine ... Une fin de semaine presque agitée, non ? "Plus de 200 kilomètres de bouchon à seize heures à Paris", répète France info, et pas un mot sur les manifestations qui doivent être la cause. Et soudain, mais oui Bordel !

L’Ascension ! Qui me précipite dans une situation délicate. Et comment je fais pour la bibliothèque avant le départ en vacances, moi ? Mes chaussures ? Que la vie m’est dure tout à coup. Être retraité, en perpétuel week-end, et agnostique par dessus le marché, ça conduit à de drôles de choses. Car le mois de mai, j’adorais ses ponts. Et ils ne me surprenaient JAMAIS.

mercredi 13 mai 2015

A la recherche d'un agneau



Dans la famille mouflons,  je voulais un agneau. J'avais photographié les papas, que j’ai un peu partagés avec vous. Et pour ça deux sorties en montagne... La première, il y a deux jours sous des auspices rêvés. Car en buvant une bière en terrasse au village, en papotant et en jumelant, je repère quelques mouflons, qui ne sont pas des béliers. Ça commencçait fort !

Et ça finit moins bien ; même si je trouve, en prime, la troupe des béliers en montant. Ont-ils envoyé un texto aux brebis ? Diane est-elle fâchée contre moi ? Ont-ils perçu une effluve de mon parfum White Eternity ? Toujours est-il que je me contenterai du bonheur de la poursuite sans la joie du partage de belles images. J’ai quand même fait des photos lointaines de béliers, de biches … Je rentre fatigué.

Douze béliers ... M'ont-ils dénoncé ? Je ne trouverai pas les femelles


Et j’y reviens le lendemain après-midi. Sans finasser, j’attaque la montée, et ma foi, je souffle rapidement comme un phoque qui remonterait des abysses les bouteilles d'oxygène vides. Mouche sur le gâteau, et non cerise, je trouve bien vite dans mes jumelles à 600 mètres, ou 800, une tête cornue sous laquelle il y aurait, oui, le corps d’un mouflon couché. Si je l’ai vu, alors il me sait là. Un mâle assez jeune. Je réunis autour de moi mes envies d’agneau, mon expertise de chasseur, ma carcasse déglinguée, pour définir un plan B gagnant.  Une boucle de deux bons kilomètres très raides me permettrait de les contourner. Filer à 90 degrés en direction du col et rechercher à nouveau les femelles dans la même zone que le jour précédent ? Faire une très légère boucle, revenir par là où le terrain me masquera de leur vue me paraît le meilleur plan. Le moins B, d’ailleurs puisque je garde presque la trajectoire initialement prévue.  Une petite heure après, appareil photo armé, je pointe la tête, essoufflé et content. Puis juste essoufflé. 

Gentiane printanière, ma fleur préférée, je crois ...

Pas le moindre bélier, juste là … Il est six heures, la lumière va baisser, et baisse déjà. Je fais mon deuil de LA photo d’une tête de bélier plein cadre, quand je distingue une course, je saute sur l’APN. Ce que j’avais cru être des mouflons n’est qu’un cerf, puis deux. Une seconde tête, et une première qui sont au début de l’exercice de refait.

Mais ce matin, en repassant mes photos, je vois que j’ai attrapé à mon insu un agneau, à peine visible. Bon vous avez droit une focale 900 mm et une image sévèrement croppée. Mais un de ces jours, je vous en offrirai une belle … Ou pas.

A gauche, un cerf, seconde tête en refait, et tout à droite ... un agneau de deux mois maximum et quatre kg environ !
 
A bientôt pour une autre balade au paradis, si vous aimez.

dimanche 10 mai 2015

Le rêve récurrent de Joyce Carol Oates*




Elle est dans une ville étrangère. Elle y a une chambre avec son mari, où ils doivent se rejoindre. Elle marche seule dans la ville. Mais elle n’arrive pas à cet hôtel, et a  terriblement peur de ne JAMAIS y arriver. Cela semble impossible de retrouver son mari … Cet écrivain (je n’aime pas écrivaine) a fait ce rêve de perte des centaines de fois dans des déclinaisons proches.



Beau comme un rêve de lévitation

Il en est un étrange qui a accompagné toute ma vie d’adulte, aussi. Des dizaines de fois, il m’a réveillé. J’y fais une sorte de bilan de ma vie, je m’aperçois que le temps a coulé, coulé … Que je suis déjà adulte, ou mûr déjà, ou âgé désormais, mais que je n’ai rien fait de ma vie personnelle. Je suis seul, absolument seul sentimentalement, je n’ai pas d’enfant. Pire, je n'ai rencontré personne, et je ne rencontrerai plus personne maintenant. J’ai gâché et perdu ma vie. Et il est trop tard. 

C’est si douloureux que cela me réveille et que je reprends péniblement contact avec la réalité. C’est bien ma femme qui dort près de moi. Et j’ai un fils ! Ouf !

Petite tristesse quand même dans la délivrance : j’ai en général cinq ou six ans de plus que dans le rêve. On ne peut pas tout avoir, décidément.

* Ecrivain américain contemporain, elle a beaucoup produit. Des nouvelles, des livres magnifiques.


vendredi 8 mai 2015

L’homme qui ne voulait pas "trop" être heureux



Quand je l’ai croisé pour la première fois je crois bien que nous nous somme plus, moi tout jeune adulte et lui dans la fin de l’adolescence. Ce que j’aimais le plus chez lui, c’était quand même sa grande sœur. Les petites n’étaient pas mal non plus. Mais là, je m’égare …

Il a grandi, travaillé, fêté, bringué, créé. Et je l’ai vu, suivant sa trajectoire,  rencontrer une fille superbe qui est  aussi une belle personne, créer son entreprise pour l’indépendance qui lui était vitale, y réussir, et fabriquer à temps érotique et pas perdu  de beaux enfants. L’image du bonheur, non ?

Bientôt prêt ...



Vingt-cinq ans plus tard, son épouse est toujours adorable mais il ne se dit jamais heureux. Sa maison s’est embellie, sa famille l’aime, mais il geint. Il est reconnu pour son adresse, sa compétence, sa bonté, son humour, mais ça ne va pas. Il a des amis, mais ça ne suffit pas… Tandis que ses enfants étudient et deviennent des adultes épanouis, son inaptitude au bonheur s’entrechoque bizarrement avec la facilité qu’il a à faire du pain dans un four à bois qu’il a construit de ses mains, ou avec son adresse à pêcher de délicieux poissons dont il me régale parfois.

Imaginez l'odeur de ce pain, bio, évidemment

Il me semble avoir observé cette peur du bonheur, par chez moi, comme on dit dans le Cantal. Comme si la douleur de perdre forcément un jour ce que l’on a justifiait de ne pas en jouir. Le bonheur, pourtant, ça ne peut pas s’économiser pour plus tard. C’est à prendre, et à ne pas laisser.  

Vous avez pensé, peut-être qu'il a un métier pas rigolo ... Bourreau ? Tueur dans un abattoir ? Thanatopracteur ? Ben non, il fait pousser des parcs et des jardins ; il a les mains vertes, en plus.