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jeudi 28 janvier 2021

Do it moi-même

Au moins l'un d'entre nous, et sûrement le meilleur, se souvient de la tragédie des ambisenestres, illustrée par un auteur aujourd'hui oublié, dans un texte jamais ouvert par quiconque: "https://blancchasseur.blogspot.com/2016/02/handicap-vivre-avec-deux-mains-gauches.html".


Le dernier et terrible attentat du "Do it moi-même" contre ma personne et mes biens, que je me dois de relater au monde, encouragera celui-ci, je l'espère, à envoyer un peu de flouze à ma fondation "Born wizz 2maingoch" qui lutte sans espoir mais sans renoncer, et avec d'énormes frais généraux.

Voilatypa* que mon téléphone plutôt chic (un smartphone, dit-on en général) donne le signe d'un manque d'énergie. Que nous connaissons souvent en fin d'hiver, et que l'on combat d'une cure détox. Mais là, c'est un téléphone, et aussitôt mes recherches investissent, contournent, encerclent la toile. Quand je me fends enfin de mon numéro de carte bleue, l'affaire est comme réglée.


Ma boite aux lettres recèle le surlendemain *** une enveloppe-colis qui contient la solution**. Certes il restera à installer cette batterie dans le téléphone. Des ballons ! Euh non, déballons. Cette batterie est accompagnée de micro-outils forts sympathiques, mais dont la dangerosité ne m'échappe jamais. La notice est juste un lien qui dit qu'il faut trouver la notice du téléphone, qui ne dit rien d'autre que de faire appel au SAV. Une autre recherche, sous un autre angle, dit qu'il faut, dans les téléphones de dernière génération, trouver l'astuce pour les ouvrir. Malgré cela, un temps de 20 minutes seulement est requis, que j'ai dépassé par mes seules recherches.


Peur de rien, je n'ai. Et j'ouvre les emballages. Jolis les outils ! Ah ! La batterie dans un plastique, elle-même dans un plastique mou et noir, bien collant et bien protecteur. La classe ! Lui-même, comble du raffinement, inclut la petiote tirette qui va permettre de l'ôter sans peine. Comme les chewing-gum. Faut tirer comme un dingue ! Et bien sûr, ça casse. Le canif, alors ... Oukilé ?


Et bien sûr "ça" casse  


Je sens poindre progressivement un sentiment d'étrangitude bien connu .. Cette languette, bizarrement dorée de l'autre côté, servait-elle vraiment à ca ? N'était-ce pas, plutôt que pour ôter cette enveloppe, la connexion de la batterie ? Damned, je viens de rendre définitivement ma nouvelle batterie inutilisable.


Ca aurait pu être pire, évidemment. J'aurais pu passer une heure à ouvrir le smartphone d'abord, plus avoir à soigner des entailles aux doigts ... Voire j'aurais pu détruire le smartphone en essayant de l'ouvrir. Là j'ai tout flingué en moins de trente minutes. C'est presque de la productivité, je n'aurai qu'à le jeter.



* forme adverbiale du verbe intransitif "voilatyper", du 1er groupe, qui ne signifie rien. Alors qu'il devrait, il est payé pour ça.

** mélange homogène

*** pour les malcomprenants, ce n'est pas le surlendemain qui est dans la boite, mais l'enveloppe-colis, OK ?



dimanche 17 janvier 2021

Où un sanglier "débondit" !



Ayant mal dormi, je me levai ce dernier jour maigre avec des idées bleues dans la tête et une météo neigeuse et froide tout autour. Le petit message d'Erwan "pas mal d'invités ce WE, beaucoup de chiens … il me tarde" a pour effet quasi immédiat de réaligner les astres.

Je pars dévaliser mes voisins producteurs de fromage, je recompte mes 8 cartouches de 308 W et j'imagine des stratégies autres que la tenue de pêche "- 20 " pour échapper au froid annoncé.

7:01 le samedi. Il bien fait un froid de chat, je décide de porter des chaussures de glacier plus isolantes et grandes et grosses chaussettes. Au bout de 2 km, ça ne va pas. Non je n'ai pas marché 2 kilomètres, j'ai roulé deux kilomètres ! Je quitte les Asolo au profit de mes chaussures de marche habituelles tout en gardant les super chaussettes. Soixante kilomètres après, je déclare ces chaussettes définitivement trop épaisses et je repasse dans la configuration temps doux. Mais d'où exactement ? Car je suis passé de – 8° au départ à – 4° ou - 5°. Je pourrais remettre les Asolo sur chaussettes normales 30 km plus loin, mais ça ira comme ça, hein …


10:27 Arrivée à la cabane, je ne suis pas premier.
Deux chasseurs masqués m'y saluent. Arrivent encore deux ou trois autres. Je grignote un rien de saucisse sèche et de salers, puis nous nous retrouvons en plein air pour le rond de 11 heures. Nous devons être une belle quinzaine de chasseurs et à peu près autant de chiens, ce qui marque une nette rupture de la corrélation qui se vérifiait depuis les grands froids entre température et participation. Le biais aujourd'hui,  c'est les invités.

12:25 De mon mirador, où je fus récemment l'utilisateur malheureux d'une cartouche de contrebande (je manquai le sanglier😕), je domine le monde de plus d'un mètre cinquante, et je gave mon chargeur bien que je le soupçonne de faiblesse pour la montée des prunes. De toutes façons, il y a vingt mètres de traversée de la combe, et c'est la première balle qui compte. Deux équipes de chiens sont lâchées concomitamment sur deux pieds relevés par Erwan, pas très loin de mon poste. Un pied, c'est une trace, une odeur, bref une voie prometteuse relevée par les piqueurs aux aurores avec un chien de pied.

Si mes souvenirs sont bons, le premier lancer intervient presque aussitôt et un bon 70 kg emmène les chiens avec maestria ; Sylvain ne tirera pas en raison de la proximité des piqueurs et la menée va à la rivière Célé. Pendant que cette musique s'éloigne une seconde fanfare enfle et approche, je me retourne pour faire face, prêt à épauler, et ça approche, et ça approche …. Et « ça » sort pile où portent mes yeux. Le sanglier, 40-50 kg, bien noir, pas forcément un habitué des lieux, traverse à donf à 40 ou 45 m, accompagné de mon réticule. Je lâche une balle jugée parfaite dans un geste jugé parfait, au moment où le sanglier bondit vers la végétation. Il débondit mystérieusement, semblant faire le saut à l'envers … « Touché ! » me dis-je, en repensant à une chevrette qui avait débondi ainsi, privée il faut le dire d'une bonne part de ses entrailles par le projectile. Le sanglier se rapproche de moi, de l'autre côté de la combe, pour embouquer une autre draille.

La seconde cartouche a bien voulu monter, c'est confirmé par le bruit du second tir, mais pas par son effet. Je viens, à environ 25 mètres de tirer à nouveau sur le sanglier "forcément blessé mais qui ne le montre pas". Il prend une autre draille pour remonter dans la côte de Cuzals. Comment j'ai pu rater cette seconde balle ?  le point rouge du réticule était bien, j'ai appuyé à la perfection ... La musique formidable des adorables griffons traverse avec eux la lande et embouque la draille finalement choisie par le sanglier. Mais la meute s'arrête pour un ferme * soudain, qui ne bouge pas. Un ferme sans bagarre. J'avais donné "40-50 kg" au piqueur inquiet à la radio. Mais il est mort! Pas le piqueur, vous suivez jamais ...

J'en déduis qu'il a probablement deux balles, ce sanglier mort 30 ou 40 mètres après le second tir. Je suis sûr de la première balle, la seconde était à peu près immanquable. Je vérifie que mon montage de lunette est bien enclenché, qu'il n'a pas sauté, car il n'y a pas eu l'ombre d'une réaction au tir à 25 mètres...






13:05 Il n'y a qu'une balle dans ce sanglier, elle a percé les deux poumons. Et rien n'explique le rebond arrière du sanglier ... Jusqu'à ce qu'Erwan m'assure qu'il y a un muret sous la végétation. Ce sanglier, probablement peu familier des lieux, a emprunté une mauvaise refuite.

Mon succès doit beaucoup au pied d'Erwan, aux griffons enthousiastes d'un invité, et encore plus à un muret !

L'après-midi sera génial, de menée en menée après un buisson creux. Je suis longtemps aux Quatre Combelles, sur ma pyramide, face à la crête où se rapprochent ou bien s'éloignent des menées très chaudes. Un 4 x 4 d'une commune voisine vient faire demi-tour, d'autres véhicules amis des piqueurs passent 😡, et aucun sanglier ne descendra, alors que j'y ai cru souvent. Quatre ou cinq chasseurs auront des occasions de tir.

Quinze balles tirées en tout pour la journée, pour un unique sanglier mort. Super débriefing empreint d'une exceptionnelle bonne humeur d'avant COVID, et la route.


Mais ce n'est pas terminé, la suite est sans débond, rebond ou faux bond cette fois, mais avec petite mort, dé-mort, et re-mort. Mais avant cet autre week-end,

entre le début de la semaine précédente et le fond du garage, j'avais épilé la teste du joli petit mâle au chalumeau , moultes fois brûlé et brossé. Avec un désherbeur thermique à gaz, et une lampe à souder pour finir. Mais il n'avait pas parlé, le bougre. Le pâté de tête par contre, s'est exprimé au mieux. J'en craignais un goût d'hormones - c'était un garçon, c'était janvier- et il a été un chef-d'œuvre d'équilibre. J'avais ainsi franchi l'étape du feu sans me brûler, l'étape du partage en quatre de la hure à la hache sans me blesser, l'étape de la cuisson sans m'ébouillanter ... Quatre bocaux stérilisés, deux petits saladiers de délices étaient autant de drapeaux flottant sur une victoire totale et sans pertes.

Fallait-il dans ces conditions risquer mes extrémités jusque là préservées, et m'attaquer à un montage sur écusson des grès et des défenses ? Qui commence par un démontage, une opération périlleuse qui fait hésiter les plus grands chirurgiens … Les encouragement facebouquins m'y poussèrent, une défense craqua 😕 , l'autre pas 😊 , et les grès vinrent de bon … Oui, c'était facile. M'enfin, c'était presque bien, hein. Mon sens artistique me disait que ce rondin qui trainait par là était parfait … et comme ma tronçonneuse trainait aussi ... Arf ! Blanc sur blanc, même si le pouer  (mot breton pour cochon) avait une hygiène dentaire discutable, ça n'allait pas …

Je trouvai dans mes affaires de chasse une fiole d'un produit à colorer les bois, acheté autrefois pour une crosse de Mauser dont je fis finalement du feu. Teinte plus rougeaude que brune. Mais bon. Enfin, lampe à souder et colle à chauffer pour consolider les dents, et pour les fixer à leur support. J'étais plutôt content mais les avis sur l'œuvre se sont trouvés sacrément partagés, entre moi qui trouvais ça pas mal du tout et le reste du monde qui jugeait la chose ratée par la couleur, ratée par le collage, raté par le choix du non-ponçage du bois. Dégueulasse, en fait, pour faire court. Tout' façon, ce sera dans une pièce que je suis seul à fréquenter. Mon pouce entaillé est la seule chose sur laquelle on s'accorde.

l'œuvre artistique contestée mais qui conservera la mémoire de ce sanglier


Et ce samedi, après deux semaines à laisser refroidir le canon, je retourne dans le Lot joli, adoré et arrosé comme jamais.

Et je franchis d'abord l'inondation de la rivière Cère dans de grandes gerbes d'eau, comme une bande de jeunes bouffeurs de chewing-gum à moi tout seul. J'avais prévu pour la suite un équipement de quasi scaphandrier tant le ciel tombait. Nous nous retrouverons à sept nains jaunes ou huit seulement, tous piqueurs ou faisant le pied en gros, sauf moi. Je suis donc le seul à être encore totalement sec à onze heures quand nous faisons le rond.

Par chance, plusieurs pieds ont été trouvés dans une zone restreinte. Vers Soulhol, si vous voyez. Pas loin des Quatre Combelles, ma pyramide, d'où je manquai un sanglier dont le rire moqueur retentit parfois dans ma mémoire.

Deux menées empaument des voies différentes me semble t'il *. C'est féroce sur ma droite, à 300 ou 500 mètres, difficile à dire avec le casque amplificateur, peut-être plus près, et c'est discret, mais stable au loin. Et P...de m..., un 4 x 4 de piqueur passe sous moi :evil: . Comme c'est un invité, ma colère se mue en simple énervement, ses chiens mènent assez loin d'ici si c'est eux que j'entends …Trois coup de 300 W violents éclatent, les deux derniers se touchant, là où les chiens étaient les plus crieurs. La radio annonce qu'un beau sanglier mâle est tombé. Bien armé, il se relevait, le re boum-boum était pour préserver les chiens. Il reste au moins une menée, assez loin encore, et Erwan à la radio, lance bientôt un " Attention au 4 Combelles !". Gloups, c'est moi ! Je me pose sur la marque rose au sol faite par Laurent, qui établit the place to be, et je suis là frétillant, inquiet, attentif … Où va t'il sortir ? Il doit bien s'écouler 15 minutes avant que ne jaillisse à quarante mètres une bête de, mais sans compagnie ***.

Où ça se passe


Mon tir en fort surplomb intervient à trente-quarante mètres et semble mortel... jusqu'à ce que le petit bestiau qui me paraissait sur sa fin, se relève et prenne la poudre d'escampette : je fais causer la poudre d'escopette, et la seconde balle 15 mètres plus tard le foudroie. La première est entrée en haut de l'épaule et ressort nettement plus bas un peu en arrière, et c'est surprenant qu'il ait pu repartir, la seconde est à l'arrière du crâne. Les balles monométalliques manquent parfois d'immédiateté, mais pas dans le crâne.



Les chiens sont arrivés à la mort


On remettra les chiens sur les pieds, sans lancer d'autres sangliers, et la dernière traque, je devrais l'abandonner à seize heures, car à dix-huit, le Kodiak se transforme en citrouille.

* Il y a ferme quand le sanglier blessé ou pas fait face aux chiens. Un moment redouté pour les chiens.
* ne pas trop se fier à mes impressions.
*** la bête de compagnie a de 6 mois à un an, vit en général dans une compagnie.

mardi 8 décembre 2020

Un pied dans l’hiver (by Josero)

Loulle, c'est son prénom, un diminutif provençal de Louis, je crois. C'est un déjà vieux viticulteur, dans sa ferme, chasseur aussi.  Fine, c'est sa femme : Delphine ? Joséphine ? Loulle est, je crois, vaguement dépressif, parfois, et presque toujours misanthrope. Josero, qui écrit ces textes, lui ressemble peut-être un peu. Il en parle si bien,  si rarement, et ne veut pas publier ses perles. A ma demande, il a bien voulu qu'elles viennent enrichir  mon blog. On trouvera pas mal de mots provençaux, et d'expressions provençales. Leur traduction, pas forcément.


Troisième texte de Josero


Quand Les jours baissent et s’assombrissent au rythme des pas lents d’un automne qui ne veut pas rendre grâce, et qu’on surprend au hasard de quelques matins, une gelée timide qui s’accroche aux champs ensemencés et les baigne de blanc, alors le temps des heures noires arrive. Les ciels de novembre qui ont connu les combats violents des nuages de la Toussaint, se parent maintenant de mauve quand le soleil les quitte, et la tristesse se blottit dans des replis secrets au fond des maisons , où soupire la marmite de soupe. Le feu qui s’agite sous la braise fait éclore des images changeantes, et une étincelle qui s’envole et meurt dans le puits de l’âtre noirci, installe dans le cœur des hommes une sourde mélancolie.

La grosse horloge comtoise distille les heures et les minutes, calée contre un mur qu’elle croit retenir, dans sa vanité d’horloge qui mesure le temps et qui pourtant le laisse s’enfuir. L’écran de la télévision lance des éclairs d’images, ritournelle incessante des informations, qui à longueur de journée, plongent les humains dans la morosité.

Loulle n’y prête pas attention. A quoi bon ? Fine lui fera le résumé ce soir. Lui, il rêve. Aux jours disparus. A ces jours où il pouvait aller et venir à son pas, boire un coup avec cette main d’amis qui lui restent, regarder les matins s’éveiller au  chant du coq, et surprendre la nuit qui vient  poser sa patte de velours sur la terre qui l’engloutit. Une bélugue (étincelle) plus grosse et plus vaillante que les autres, lui rappelle l’éclair du coup de feu faisant bouler la lèbre imprudente au détour d’un regain.

Mais la chasse est finie. Celle pour de vrai.  Parce qu’il pourrait y aller à l’autre, celle qui t’apporte le frisson de l’interdit. Celle des nuits avec ses lunes blanches qui transforment tout. Ces silhouettes d’arbres qui deviennent menaçantes, ce grincement soudain des branches qui se battent entre elles, font battre le cœur plus vite et plus fort de celui qui par mégarde, se serait attardé au creux de ce chemin qui lui semble interminable maintenant,  frissonnant au grognement des sangliers en maraude, au miaulement plaintif de la matchotte, et à la nuit, qui prend tout dans sa main noire et lui fait hâter le pas vers les lumières du village qui lui font signe au loin.

Loulle n’a jamais craint la nuit. Pendant longtemps elle a été sa complice, sa maîtresse. Tuer un sanglier à l’espère ne lui a jamais fait reproche. Car dans ces pays, loin des foules qui se repaissent de bruit dans la laitance brillante des néons et des enseignes, le braconnage est tatoué dans les gênes. Ce n’est pas pour en tirer profit, non, c’est juste cette espèce de plaisir confus que l’on ressent à la vue du chevreuil qui vient au gagnage, ou du lièvre qui s’affole à l’ombre fluide du renard, et derrière ça, la peur de se faire prendre, qui tord les tripes langoureusement.

Mais en ces heures troublées, ils sont nombreux à se blottir derrière un cade ou dans un fossé  à serrer le canon froid du fusil, essayant de trouer les ténèbres d’un œil inquiet. Alors il a abandonné ses nuits coupables car il ne voudrait pour rien au monde, croiser quelqu’un à l’orée du bois. Et puis, le cœur n’y est plus, cette saloperie de virus n’a pas tué que des gens. Il a tué la convivialité en distillant chaque jour la peur d’une maladie inconnue 

Lui il n’a pas peur. Comment tu veux qu’il la chope la Covid ? Déjà qu’en temps normal il voit pas grand monde, alors là ! Le village est lugubre. Seules les lumières des maisons font savoir qu’il y a encore des vivants.



Il sursaute car le feu se met à pétarader comme un fada. Ségu que Fine vient d’y mettre une branche d’aubépine. Ce bois il pète et il pue. En plus, il est plus dur que le fer, alors avant qu’il flambe en entier, il va empester la maison. Il a du s’endormir car il n’a pas vu Fine mettre le soucaoù (souche) d’aubépine. Celle là, elle fait toujours ses coups en douce. Il ne lui dira rien. Pas de reproche. Le temps n’est pas aux disputes. Surtout pour un morceau de bois.  Faut dire aussi qu’il est contrarié. Demain, ses amis et tous les autres à qui il ne parle plus, vont chasser. Faut tuer du sanglier, c’est le gouvernement qui les oblige. A ce qu’il paraît.  Bon, d’accord que lui à la battue il n’y va plus. Mais il ressent comme une envie.  Les choses c’est quand tu peux plus les avoir que tu les veux encore. Ce qui le console un peu, c’est de ne pas participer à tout ce cirque. Et je mets un masque, et je me tiens loin des autres. Je mange tout seul comme si j’avais le choléra. Parce que ce virus, c’est pire que le choléra !  D’accord qu’il a pas connu ça, mais il en a entendu parler.

Alors chasser avec toutes ces choses qui t’obligent, il a pas envie Loulle. Déjà qu’en temps normal il aime pas être obligé, là il supporterait pas cette ambiance. Ca le console un peu d’échapper à cette mascarade, c’est le cas de le dire ! Admettons que demain en entendant les chiens, il lui prenne mal. Comme un malaise, comme un drogué en manque. Hè bien, il partira s’occuper ailleurs. Même si le travail est fait depuis longtemps, il ira tè..il ira.. Ségu qu’il le sait pas. Et puis, de n’importe quel endroit du pays, il va les entendre les chiens. Et les pétarades ! Imagine qu’ils fassent le domanial, encore que c’est pas une bonne idée.  Il n’y a pas un seul morceau de culture. Mais bon, admettons. Encore qu’il aurait son mot à dire là dessus. Pas forcément écouté, mais il l’aurait dit. Il serait alors allé se poster à la barrière, là où il avait tué ce sanglier presque blanc. En fermant les yeux, il le revoit ce vieux mascle, sortir des lambeaux de brume pour aller vers sa destinée.

Daïze (attention) Loulle, tu pantailles (rêves) de trop. A la battue, tu n’y vas plus. Pas la peine de pleurer sur ton sort. T’as choisi. Mais des fois, tu choisis forcé. Il aurait pu continuer, mais alors il aurait fallu qu’il se taise. Et lui, se taire il sait pas. Alors il a préféré renoncer à ces matins où en buvant un mauvais café, on plaisantait en critiquant les maladroits, ces moments de partage d’une amitié pas si profonde que ça en vérité, mais qu’on faisait semblant de croire. Et ces heures passées au poste, guettant le moindre bruit, le cri de victoire d’un chien qui avait trouvé, la branche qui craquait sous la patte de l’animal, l’ombre noire fuyant au travers des buis, ou sortant brusquement de la barrière des chênes verts, tout cela s’est enfui.

Alors quand plus rien de tout ce qui fait le bonheur de chasser n’existe, autant tourner le dos aux souvenirs.

Et faire face à un avenir de plus en plus sombre.

mardi 17 novembre 2020

Déboires d'un braco

J'aurai aimé titrer Boire et déboires d'un braconnier  !  Non, bien sûr, je n'avais rien bu, sauf un petit verre de rosé bien frais à la fin de la chasse. Mais c'est joli, ça sonne bien. Une licence sémantique pour donner envie de lire ce récit. Et délire. D’ailleurs je ne venais ni pour boire, en ces temps d’œuvre d'intérêt général, ni pour braconner, même si avec l'âge, mon sang de Raboliot pourrait s'activer si la transmission génétique intervient en ce domaine.


Deux heures de route (et déroute) avant d'arriver fatigué. Mais Diane m'accompagne, et je tombe sur  Erwan  sur le bord du chemin ; Il veut contrôler un truc sur un pied (trace de sanglier) et en discute avec son grand-père, qui a cueilli un bouquet de baies à destination de ma douce ! Plantes que je vous charge d'identifier, j'ai d'autres chats à fouetter. Je suis René. Mais non, pas born again ! Il me précède, René, tout simplement. Et j'arrive sans misère au lieu de rendez-vous, aussi perdu qu'il soit. La Maison du Roi , rien que ça.

Identifiez !



On reparle à mi-voix de la chienne tuée dimanche dernier par un sanglier. Chacun des présents ce jour-là en est mal remis. Cette artère fémorale saigne encore chez tous les piqueux. Petit casse-croûte tiré du sac et accompagné essentiellement d'eau claire. Trois ou quatre pieds sont annoncés au rond. Prudence et attestations Covid sont répétées par le patron : la maréchaussée quête énormément ses étrennes de Noël chez les fervents de Diane.

Les deux premières traques sont des détraques, avec buisson creux du genre trou noir. Où une compagnie de quinze nous l'a faussée. La troisième traque sera la bonne. Enfin la mauvaise si l'on se place du point de vue des sangliers. Les chiens ont lancé très vite, ont éclaté un peu partout après la première escarmouche qui a laissé un sanglier mort. Ils mènent ou se taisent, mais sont éparpillés. On remet des chiens sur ce pied espéré prolifique. C'est le bintz, si j'en crois la radio. Je suis assis au quasi sommet de la pyramide des Quatre Combelles, moins connue que celles d'Egypte mais tellement plus accessible. Face à moi, la colline où se déroule la traque, plus ou moins cernée par huit ou dix gaillards armés. Derrière moi, un enclos de chasse désert. 

Face à moi la colline


Je bade ... Je rêvasse, quoi ! Mon escalade aussi rude que lente a duré au moins ... vingt mètres. Je me roule une cibiche de récompense en repensant le poste à mulots du matin, en revoyant celui si prometteur de la seconde traque. Nous ne sommes pas bredouilles, c'est déjà ça. La voix d'une menée lointaine, presque dans mon dos, me ramène au présent et me rappelle que je suis à dix pas d'une chasse en enclos. Je surveille un peu ce qui pourrait s'y passer. 

Et c'est à une centaine de mètres que les sangliers m'apparaissent en pointillé parmi la végétation ... Dans la chasse voisine, bien sûr, au plus près de la clôture trumpienne qui nous sépare. Chez nous ? Mais ils sont chez nous ! On ne voit malheureusement pas le grillage parmi les arbres et arbustes … Mais non, c'est pas chez nous... Mais si … Les sangliers s'effacent et réapparaissent au gré de la végétation, venant au galop vers moi. Quarante et soixante kilogrammes pour les gros, plus quatre boules déjà noires mais vraiment pas grosses, suivies à cinquante mètres par un chien appliqué et prudent. Je me lève et j'épaule, certitude et incertitude clignotant encore dans mon cerveau. Et quand ça repasse à certitude, j'appuie. Mais des six bêtes, la dernière tête va s'effacer derrière la végétation quand le coup part enfin. Dedans ?


Arf !!! Je l'ai eu, je crois ! Ousque c'était ??? Peut-être là … Oui probablement là, mais les arbres morts, les souches ne me permettent pas de voir le moindre bout de cadavre. Et ça ne bouge pas. Une balle de tête, évidemment … Mes yeux s'ouvrent grand comme ça quand je réalise que là où je regarde, c'est chez les voisins.

Ma contrition d'avoir trop longtemps hésité, car ils étaient de longues secondes immanquables se fracasse contre la réalité de la grosse connerie. Je me vois déjà piteux, carte bleue à la main, cœur et âme en déroute: « Oui M 'sieur, je les croyais juste cinq mètres devant, donc chez nous, vous savez, c'est ballot, hein ;mais je vais évidemment vous indemniser. Je suis con et confus, vous savez, et trop vieux pour ça, sûrement. Ben non, la clôture on la voit pô depuis là-haut ... Ma vue ? Ah ! Pas bien terrible non plus. » Et tout ça ...

Mon président arrive, je lui conte l'histoire. Il reste présidentiel. Un autre chasseur arrive et re-conte. Déconte, ça marche pas cette fois. Du haut de la colline il certifie avoir vu que les sangliers étaient chez nous. Il a vu ça de quatre cents mètres, il est jeune, il connaît le pays comme se poche, son avis me paraît rassurant mais improbable.

J'escalade deux fois la colline pour essayer de comprendre, et plus je monte, plus je tombe dans le doute. Erwan revient, il a récupéré la chienne devant laquelle étaient ces sangliers. Petit à petit, la certitude se fait que j'étais exempte de toute faute et que j'ai mal tiré. C'est complètement gagné quand enfin mon impact se révèle ! Chez nous ! Et circulaire et profond d'une dizaine de centimètre. 

 Au final, j'ai juste raté un sanglier qui dix  secondes plus tôt, était simplement immanquable ...

lundi 2 novembre 2020

Le sanglier blanc (by Josero)

Loulle, c'est son prénom, un diminutif provençal de Louis, je crois. C'est un déjà vieux viticulteur, dans sa ferme, chasseur aussi.  Fine, c'est sa femme : Delphine ? Joséphine ? Loulle est, je crois, vaguement dépressif, parfois, et presque toujours misanthrope. Josero, qui écrit ces textes, lui ressemble peut-être un peu. Il en parle si bien,  si rarement, et ne veut pas publier ses perles. A ma demande, il a bien voulu qu'elles viennent enrichir  mon blog. On trouvera pas mal de mots provençaux, et d'expressions provençales. Leur traduction, pas forcément.


Second texte de Josero




Un village ...


La nuit tombe. C’est une nuit d’été, et elle vient prudemment, comme si elle ne voulait affoler personne. Une pipistrelle saccade autour du lampadaire qui éclaire chichement la petite placette recouverte de graviers. C’est la canicule.
Un mois de juillet sec comme un coup de trique, a fait naître des vents qui te brûlent la peau à te la faire cloquer. Les blés sont moissonnés. Ils étaient en avance. Les chaumes s’envolent des champs raclés jusqu’à la couenne, se heurtent au gré des vents chauds dans un tourbillon de poussière, et un rayon de lune les fait vivre dans le ciel qui se fane et perd ses airs de pervenche.


Sur la terrasse, assis sur le vieux banc de bois tout de bisquanti, ( de travers) Loulle contemple la plaine. Ce banc, c’est son grand-père qui l’avait fait.
Son père l’avait gardé. Et Loulle pareil.
C’est un banc de famille, quoi !


S’il avait eu un niston, lui aussi se serait assis là le soir, sur ce même banc.
Et lui aussi aurait contemplé la plaine qui fuit et s’en va mourir dans les ombres des bois capturés par les heures qui s’assombrissent, et qui paraissent se suspendre aux créneaux rocheux des Alpes lointaines.


Encore qu’il n’en sait rien de ce qu’aurait fait son fils.
Peut être que cet enfant, il n’aurait pas aimé s’asseoir et contempler. Qui peut le dire ?
C’est pas donné à tout le monde, la contemplation.
Alors, peut être qu’il aurait tout vendu dès que Loulle aurait tourné le dos à la vie.
Peut être aussi qu’il aurait foutu Fine dans une maison pour les vieux, s’il était parti avant elle.
T’en vois tellement maintenant avec les minots.


Putain d’Adèle, Loulle, tu te fais du souci pour quelque chose qui n’existe pas.
De minot tu n’en as pas, et d’un côté c’est mieux.
Même si de l’autre, ça manque.
Un peu, mais ça manque…
Alors reste bien tranquille le cul sur le banc, et contemple !


Une pelote d’étoiles est posée sur sa tête, si profondes dans ce gouffre noir, qu’il te vient le vertige de les regarder.
Fine est venue le rejoindre dans la nuit d’été. Il ont dîné sur la terrasse où on sent toujours un peu d’air.
Tiède, mais c’est de l’air.


Par contre, si tu pénètres dans la maison, il fait frais. Les murs épais de près d’un mètre ont repoussé la canicule, et les pierres qui sont dans ces murs, elles ont gardé leur froideur de pierre.
Pas comme ces maisons nouvelles faites de briques. Dans la journée, les briques, elles te pompent la chaleur.
Et le soir elle te la rendent.


Bon d’accord que Loulle, s’il a pas la chaleur des murs, il a celle de Fine.
On peut pas tout avoir, pas vrai ?


Fine, qui a laissé la bouteille de vin sur la table.
Par habitude.
Et Loulle se sert un canon.
Encore une habitude.
Tout s’est couché sur le beau. C’est pas demain qu’il va pleuvoir, sas !
Le clocher sonne la demie de onze heures.
La cloche, tu l’entends plus trop maintenant. Le maire, il a fait mettre une clochette de merde à la place de celle qui était là depuis la nuit des temps..
Ceux d’en haut, du vieux village, ils se sont plaint. Trop de bruit.
Des pas d’ici. Ils sont arrivés ceux là, du fin fond de leur pays où tu te gèles les roustons, pour manger du soleil.
Ils ont que de retourner dans leur nord où il fait que de pleuvoir, là où les cloches tu les entends pas. Comment tu peux entendre sonner quand le brouillard est tellement épais que le battant de la cloche, il se coince ?



, le brouillard, ça rappelle à Loulle cette battue qu’ils avaient faite aux Barriques.


Le jour s’était levé avec mauvais cœur et on sentait bien qu’il rechignait à s’installer.
Loulle avait entendu la voiture des piqueurs se parquer pas loin. Les sonnailles ne tintaient pas comme d’habitude. C’était comme si elles étaient sous l’eau.
L’air était lourd et pesait un âne mort. Les tintements s’étaient éloignés.
Loulle avait posé un chiffon sur le séti de pierres déjà humides où il comptait s’asseoir.
A une vingtaine de pas, un fangas creusé par les roues des 4x4, retenait l’eau des jours derniers.
C’était un bon poste.


Et puis elle était arrivée.
La nèble (brouillard)
Sournoise, elle tombait sur les arbres en banderoles si blanches qu’on aurait dit que des lambeaux de ce plastique qui recouvre les serres, s’étaient accrochés dans les branches.
Rien ne bougeait. Et ces morceaux immobiles prenaient soudain des formes inquiétantes au fur et à mesure qu’il se déchiraient, tombant sur les feuilles et la terre en larmes épaisses.


Loulle avait frissonné. L’humidité s’infiltrait sous sa chemise, mouillant sa peau de sa bave de limace.
Plus un bruit ne traversait les bois. On aurait dit que quelqu’un avait fermé une porte.
Hormis un pinson audacieux qui faisait la boule près des flaques, rien ne bougeait.
La tristesse s’installait dans ce temps de morts.


Il s’était levé, juste pour faire quelque chose quoi, et avait marché vers la barrière de l’ONF. Les feuilles, gorgées de brume, étouffaient le bruit de ses pas. Il s’était arrêté à la barrière, avait ouvert son pantalon pour pisser. Il était retourné vers son poste dans un brouillard si épais maintenant, qu’il ne voyait plus sa biace et encore moins le sèti de pierres.


Il peut passer un mulet que tu le verras ni l’entendras, s’était-il dit.


Il aurait bien aimé savoir l’heure. Il ne portait pas de montre, se fiant au clocher. Là il était muet, enchâssé dans cette marmelade blanche.
Mais on ne chasse pas le sanglier depuis plus de quarante ans, sans avoir des réflexes. Aussi, machinalement, il tournait la tête d’un bord et de l’autre, tentant de capturer le moindre mouvement.
Merde ! Un truc noir dans du blanc, ça doit se voir, non ?
A force, il lui venait le roumagaoù de tourner comme ça.
Et toujours ce silence, qu’il aurait pu se croire tout seul. Et même perdu. Tu peux te perdre, crois moi, avec cette nèblasse qui te fait comme un mur.
Comme quand tu es minot que tu joues à cache-cache, et que tu te retrouves coincé dans l’étendage entre deux draps..
Là, ça fait la même chose.
Tu es coincé entre des draps qui font des kilomètres.


Un geai avait traversé la piste à toute allure. Sans un cri.
Il avait beau scruter du côté d’où il était sorti, rien ne s’avançait. Fausse alerte ? Pourtant, il est pas parti sans raison, ce geai ?


Et puis soudain, comme elle était venue, la brume s’était dissoute, laissant encore pendues aux arbres des traînées de mousseline blanche.
Alors, la porte s’était ouverte laissant passer les bruits. Les sonnailles résonnaient sous lui, dans le vallon de la Casserole.
Un coup de voix. Un jappement bref, repris par plusieurs chiens. Un pied, pas trop frais sans doute, mais un espoir pour celui qui attend.
Un trou perçait maintenant le ciel, la lumière descendait conquérante, chassant les dernières taches blanches.
Un coup de feu avait claqué au mirador du pin de Bourtin. Cochon de dérobe ?
Ou qui se défile devant les chiens ? Les chiens qui avaient alors empaumé la voix et criaient à gueule déployée, au fond du vallon.
Il a d’avance s’était dit Loulle. Il aura filé vers Le Jas. En effet, les chiens descendaient maintenant. Leurs cris qui s’emmêlaient, prenaient de l’essor, ils rattrapaient le retard.
Pas pour moi s’était dit Loulle, ça descend dans les terres.
La poursuite s’était éloignée, on n’entendait presque plus rien.


Le silence était revenu. Plat comme la main. Au loin, le clocher avait murmuré l’heure. Il reprenait vie dans le soleil qui arrivait maintenant, droit comme un i.
Dix heures avait-il chanté.


« Pute de sante, ça fait pas deux heures que je suis là ? J’aurai cru plus longtemps. Bon, il me reste de la marge pour en tuer un. Si une équipe vient du Signal, je suis bien placé. »


Des gouttes fuyaient devant les rayons qui s’enhardissaient, dégringolant de branches en branches, pour mourir sur les feuilles du sous bois.
Des mésanges voletaient, et à chaque floc-floc de leurs ailes, Loulle tressaillait.
En haut de la pente du Signal, une longue plainte avait traîné, montant dans l’air maintenant pur, pour s’éteindre aussitôt.


- La Boiteuse, s’était dit Loulle. Daïzè (attention)


Une chienne sûre qui ne trompait pas. La plainte avait repris, rauque, puissante. Loulle l’imaginait, humant les gréoùs (buissons, basses branches), débrouillant la voie détrempée, le fouet cognant entre les troncs des baliveaux à se faire saigner.


- Il sera au jas, s’était-il pensé.


La chienne maintenant allait d’assurance, ne perdant pas un coup de voix.
Puis il avait compris qu’on décrochait les autres chiens. Quelques hésitations et tout le paquet avait foncé derrière la chienne de pied, vite dépassée.
Un grand calme avait suivi, troublé par quelques récris dispersés.
Dans leur hâte les chiens avaient survolé la voie. Penauds, ils cherchaient une issue.
La Boiteuse revenait, traînant sa patte tordue, clamant sa sagesse à chaque foulée. Les autres avaient compris et ils suivaient maintenant derrière, laissant la chienne les guider.


Loulle voyait tout ça, comme s’il y était. Il connaissait tous les chiens, leur façon de chasser, les bavards, les timides, les voleurs et les trouillards.
Tout à coup, un grand coup d’encape (ferme) avait éclaté. Un ferme d’une vigueur qui prenait aux tripes.
Puis le démarrage.
Le cochon filait maintenant, harcelé par la meute, trouant le taillis dans sa fuite soudaine, droit devant lui, sans détours ni retours, traversant le vallon pour remonter sur l’autre versant.
Où se trouvait Loulle.
Un autre ferme. Des jappements de douleur. Et puis, plus rien.
Plus rien que la Boiteuse qui n’avait pas abandonné elle, car les autres avaient capitulé.


Loulle avait vu les chênes verts osciller et il entendait le froissement caractéristique provoqué par les soies du sanglier sur les branches basses des chênes verts.
Debout, l’arme presque épaulée, il était prêt.
Soudain entre les troncs sombres des arbres un tâche blanche ondulait, furtive mais tranquille.


Quès aco ?
Oh ! Sainte Vierge, un cochon blanc !


Enfin pas tout à fait. Gris clair, bien clair quand même. Mais pas énorme.


Il avait visé, juste derrière le cou épais où brillait encore les gouttes du brouillard arrachées aux buis serrés.
Le coup de feu avait fait fuir une bande de pigeons, blottie dans la ramure d’un pin.
Le sanglier s’écrasait maintenant sur la terre brune couverte de feuilles, y creusant un sillon taché de sang.


Quelques convulsions l’avaient encore agité, puis il s’était raidi dans l’immobilité de cette fin soudaine.
Des grès énormes retroussaient sa gueule parsemée de soies grises et longues.


« Putain ! J’ai jamais vu un cochon de cette couleur » avait murmuré Loulle dont le cœur battait fort.
Il a cent ans ce bestiau ! »


La Boiteuse arrivait. Loin derrière, mais elle arrivait au cochon mort. Lente mais tenace et courageuse.
Loulle l’avait laissé piller la bête, l’avait flattée et attachée.
Puis, même si cela faisait sourire les autres, il avait coupé un rameau de chêne et l’avait introduit dans la gueule de l’animal.
Et il avait attendu la voiture du traqueur.


- Oh con ! Què crochets ! En plus il est blanc qu’on dirait un camargue (cheval)
T’es vraiment un bon homme Loulle, » avait dit le traqueur en lui serrant la
main.
Le soir, ils avaient dépouillé le sanglier. C’était un vieux solitaire dont l’armure était tellement épaisse qu’il était impossible de la plier. Un morceau de carton.
Personne n’avait voulu des suites….
L’équipe avait arrosé cet événement comme il se doit. Les accolades, le pastis.
C’était encore le bon temps.


A ces souvenirs, la nostalgie, la frustration, la colère, s’emparent de lui. Il ne sait pas pourquoi il s’est levé, a descendu les escaliers de la terrasse et est allé vers la remise, où il s’est aménagé un placard pour ses affaires de chasse.
Il allume la lumière.
Les grès sont accrochés sur la porte, Loulle les caresse rêveusement.
Il ouvre le placard. La belle veste orange fluo que Fine lui a offerte pour son anniversaire est pendue sur son cintre. Neuve. Encore dans son plastique de protection.
Abandonnée.
Il ne la mettra jamais.
Et puis, de toute manière, elle était trop grande, alors…
La chaleur est étouffante dans la remise. Les odeurs d’engrais, de mazout, de graisse, saturent l’air. Sous son marcel de couleur bleue passée, la sueur inonde son torse. Il ressort en vitesse.
Il remonte sur la terrasse. Il a la figure à l’envers.
Fine l’a vu aller à la remise.


« Loulle, il faut que tu te trouves une autre battue. Tu te rends malade mon pauvre. T’as des collègues dans toutes les communes à côté. Ils seront contents de t’accueillir, crois moi.
- Fine, c’est ici chez moi. J’y suis né. J’y ai grandi. Toutes les caillasses de la cuello (colline) me connaissent.
J’ai suivi mon père que j’avais encore la morve qui coulait. J’ai tout chassé. Le lièvre, le lapin, les perdigaoùs, j’ai posé des pièges pour les rigaoùs (rouge gorge) que j’étais en brailles courtes, et j’ai tué plus de sangliers que tous ceux de la battue réunis.
Qu’est-ce que tu veux que j’aille pinter ailleurs ?
Tè, je vais me coucher qu’il fait trop chaud.
A déman.


Il erntend Fine soupirer.


- Je range et je bade (regarde) un peu la télé.
- Prends tout on temps Fine. Prends tout ton temps…


Il se retourne, contemple une dernière fois la plaine endormie.


- Aqéoù es moun païs ! (c’est celui là mon pays)

jeudi 24 septembre 2020

L' espoir (by Josero)


Loulle, c'est son prénom, un diminutif provençal de Louis, je crois. C'est un déjà vieux viticulteur, dans sa ferme, chasseur aussi.  Fine, c'est sa femme : Delphine ? Joséphine ? Loulle est, je crois, vaguement dépressif, parfois, et presque toujours misanthrope. Josero, qui écrit ces textes, lui ressemble peut-être un peu. Il en parle si bien,  si rarement, et ne veut pas publier ses perles. A ma demande, il a bien voulu qu'elles viennent enrichir  mon blog. On trouvera pas mal de mots provençaux, et d'expressions provençales. Leur traduction, pas forcément.

L’espoir.

Ca va bien faire deux heures qu’il est parti. Fine doit se tourner les sangs. Mais bon, il fallait qu’il  parte, sinon il allait devenir fou. De la maison à la route, ça fait pas loin. Juste la Pièce Longue à traverser. Un champ ! Nu comme la main. Quand tu es sur le tracteur, tu dirais pas qu’elle est si longue. Mais à pied, putain ! Et sans se faire voir, c’est pas gagné. Mais bon il est arrivé à la route qu’il a traversée comme une flèche, la peur au ventre. Attention, pas la peur de se faire écraser, parce qu’en temps normal, il doit passer une voiture toutes les quarante minutes, alors tu penses, en plein confinement !

Non il a peur de se faire voir. Comme il parle plus à personne au village il veut pas qu’on parle de lui. Et puis il faut bien le dire, Loulle c’est pas un courageux. Par contre, ne va pas imaginer que c’est un cague aux brailles. Il a pas peur d’affronter un cochon au ferme avec son opinel à virole. D’accord que ceux qu’il a servis à l’opinel, c’était pas des monstres, mais quand même … Il a peur aussi de se faire attraper par les gendarmes. Ceux là, tu les vois pas de dix ans, suffit d’une fois où tu es pas en règle pour qu’ils se pointent. Loulle, il a toujours respecté la loi. Jamais un sens interdit, jamais pris la place d’un handicapé, rien ! Un modèle.

Peut être un peu de braconne de temps en temps. Mais ça fait partie du patrimoine génétique des gens de la terre. Surtout ceux d’ici.  Alors on va classer ça dans l’interdit autorisé. Par qui ? Mais par lui et tant d’autres qu’il ira pas dénoncer. Il manquerait plus que ça !

Mais aujourd’hui il a merdégé dans l’interdit non autorisé.  Bien que cela ne prête pas à conséquences, parce qu’il risque pas de contaminer qui que ce soit, vu qu’il n’a pas rencontré un chat, et qu’il n’est certainement pas malade,  mais c’est pour le geste. Il a l’impression d’avoir mal fait. Donc, il est un peu contrarié là dessus et ça lui gâche une partie du plaisir ... N’empêche que pour le moment,  il boit tout son content de soleil, même si c’est le pareil sur ses terres, mais là c’est presque comme si il avait volé quelque chose de précieux. Pas précieux comme un trésor, mais précieux tout de même.

Donc, après la traversée périlleuse de la route, il est entré dans le bois. Tu peux pas imaginer le bonheur de se frotter enfin aux branches basses, même si des fois une maligne essaie de t’éborgner. Dieu sait s’il a fait attention à ne pas faire de bruit craignant qu’on le surprenne. Si peu de bruit qu’il a failli faire un arrêt cardiaque quand une niade de cochons lui a démarré des pieds en rouspétant. Ou ces favards occupés à boire, qui ont fait claquer leurs ailes comme des mitraillettes. Quand tout est silencieux, le moindre bruit te fait sursauter.

C’est la saison des amours et pour les merles, c’est à celui qui chantera le plus fort. Des mésanges passent d’un arbre à l’autre dans un vol feutré. Là c’est un écureuil qui vient de laisser tomber la pigne qu’il tenait. Des barres de soleil épaisses, si droites et raides qu’on pourrait croire que tu pourras pas les traverser, descendent du ciel vers la terre, emprisonnant dans leur lumière, des milliers d’insectes, dont les ailes sont autant d’étincelles pétillantes. 

Le temps s’est changé en statue. Il ne bouge plus.  Seul le bourdonnement incessant des abeilles qui s’affairent en un ballet désordonné, dérange cette immobilité. L’odeur du printemps en avance cette année, fait tourner la tête des pins, qui  dispersent au souffle palpitant d’une brise de fin d’après midi, la poussière jaune de leur pollen qui tache les fleurs mauves des cistes. Au loin, la cloche retentit, sonnant cinq coups. 

La tristesse s’étend à perte de vue. 

Dans la mélancolie trop bleue, d’un ciel qui se prend les pieds dans les tréfonds de la terre, rien ne fait penser à cette mort qui rode dans le monde, et à cette menace présente dans l’air que l’on respire. Loulle se hâte. Cette fois, il marche sans précautions, ouvrant son chemin entre les branches, qui essaient en vain de le retenir. Alors quoi,  il ne les verra plus les blés qui s’agenouillent sous le poids des épis lourds de grains ? 

Alors il ne tachera plus ses doigts aux grains poisseux et douceâtres des raisins d’octobre, que l’on cueille dans les rires joyeux des vendanges ? Et il ne fera plus tourner une cavalière inconnue dans des valses musette, sous les lampions multicolores de la fête votive, au rythme des sons plaintifs de l’accordéon ?Il ne fera plus ces parties de pétanque sous les soleil impitoyables des mois d’été, où à la fin on trinque au comptoir des buvettes, à boire des pastis sans autre raison que de fêter la vie d’ici, avec les rares amis qui lui restent, dans ce village que contemplent avec dédain, les premiers murs des Alpes ?

Allons ! La vie ne va pas s’arrêter ! Pas maintenant. Il a tant à faire !

Oui, il va les entendre encore les menées joyeuses des chiens, il va encore battre son cœur, à revoir les sangliers, il va encore les poursuivre dans les vignes, les grives qui se saoulent aux raisins oubliés par les vendangeurs. Et chaque pas de plus le rassure. Chaque buisson qu’il traverse déchire des pans entiers de cette angoisse qui habillait encore ses épaules. Il redécouvre son univers, son cœur bat à l’unisson avec ses terres qu’il reconnaît aux odeurs qui s’en échappent, avant même que de les voir.

Il est chez lui. Il marche au bord de la Pièce Longue. Il traverse la route. Sans se presser. Pourquoi il se dépêcherait ? Il a tout son temps. Toute la vie qui lui reste. Il s’en contrefout des gens du village, des gendarmes et de tout le reste. Il va vivre. Lui, Fine et tous les autres. Comme avant…

Il monte l’escalier. Fine l’attend. sur la terrasse.

- Mais t’étais où, sainte vierge., que je me suis tournée les sangs ? Encore une peu, et j’appelais les gendarmes !

vendredi 18 septembre 2020

Le vieil homme et le lac

Libéré d'une lourde condamnation à une semaine de Bresse – c'était ça ou une épouse contrariée - je revenais à mon lac du Cantal, comme les oignons reviennent à la poêle.  Dix kilomètres après le départ, un éclair de lucidité dans la nuit de ma distraction me dit que j'ai oublié la petite veste, même s'il fait bigrement chaud pour l'instant ...


mon lac quand il est romantique


Le lundi, mon détaillant va à la pêche ... Alors j'achète quelques vers chez Décathlon, et des petits vifs.  Et un pull-over aussi, c'est moins cher que de repartir chercher la veste. Mon coffre de voiture me paraît bizarre quand je l'ouvre … Coup au cœur ! Arfff, le bakkan, que je définirai comme un "sac à boîtes", est absent, resté sur la table de la salle à manger. Mon estime de moi chute une seconde fois ;  plus vite,  de bien plus haut. S'il me restait assez d'agilité, je me botterais le cul.  Je ne risque rien. Je n'ai aucun leurre ou presque, et en matière de montages,  il faudra faire avec ce qui traîne dans le bateau. Heureux que le rangement ne soit pas mon fort et qu'il y a toujours dedans plein de trucs qui traînent "en attendant"!


Un vent du Sud -SE souffle assez violemment, genre 30-40 km/h dans les rafales, et toute pêche en dérive, même avec une ancre flottante est impossible hors des zones abritées. Après deux postes infructueux, je vais donc assez vite  m'accrocher à une bouée disponible au presque milieu de la baie. C'est un de mes endroits favoris. A cent mètres du ponton. Je ferraille une heure au drop-shot au ver avant de mettre au sec une perchette que j'appelais de mes vœux . Dur ! Pour les non-pêcheurs, le drop-shot est une technique où le dernier élément de la ligne est le plomb, l'appât ou le leurre se situant par exemple cinquante centimètres au-dessus, et on peut animer et ramener le leurre depuis canne et moulinet. Pas de bouchon.


Je pêche aussi, de la même manière, avec un petit vif de moins de dix centimètres, à la recherche du sandre. Et d'une manière approchée avec un vif plus gros. On résume donc : pêche amarré, donc cent mètres carrés prospectés, au ver, au petit vif,  et au gros vif .  Et j'ai chaud, et je grognerais presque ; mais ça devient vite agréable avec le temps qui s'écoule et qui, c'est connu, guérit tout, même les chaleurs excessives. Je capture enfin une seconde perchette parfaite pour mettre la "grosse ligne"  à vif. Les "grosses lignes", c'était une expression de mon pépé, par opposition à la ligne à gardons. Elles visaient alors le brochet, ou les poissons-chats, et étaient d'une inimaginable rusticité. Il y avait aussi les "lignes de nuit" mais c'est une autre histoire.


Dans mon dos soudain, crissement de moulinet qui s'affole, et, une demi-seconde plus tard j'ai la canne en main, pliée joliment. Brochet ou silure ? C'est aussitôt la question, d'autant que du fluoro-carbone d'une résistance de sept ou huit kilogrammes constitue le bas de ligne de cette canne. Une sorte de nylon, sensible aux dents tranchantes du brochet. Pas d'acier, contrairement à la "grosse ligne" toujours dans la cabine …  Le poisson file droit et à grand bruit de moulinet enragé vers une bouée à environ quarante  mètres, et je me brûle un peu les doigts sur la tresse en voulant rajouter du frein, ce que je fais ensuite en pressant sur la bobine, c'est mieux.  Peut-être cinquante mètres de fil sortis déjà, et je demande un maximum au bas de ligne. La peur de manquer de fil croise la peur de trop freiner et casser ...  Le poisson finit par s'arrêter à court de force, et quelques minutes plus tard c'est à mon tour de gagner du terrain en pompant sur ma canne comme un Shadock d'eau douce. A dix ou vingt mètres du bateau, demi-tour. Et il repart avec une entrain égal, sort vingt ou trente mètres. Puis c'est mon tour d'être le plus costaud et de récupérer du fil … Etc, etc.


Le génie qui m'habite en général me suggère en particulier de détacher  le bateau car le vent m'emmènera vers le large, alors qu'ici il y a pléthore de corps morts … J'aurai cependant les balises du chenal à franchir. Un peu distrait, le génie ne me suggère pas de remonter les deux drop-shot, vif et ver,  qui trempent ... Ou bien je ne l'écoutais pas. Je commence ensuite à stresser, le moment parfait de l'adrénaline est terminé. Il va se foutre dans une chaîne ? Casser dans l'hélice ? Se décrocher ? Ne tiendra pas dans l'épuisette alors que je n'ai pas de gants sous la main  (pour essayer de le monter sur le bateau en le tenant par la gueule) ? Et je ne VEUX PAS perdre ce qui est forcément mon record.


Car je pense désormais que c'est un silure, à dix contre un. Un beau silure. Beau et con à la fois, car il ne vise aucune des chaînes de bouées, où il aurait pu emmêler et casser ma ligne. Il plonge encore avec force chaque fois que j'imagine que je vais l'apercevoir. Je surveille la berge où le vent nous pousse. Mais on arrive doucement. Le moteur tourne au ralenti, prêt à réagir.


Et enfin il se révèle, il n'est pas gigantesque à la mesure de la bataille fournie, et je parviens à le mettre dans l'épuisette au premier coup. C'est bien la première fois qu'elle parait petite ! Tant elle semblait en général être le stigmate d'un ego conséquent, ou bien la preuve d'un optimisme démesuré.  Je dois évidemment  lâcher la canne pour hisser la bestiole ; canne et moulinet se foutent je ne sais comment là où il ne faut pas, et l'épuisette plie salement. Morte-couille ! Se passe un  moment en équilibre où je bande mes forces … Et ouf, il bascule sans que la canne ou le moulinet, coincés je ne sais comment et opposés à mon effort,  ne cassent.



Keskéla, ma gueule ?


Ah ! On est bien ... Oups, mes deux autres cannes !  Leurs lignes ont suivi sur ces trois cents mètres de dérive sans accrocher et arracher le contenu des moulinets. Chanceux.  Restera le chemin entre le ponton et la voiture où j'ai mon bac à gibier pour l'accueillir. Je rentre de nuit et ne pourrai faire de (plus) belles photos en l'honneur de ce poisson, difficile à soulever et  à manipuler aisément.


ma cave, mon poisson et moi


Bien sûr ça n'a rien d'un poisson prestigieux comme l'eût été un brochet de cette taille, ou un saumon ... Et il reste une "petit" silure. Mais c'est de loin la plus grosse et la plus hasardeuse bagarre entre moi et un beau poisson. A ma modeste aune, évidemment. Selon ma philosophie de la pêche, il sera consommé par les miens, décliné entre une terrine de poisson, et des panures de silure au massalé. Ce n'est pas un truc gastronomique, mais un plat du quotidien, grandi par ses  tampons "sauvage", "local", "renouvelable" ,  "home made "et "n'ayant entrainé aucun travail pénible ou dégradant pour personne".