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samedi 24 avril 2021

Ô mon lac

 

Le temps s'étire autant que les œufs durent, si vous voyez. A la fin de ma condamnation à quarante-cinq jours sans appui sur ma jambe rafistolée -ou presque- je m'voyais déjà gambadant par les chemins zé les monts dès le quarante-sixième. Ou le quarante-dixième, au pire !

Ben non ! Ce n'était que pour sauter du fauteuil roulant au déambulateur glissant, ou aux béquilles sautillantes, tout en continuant à être criblé d'aiguilles. A J + 55 jours et autant de trous dans le bide, j'atteignais à peine, et à béquilles, les 250 mètres en terrain plat sans obstacle.

Mais là, à J + 2 mois pile, le jour d'ouverture de la pêche au brochet, je prends pour la première fois la route avec mon indomptable destrier et mon adorable épouse, ou inversement, jeter un coup d'œil à mon lac préféré. Ca alimenterait juste la machine à rêver, parce que pour pêcher au lancer avec deux cannes anglaises, il faudrait quatre mains ... Pas de pédale d'embrayage, donc je conduis sans difficultés. J'avais pris une canne à pêche, et une carte de pêche, pour le cas d'un contrôle policier inopiné. C'est à quarante bornes.

Un détournement du chat de Geluck



J'imaginais plein de bateaux au ponton, hélas sans le mien, et les remorques à bateaux des taquineux du brochet à foison sur le parking. Que dalle … Alors que je n'ai vu aucune info dans le Courrier International que je lis assidûment ni dans la presse locale que je n'ouvre jamais, je m'aperçois qu'on a presque vidé MON lac !!! Pour faire de la p...n d'électricité ? Juste pour m'emmerder ? Un complot ? J'en étais sûr … Si cet état date de deux mois, c'est un sale coup pour les brochets dont le frai s'est peut-être déroulé sans végétation pour y déposer leurs  œufs. Et pour les sandres ? Peut-être pas tout à fait aussi embêtant, je crois qu'ils fraient sur les fonds sableux … Cependant les hauts fonds habituellement choisis sont à sec.




Je n'ai vu que deux pêcheurs sur le lac, les nomades ayant probablement choisi des lacs avec le « bon » niveau, ou ont renoncé.


Bon côté des choses, la plage est immense. Et cette première sortie m'a fait un bien fou.


vendredi 9 avril 2021

Lève-toi et marche (doucement)

C'est en substance la parole de mon chirurgien, à J + 42 et 22 heures. Même s'il n'a pas paraphrasé le célèbre faiseur de miracles, il annonçait la bonne nouvelle.


Il donne dans des mots plus techniques, mon chirurgien, mais accessibles. En gros tout est bien à sa place du genou au bassin, c'est solide autant que ça peut l'être, et je peux m'appuyer sans restriction sur le membre rafistolé. Il a ajouté que ca n'irait pas tout tout seul quand même, et m'a quitté en me souhaitant bon courage pour la suite …Et rendez-vous dans deux mois.

Conjuguer sans faute une vingtaine de vis, plaques, tiges, liens, allo greffons avec des os en piteux état parmi des muscles étiques tient du réel miracle et de la bête charpente à la fois. On ne choisit pas le bois, c'est tout … Je redoutais tellement ce moment que j'aurais pu m'envoler de joie. Je me suis contenté de sourire largement, faut rester sérieux. Et vu la hauteur de plafond, un looping était de toute façon impossible.

Patient, on suppute, on redoute, on croit, on s'angoisse ou on s'enthousiasme vite, on dentdescie énormément. Cette fois, j'y suis, je vais pouvoir rêver pêche, et même chasse d'été en attendant de concrétiser dans les meilleurs délais. 

Après la presque-vie, la re-vie est là. Alléluia !


mercredi 24 mars 2021

La visite

Bulletin de santé numéro tant. J +  28, mais J plus un mois aussi par le miracle de février.  J'avais pensé à "la Visitation" pour le titre, pour le côté sacré et dans un délire de licence poétique, mais l'évocation de la vie mondaine de Marie ne sied guère à mon état de convalescent fragile.


Vous allez rire. Ou pas. Cela faisait hier exactement un mois que je n'avais vu personne d'autre que des soignants généralement masqués et parfois gantés, probablement pour ne pas être confondus  un jour par leurs empreintes ou par une caméra de surveillance.


Auxquels il faut quand même rajouter ma douce - qui me soigne, on n'en sort pas - et mon fils et son épouse.


C'était un peu comme ça. Un peu, hein !


Mais hier était un grand jour, je recevais des amis. J'avais astiqué le fauteuil roulant et bichonné les chromes du déambulateur pour accueillir mes visiteurs dans le plus grand apparat. J'étais en tenue civile, un peu dégradée certes par un jogging et un sweet shirt. Le grand banquet s'était mué en simple tarte aux pommes. Ah !  Ca fait du bien. Pas la tarte aux pommes, la visite ! Suivez, bordel ! Enfin si, la tarte aux pommes était délicieuse aussi. Brèfle *, un petit goût de revie** avec le soleil éclatant derrière la vitre et des amis près de moi.

"La visite" c'est ça aussi qui m'inspira le titre, mais moi,  je la voulais vraiment cette visite !  musique  

* Bérurier.

** mot nouveau.






dimanche 21 mars 2021

Retiens la nuit

 

J + 26


Ah, enfin une nuit presque correcte. Un anti douleur léger, un somnifère léger, et une jolie goutte d'une huile essentielle de Jenesékoi, ce merveilleux arbuste poussant je ne sais où, versée par ma douce sur un mouchoir. Hasard peut-être, mais j'ai enfin dormé par longues bribes d'une, deux ou peut-être même trois heures. Je ne souviens pas de la conjugaison exacte du verbe concernant la dormition et ces choses-là, tant j'avais perdu l'habitude … 

Je voulais même créer un groupe de pression et lancer une pétition pour rendre la nuit facultative. Si jamais quelqu'un chante " Retiens la nuit ", alors je jette mes aides auditives aux chiottes, je le poursuis en déambulateur, je l'étripe avec une vieille canne anglaise rouillée.



Ainsi va la presque vie, avec ses minuscules progrès et mes gros soupirs. Mais les prévisions sont bonnes avec un kiné miraculeusement annoncé, et une météo qui autorisera de petites sorties sur la terrasse. Ca va être dingue, carrément fou. 

Bises !

mercredi 17 mars 2021

Gigolo

 Bulletin de santé numéro tant.
J + 21.  Je teste l'état de gigolo depuis cinq jours. Un taf nouveau que j'explore. Je suis à l'essai, en fait ...


Jamais je n'ai souhaité m'abaisser à ce point, mais si on veut continuer à vivre il faut parfois payer de sa personne.

Attention je suis un gigolo d'un genre nouveau. Pas un beau gosse aussi bien fait de sa personne que fainéant. Oui, je sais, je suis fainéant aussi, mais là n'est pas la question.

Je me fais entretenir par une femme, donc. C'est l'essence du métier de gigolo. Mais pas de belles sapes pour moi, pas de Weston, pas de champagne, pas de palaces ni de voyages. Pas de havanes non plus, juste une cigarette électronique. Je reste donc bien au-dessus des apparences et bien en-dessous des apparats. 

Non, si je parle d'être entretenu, c'est bêtement l'entretien courant … Pas de toilettes coûteuses, mais la toilette, pas de grands restos, mais des petits plats, et at home.




Fournir la contrepartie est certainement dans le contrat. Et c'est forcément de l'amour … Mais le seul amour que j'ai en stock actuellement est strictement platonique.

Ce contrat peut -il raisonnablement tenir ainsi ? Un frisson m'a parcouru l'échine hier soir, quand ma belle m'a servi des champignons.


Ils étaient bien comestibles. La presque vie continue ...

dimanche 21 février 2021

La dernière chasse de la saison, en crocs vertes

Ma redoutabilité (mot nouveau) a failli hier s'exprimer, mais un destin contraire en a décidé autrement ... J'avais pourtant la chance avec moi. J'avais décidé de me donner à fond toute cette semaine dans quelques repas substantiels avec des amis tout pareils.  Dans le même élan, j'avais fait six kilogrammes de pâté à partir d'une recette un peu bricolée pour ses éléments non sauvages. Son parfum était prometteur. Et samedi c'était chasse !


Brèfle, c'était la dernière séance de la saison, et j'avais choisi ma jolie carabines en calibre 9.3, aux courbes délicieuses, si douce sous mes doigts. J'avais même fait briller mes cartouches la veille, comme des souliers pour un premier bal.


Mais les pieds de sangliers n'étaient pas fameux, et l'attaque de la première "rentrée"  se solda par une défaite, certes honorable, suivie d'un repli en ordre pour une nouvelle attaque. Je me retrouvai à nouveau déployé aux Quatre Combelles, endroit tellement cité que bientôt il s'affichera sur Gougueule dès qu'on tapera quatre.


Légèrement vêtu, c'est à dire sans surveste, je ne prends pas non plus le casque - non, pas celui à pointe - faute de poches ou de boches. Mais le casque amplificateur, la cure de jouvence des vieilles oreilles. La carabine est lourde dans la pente raide. Le vent n'est pas non plus l'ami du casque mais si j'en parle tant, vous vous doutez que ce n'est par hasard. Vingt mètres d'efforts, presque une Diagonale du Fou en plus concentré, et je pose le pied sur la marque rose qui dit que c'est the place to be.

archive


Il fait 16-18 degrés un peu ventés. De mon poste, je domine le monde. Sans me vanter, car c'est au premier degré. Sur les 16 ou 18. Mais les voix des chiens m'arrivent à peine de derrière la courbure de la colline et du vent. Ah, fourbe, le vent, pas courbe ? La fourbure du vent ? Ca ne collerait pas non plus, fourberie des mots ... Je laisse quand même, après tout, c'est moi qui tiens le clavier. Poum ! j'entends, au milieu de quelques récris lointains. Comme souvent dans ces paysages vallonnés, je n'entends qu'un des interlocuteurs à la radio, ce qui ne me permet pas de saisir l'issue de l'action.


Et 15 h 30 arrivent déjà, et à 18, le Kodiak se transforme en amende, a dit la fée à casquette. Avant, les carrosses se transformaient en citrouilles -bien plus grosses qu'une amande- et bien plus tard que de nos jours. Minuit. Tout fout le camp. Et moi aussi, alors je commence à descendre du promontoire, tout doucement. A 15h45, je suis à la voiture, j'ôte le chargeur, enfile une jolie croc vert laitue à la place de ma chaussure de marche. Vous connaissez mon jusqu'auboutisme, j'allais faire de même pour la seconde chaussure sans aucune pitié, quand la radio annonce que "ça" vient vers moi.


archive


Mortecouille ! Le chargeur, vite ! Ainsi à demi accoutré je remonte les 20 mètres. Difficile d'entendre les voix des chiens. Je suis là, tendu comme le ressort à Boudin, du nom du célèbre inventeur, quand la radio m'informe que la menée a changé de direction. Je me replie avec un grand sourire, jamais telle chose ne serait arrivée sans la consigne expresse du couvre-feu.

J'ai enfin une croc verte à chaque pied, et je vais appuyer sur le bouton de fermeture du coffre, quand " t'es toujours là Régis ? ça revient vers toi !!!". Bon, je ressors (toujours à Boudin) la carabine, et j'y glisse une cartouche. Cette fois encore, le sanglier changera de trajectoire. C'est un malin …

Et je prends enfin la route. Il ne faudra pas lambiner pour arriver à 18 h 00. Pour couronner le tout, je croise le président qui vient me remplacer car … « ça »  revient encore une fois. Je ne connais pas la fin de l'histoire, mais ce que je sais, c'est qu'à ce poste la semaine dernière le président avait en quelque sorte manqué un sanglier ... Pas vraiment, car il n'avait pas chargé son fusil. Clic ! Clic !

Le pâté s'avèrera le soir assez sèchement raté en matière de consistance. Et pour le casque amplificateur - protecteur, eh bien, il n'y a rien à en dire de plus ... J'aurais juste aimé entendre la symphonie des grands courants.

mardi 2 février 2021

Sur le volcan

8 décembre 2016 ... Finalement par des hasards ajoutés, je me retrouve possesseur d'un bracelet de chamois. Car "on" sait que je ne tirerais qu'une très vieille chèvre non suitée, si je tire ! Il y en aurait une d'un âge canonique mais bien moins vieille que moi en même temps, mais la trouver est une gageure dans la montagne … Le réveil du volcan est une surprise de taille. 

Le réveil du volcan, fumerolles et lave en fusion ...


Autre surprise, s'il faisait moins quatre dans la vallée à 1000 mètres d'altitude, c'est plus sept degrés à 1500 mètres, d'où j'observe d'entrée à la longue-vue deux chamois, l'un à cinq cents mètres que je dirais bouc, et l'autre à trois kilomètres ... dont je ne dirai rien. Je m'équipe et je démarre doucement. Le sol, malgré la douceur venteuse relative, est dur comme de la pierre, et les ruisseaux sont figés. La traversée de la source de l'Impradine, en partie gelée, me donne des sueurs forcément froides, traversé également que je suis par l'idée glaçante d'une mauvaise chute en ce lieu privé de tout réseau téléphonique. Je me rassure à demi en me disant que ce sera partout comme ça aujourd'hui. Sans réseau.


Je n'ai pas la pensée carnassière, je veux juste goûter au plaisir de ce soleil, de ce vent de quinze kilomètres-heure, de cette marche très lente, de ces chamois ... De ma quête. Et la très vieille chèvre dont j'ai entendu parler serait à trois ou quatre kilomètres de mon véhicule. Un challenge que je ne tenterai pas une seconde fois ! Rapporter seulement le trophée, les cuissots et les filets est forcément possible. Mais bon, à quoi bon y réfléchir déjà ? Marchons, rêvassons, clic-claquons des images.


Un air de matin blême. Au fond, la Brêche de Rolland.


Un groupe de cinq chamois me ravit … Ils sont si cool que je ne crois pas le loup présent ces jours-ci sur ce massif (nous sommes en 2016, et depuis la densité de chamois a bien chuté). Puis une traversée prudente de zones de glace si dangereuses sous un peu de poudreuse, car elles ne sont pas plates, produites par l'eau qui sourd de la montagne et gèle en vaguelettes assassines ... Je fais beaucoup de pauses d'observation. Trois chamois à la Brêche de Rolland, sans doute un trio familial (1). Et j'avance encore, car je sais que je vais trouver d'autres chamois. Je choisis la mi pente pour approcher le Peyre Arse. Si je trouvais l' animal de chasse, je pourrais, s'il n'est pas sur un versant qui me permette l'approche, faire marche arrière pour un long détour, pour le contourner par le haut ou par le bas ...



Une chèvre (jeune) avec deux cabris


J'échange mon blouson Browning vintage contre une petite polaire camo présente dans mon dressing portable, où elle côtoie une bouteille d'eau, une courte longue vue, une corde, deux pains au chocolat, de la rubalise, un télémètre, une lampe frontale, un bonnet et un raton laveur. Cette liste amusera quelqu'un. Par une chance inouïe pour l'idiot géographique que je suis, je trouve d'entrée la draille magique de la mi-pente haute. Et un groupe de neuf chamois sur le bas. Il ne peut que me repérer. Pouvoir me surveiller du coin de l'œil à cinq ou six cents mètres suffit à les rassurer. Je passe à leur large.


Sur le massif d'à-côté, cela flambe dur. L'éveil du vieux volcan sur lequel nous vivons si tranquillement va forcer biches et cerfs à habiter plus loin cet hiver. Et à se faire tuer peut-être dans un secteur moins connu d'eux. 


Je me dis que je n'irai guère plus loin en arrivant à la limite nord du pied du Peyre Arse. Trois chamois à trois cents mètres, qui galopent un peu en s'approchant. Rut ? Non, ils broutent en s'approchant, et c'est une femelle avec deux beaux cabris. Une rareté. Peut-être, même si cela n'est jamais relaté, la chèvre a-t 'elle adopté un cabri orphelin, ou bien sa maman court le guilledou et a confié le petit à la voisine.


D'autant qu'une chèvre assez jeune aurait été tuée et son cadavre abandonné dans la montagne, il y a deux ou trois semaines. L'œuvre d'un con. "Mes" chamois se couchent un court moment à cent mètres, puis recommencent à brouter en montant. Je broute moi-même un pain au chocolat en les observant, tandis que mon APN fatigué refuse d'enregistrer les images de bon cœur. Puis je m'éclipse discrètement.

Le chemin du retour


Et je reviens vers la voiture, que j'atteins un peu avant la nuit. Le paysage est superbe, l'atmosphère nimbée de bleu par les particules fines de l'écobuage.

(1) la structure familiale est la mère, son jeune de l'année, et son jeune de dix-huit mois