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mercredi 28 janvier 2015

Les premiers jours du reste de ma vie

Il n’y a que quelques semaines que le reste de ma vie a commencé. C’est une étrangeté qui arrive à ceux qui ont l’idée de ne pas mourir trop vite, tout en ayant eu un job plutôt sympa. C’est une surprise aussi, parce cela paraissait si loin et que c’est déjà arrivé.  







Ça a été un soir heureux. Une fête sympathique avec des collègues s'est mêlée à la sympathique partie « protocolaire », et l'a prolongée. Les années de travail auraient presque un goût de paradis perdu. Beaucoup de collègues s'étaient libérés, ils avaient même ré-écrit des chansons en mon honneur, créé une guirlande de cartes rappelant mes hauts fait et moquant surtout mes travers. Ils se sont aussi  déguisés en chasseurs pour créer la chorale éphémère des Petits chanteur à la gueule de bois. Ils ont ainsi pastiché mon histoire professionnelle et ma passion chasseresse, alors qu’il n’y a qu’un chasseur parmi eux !  « Dieu est un chasseur des savanes » est ma préférée, je crois.

Je suis content. Bien sur, je ne fais plus partie du jeu. Je m’étonne encore, en me réveillant en cours de nuit, de ne plus voir passer sur le bas de l’écran de mon demi-sommeil une liste de choses à faire le matin pour le boulot, pour l’équipe ... Je vivais donc ainsi avant ?  Chose incroyable, ça manque presque.  

Je ne lis pas vraiment plus, je ne chasse pas vraiment plus, je passe un peu de temps devant la télé que je ne regardais jamais. Je m’occupe un petit peu de la maison, car ma douce travaille. Une conférence ou deux, aussi. J’écris un peu plus, en essayant de me caler dans mon époque. J’étais surtout forum, et j’ai un peu de mal avec mon blog, plus avec Google +, et beaucoup avec Facebook. Mais je m'accroche.


Mon job me laissait beaucoup de liberté. Alors que je pensais me sentir plus libre, ce n’est pas vraiment le cas ; car les contraintes sont avant tout familiales, amicales, personnelles et elles persistent donc.  La machine vieillissante fait des siennes aussi, simplement. Une épaule déglinguée préfère me garder à la maison quand mes jambes m’emmèneraient faire un petit tour en montagne. Il va falloir la faire réparer aussi vite et aussi bien que possible, j’en ai besoin pour porter mon sac à dos, tirer à la carabine, et même passer l’aspirateur.

On s’apercevra alors que sa vie de travail tient en dix lignes sur le journal, + la  photo.
Cet article m'a permis de triompher ou presque, avec l'aide de Julien, un d'jeune de la Maison, de la difficulté d'une création audio et vidéo sur Internet. Ah que je suis grand ...

vendredi 23 janvier 2015

Le vieil homme et les vertes collines



C’était décidé, j’allais tuer mon chamois. La  retraite n’est pas qu’une Bérézina dont les glaces s’ouvrent sous nos pieds. Il me fallait un gibier emblématique pour fêter ce passage, en solitaire comme j’aime tant. Et le chamois, c’est bon.




Un bien joli bouc



Treize novembre, c’est la  bonne date. L’avant-veille, je voulais m’y lancer, mais un mal-comprenant avait stoppé ma partie de chasse, s’étant trompé de secteur. Benêt au QI d’huître, sournois et malveillant à souhait, je ne saurai s’il l’avait fait de façon volontaire ou pas. A sept heures, le jour point,  et moi aussi, équipé légèrement : une carabine et neuf cartouches, une musette, un appareil photo, des jumelles. Un télémètre. Et aussi une superbe férule, solide mais légère, qui figurera courageusement dans l’aventure qui commence. C’est un bâton fait d’une ombellifère méditerranéenne et non d’un arbre ou arbuste, d’une légèreté incroyable et d’une solidité suffisante pour mes soixante kilogrammes.



J’entends bien, commençant  à l’aube, tirer rapidement, sur le premier spot si possible, à un km environ du parking. Il y a tout ce qu’il faut là, cabri c’est sur, et éterlou peut être. Mais toujours ils se tiennent à quatre cents mètres ou plus. Le froid, combiné à l’immobilité, me figent comme une gelée de groseilles tremblante, et je décide de filer, car je ne serai plus approché, et je ne pourrai pas concrétiser par un tir. Deux cents mètres est un maximum pour moi. Près de la brèche de Rolland - où tomba un bouc sous la balle d’un ami-  le cabri que j’avais repéré et sa mère ne m’attendent pas. Bah ! "Ils sont trop verts, dit-il, et bons pour des goujats". Et je pousse plus loin, prenant de la hauteur.  Tout près des dieux, et le roi n’est pas mon cousin. Je me sens à la fois le chasseur, la montagne, l’effort, le vent, et le gibier.

Tout près des dieux



Un beau bouc au poil soyeux, mais boiteux, est là que je filme, mais il fait sa star et se retire. Si j’avais décidé de tirer, le film aurait démontré sa boiterie. Je lui souhaite plutôt de se remettre de sa misère que j’espère passagère. Moi-même je boîte plus  que lui, après tout.  Et nous boitons bientôt de conserve, mais chacun dans sa direction. 


Je suis loin du port désormais, et je monte toujours, franchissant le Peyre Arse en solitaire et en autonomie, sans bouteille autre que d’eau de source. Un chamois tout au loin, et puis quelques animaux, mais sans la moindre possibilité de me dissimuler. Je décide donc de contourner le sommet, testant la résistance de mon pantalon dans son nouveau rôle de luge à bruyère. "Attention, t’es vieux et bien abîmé", me dis-je à moi-même. Je n’aurais jamais cru à dix ans qu’on est aussi con à soixante. Et cela me rassure.

Mon trajet sur Google Earth



Je resurgis après le pointillé, sur l’image de Google Earth. J’avance lentement, regardant heureusement dans toutes les directions. Ahhh ! Trois, quatre chamois, juste là ... Les mêmes, ou pas ? Damned, pas de cabri ...  Cabri que je m’étais autorisé ici jusqu’à quatorze heures, si loin de la voiture, pour son poids et ma capacité à atteindre mon véhicule avant la nuit. Mais un éterlou n’est-il pas un cabri un poil grandi ? 185 m, dit le télémètre … Un pied du bipied de tir accroché à la pente, l’autre dans le vide, je m’applique … Stecher*. L’éterlou* avance doucement en broutant et se soustrait progressivement à ma vue. Sur mon gradin de rochers épais, usées par les millénaires, je décide vite.  Coup de tonnerre, fuite.



" Piga ! Piga ! " (Il est touché, il est touché en patois … kenyan). Je vois bouger ses pattes en l’air une seconde, comme s’il voulait s’appuyer sur le ciel, et c’est fini. Treize heures et quarante-cinq minutes,  environ. Un quart d’heure d’immobilité pour éviter tout lien entre l’homme, le tonnerre, et cette mort. Je vais  me lever, quand un chamois adulte qui a fui revient, et m’impose une longue séance d’immobilité. Chamoise je croyais, bouc je sais bientôt. Je file enfin vers ma prise, recroise un ou ce bouc, qui, tranquille, reste à 40 m de moi … Prise que je retrouve avec quelque peine dans les bruyères. Recueillement, admiration, éviscération*. 




Il me faut beaucoup de temps pour réaliser un boulot toujours minable de mes petites mains gauches. Je lui attache les pattes, même s’il ne semble plus en mesure de s’échapper, plus pour le porter un peu à l’épaule, la bonne. Que niet, cela glisse, je titube. Je décide de le traîner accroché à ma férule comme marlin à sa barque. J’ai bien le temps, 3 km avant la nuit, c’est à peu près possible. La gravité l’entraine un peu dans la pente, et je me trouve plus bas que prévu dans ma progression. A observer à 150 m un bélier en ce lieu inhabituel pour l’espèce, en guise de compensation. Il me faut rejoindre la crête, la nuit est arrivée. Je m’épuise dans des sagnes* quasi verticales où chaque mètre gagné se soustrait difficilement aux  trois mille restants, tant je dois tirer de bords carrés pour échapper aux difficultés du terrain. Lorsque le marécage se calme, les genêts prennent le relais en retenant l’éterlou, et la pente est terrible pour moi dans les deux cas. Efforts, crampes et moments de repos  de plus en plus longs accompagnent cette lente randonnée. La lune se lève sur le Peyre Arse, et la montagne brille de toutes ses flaques. Il fait une douceur incroyable en ce  13 novembre. Bientôt je rejoins le chemin, et je sais que je vais y arriver avec le temps, désormais. Je suis bien, il suffit d’aller doucement. J’approche de la Brèche de Rolland. La route bientôt. Je laisse le chamois et vais chercher la voiture, j’y mets à charger le téléphone. Bon dieu ! 1:28. Il me faudra au moins trois essais pour hisser les 21 kg dans le coffre, tellement je suis rincé.

Un bélier (mouflon) inattendu en ce lieu

Quelques termes

Cabri : jeune chamois de l’année
Eterlou, éterle : chamois mâle, femelle, de seconde année, (adolescents).
Stecher :  dispositif permettant de rendre la détente très sensible, pour un tir appliqué
Éviscération : cela permet d’économiser quelques kilogrammes et d’offrir un gueuleton aux grands corbeaux qui arrivent très vite après un tir dans la montagne.
Sagnes : zones humides