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jeudi 21 septembre 2017

Quelques pigeons

"Tu tueras au moins quelques pigeons [ ...si tu prends ton permis de chasser ]" m'assurait Denis, qui m'avait aussi prêté une petite carabine de jardin pour que je me rembourse des dégâts des lapins de garenne dans mon jardin. Je l'avais cru, mais cette première saison m'apporta une ou deux alouettes, et deux ou trois grives ... Ma mémoire flanche. 1986 ou 87, c'est loin. Comme j'avais toujours été un chasseur croyant sans jamais aller à l'office, j'avais enfin acheté un fusil.

J'habitais alors dans une région au nord de tout, où l'hiver succédait directement à un printemps froid et humide. De pigeon, il n'y eut jamais dans ma gibecière. Trente ans après, j'avais pris quelques cerfs, quelques chamois, mais j'avais abandonné à elles-mêmes mes armes lisses* qui dormaient dans leur armoire, tristes et résignées. Deux jolis superposés à la même couche, en calibre douze et vingt, dont je percevais presque le reproche muet.

Je racontais parfois ce non-souvenir, et Gilles, authentique chasseur et bienfaiteur cynégétique, me proposa une chasse au pigeon. Et moi de fouiller dans les reliques d'une grande caisse pour en extraire, parmi deux cents munitions de mes amours anciennes, deux douzaines de cartouches au poil pour la plume. Plomb de six surtout, et de sept. Vêtements camouflés, cagoule et gants - je connais pour l'approche du grand gibier- siège, et enthousiasme. Lequel sera un peu rincé de pluie, de grésil et de vent... Me voilà aux marches du département, tout près de la Haute-Loire que nous touchons du doigt et dont Gilles me montre le pointillé au bord du chemin. Je fais comme si j'avais vu.

La Margeride cantalienne


Les sols de la Margeride sont granitiques et craignent la sécheresse. Y persistent, en conséquence agronomique, parmi les prairies et les bois, des céréales dont les chaumes ne sont pas toujours immédiatement retournés. C'est presque miracle. Ils assurent la pitance à l'avifaune qui a motivé notre venue. Quand Gilles part à grands pas installer avec dextérité huit formes et un flottant, je dois quasiment courir pour ne pas être distancé. "Formes" qui sont de faux pigeons en plastique sur une courte tige, et flottant qui est la même chose, mais avec les ailes ouvertes, et implanté sur une tige souple et longue qui donnera par son balancement dans la brise un surplus de vérité à cette fausse troupe se restaurant des grains oubliés par la machine.

Puis nous nous replions en lisière d'une haie, assis bas et immobiles, masqués comme des bandits sardes. Quelques pigeons qui passent trop vite, trop haut, trop loin, sont l'occasion pour mon hôte de parler bisets, colombins et palombes, leurs caractéristiques, leurs habitudes, leurs pensées les plus secrètes. Il chasse aujourd'hui avec un joli  "Merkel" français en calibre 16, mais m'a montré aussi un Charlin antique et gravé, toujours dans son calibre préféré. Au premier passage tonitruant, seul Gilles tire au sens wallon du mot, tandis que je me contente de la signification hexagonale** ... Pour la concision du récit, les manqués ne seront pas développés, car écrire tout un livre m'a toujours semblé rebutant.

Pose des formes

Et soudain, nos formes sont attaquées en rase mottes par une escadrille de trois colombins qui arrivent droit sur nous et se posent parmi elles à 35 mètres environ... et redécollent dans la même seconde. Nous tirons, mais ma première cartouche s'avère inefficace, contrairement à celle de mon admirable confrère. Mon second tir fait mouche. Ouf ! Plus rien ne vole, les trois oiseaux sont ramassés. Je viens de tuer mon premier pigeon, trente ans après mes plus anciennes tentatives. Je craignais de n'en être plus capable, manquant désormais du nécessaire entraînement au fusil. D'autant que je suis désormais un vieux chasseur, je vois  la bande ventilée floue, comme érodée et incertaine, voire molle et floue quand je monte l'arme à l'épaule. Je me réadapte très vite.


Quelques coulemelles, palombes, bisets et colombins

Trois ou quatre oiseaux nous avons, en arrivant, gelés et affamés au restaurant de Chastel. Nous en ressortons sous le grésil et une pluie venteuse. Nous changeons de chaume. Gilles ajoutera quelques prises, et pour moi un seul tir réussi, à près de cinquante mètres. Dix cartouches par oiseau pour ma part ... Je me suis régalé de cette belle chasse-cueillette. Chasse pour laquelle il est prudent de se signaler quand arrive un confrère lui-même à la billebaude car il n'est pas impossible de voir ses formes prendre une giclée de plombs amis.

Même un splendide busard de St-Martin quasi blanc vient traîner près de nos formes ! Plusieurs fois, Gilles les a vues attaquées par des buses ou busards ! La photo est empruntée à M'sieur Google.


Un busard de St-Martin

* armes à canons lisses tirant de la grenaille par opposition aux armes rayées
** en Wallonie, on a "tiré" ou a "manqué"

mercredi 6 septembre 2017

Dégât des os


J'aurais aimé titrer "Fortune de mer". Ça aurait eu de la gueule et ça y ressemble un tout petit peu. Mais c'était dans ma cour, un lundi ... Alors, après un "Dégât des eaux", ce «Dégât des os » ira bien.



Qui aurait cru qu'un voilier se transporte par la route ? Ben si, quand ils sont petits. Mais pas à la voile quand même ...  Pratique quand on sait les places de ports rares et chères, ou quand on veut naviguer ici et là. Mais je n'imaginais pas la quantité et la complexité des problèmes possibles avant de flotter enfin. Problèmes de remorque et de remorquage, de mâtage et de démâtage, de grûtage et de mise à l'eau ...

Marin-rêveur, j'arpentais depuis des mois la littérature sur le levage des mâts des petits voiliers, et les œuvres cinématographiques s'y rapportant, des productions Youtube de marins. Rien à voir avec du Gogol ou de l'Hemingway, rien d'approchant avec du Cimino ou du Clouzot non plus … Des explications, des croquis, des bouts d'images. Pour transporter un petit voilier, il faut évidemment ôter le mât. Et forcément le remettre pour naviguer. Pour mon petit bateau, un rugbyman ou un décathlonien échapperaient à l'ardente obligation que j'ai de contourner mes faibles capacités physiques par un "système de poulies et de renvois"


La scène de crime

Et j'ai commandé le nécessaire, des bouts, des manilles, des cadènes, des mousquetons ... J'ai jeté mon dévolu sur le système inventé par "Henri", dont l’œuvre à la fois littéraire, graphique et cinématographique m'avaient convaincu. Il avait équipé ainsi Daria, son joli voilier Edel. Mais la conviction ne rend pas architecte (naval) pour autant, et moins encore charpentier de marine. Le système Henri est expliqué sous ce lien. Ce sera d'ailleurs une mienne interprétation de ce système, en fonction de l'outillage et des pièces à ma disposition


micro-poulie, 2 manilles, cadène, anneau, mousqueton, pontet ...


Et un beau lundi, armé de mes deux mains gauches et de mon enthousiasme, je sors de leurs emballages les trésors concoctés par Chronopost et Mondial Relay. Le pont de mon fier voilier est vite encombré de drisses colorées que je coupe, noue et renoue, de pièces inoxydables rutilantes, et de quelques poulies et outils basiques. Je fixe manilles, anneaux, bouts, je fais et refais des nœuds de chaise pour approcher les longueurs nécessaires, des tours morts et des clés à répétition ... Malgré la fin tragi-comique de cette aventure, je ne vous épargnerai aucun des mots techniques ingurgités avec gourmandise et par nécessité. Finalement, ne sachant comment fixer une cadène dans les règles de l'art, j'opte pour une patte d'oie dans le prolongement de l'axe de pivotement du mât. Vous êtes verts, hein ?


Il me manquait d'ailleurs une cadène de grande longueur qui eût été idéale pour accueillir les deux bouts latéraux sur le bastaing à vocation de chèvre ** qui remplacera le tangon que je n'ai pas (vous êtes vert foncé, maintenant ?) ... Et aussi des taquets coinceurs pour régler idéalement la longueur des bouts sur le bastaing. 


Bon, la version courte : je veux installer un système de levage, destiné à démultiplier ma force pour ériger le mât de 7.45 mètres tout en le sécurisant pour qu'il ne s'échappe pas d'un côté ou de l'autre. Car les dégâts que cela pourrait produire sur le bateau, sur le marin et sur l'environnement immédiat sont à envisager. 


A 16 heures, presque prêt mais fourbu, je fais la pose. On verra demain ... Appeler un copain en renfort peut-être, démarrer en douceur après un dernier contrôle du système et de tous ses nœuds, et ne pas faire l'économie d'une réflexion sur les forces et les faiblesses de cet appareillage interprété à ma façon, pour d'éventuelles corrections ...


Et puis non, j'ai trop envie d'essayer ... Une vis costaude remplace bravement la cadène idéale, absente, et ne déméritera pas. J'ai mis en appui le bastaing verticalement sur une plaque de caoutchouc anti-dérapante au pied du mât, la compression devant faire œuvre de fixation. Je ne résiste pas à mouliner un peu le winch "pour voir", pour lever le doute sur les conséquences du pré-levage un peu limité. Diable, mais ça monte ! Eurêka ! Je suis grand !!!


Le mât parcourt 20 à 30 degrés ... Il penche un peu à bâbord me semble t'il. Bizarrerie géométrique ? J'arrête. Demitours-je *** ? Heu ... comment, d'ailleurs ? Côté tribord mes bouts sont tendus à bloc, et un peu mous à bâbord, ce qui paraît normal dans cette occurrence ... Donc je suis paré, me dis-je, ça retiendra forcément tout mouvement supplémentaire vers bâbord ... Je me dépêche donc, et comme c'est moins dur avec la verticalisation, je vais vite, approchant déjà des 60 ou 70 degrés. Et soudain je sens comme un relâchement dans le winch (?), le mât part vers l'arrière, côté bâbord et me bouscule rudement. J'étais posté sur le winch de ce côté, précisément ... Mais le mât en me frappant sèchement m'envoie au tapis qu'il n y a pas pour amortir le contact, et m'évite aussi toute possibilité de laisser traîner une main ou un bras près du winch qui le réceptionne.

Cheville râpée- juste la peinture, hein- , côtes endolories, mais hanche salement secouée : je marche difficilement et douloureusement, mais, le pire n'étant jamais sûr, j'espère qu'il n'y a rien de grave. 

Ma carrière de marin transportable s'arrêtera t'elle ici ? Je ne sais pas, mais celle de charpentier de marine va vers des développements nouveaux et inattendus, dès que je serai rétabli, car il faut bien réparer. Il ne manquera que le bistrot du port pour aller causer technique.



gros plan de la casse et éclat du pied de mât


*** chèvre ou bigue, engin de levage antique
***du verbe demitourir, troisième groupe, qui signifie faire demi-tour, et que je viens d'inventer juste pour vous.