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vendredi 30 octobre 2015

Deux journées de chasseurs de chamois

Il est une chose que j'adore, chasser seul en montagne, avec mes jumelles et ma carabine. Obligé à rien, obligé de personne, je ramène toujours quelques photos, médiocres en général, mais qui me suffisent. Et parfois, une prise. Comme les années passent et que chacune laisse ses blessures, il devient difficile de courir le chamois seul, car si le succès est là, ramener l'animal me devient quasi impossible.

Henri m'a accompagné pendant deux journées riches en émotions. C'est un chasseur aussi. Le premier jour il était mon invité et donc le tireur, et le second, c'était mon tour. Le tireur, c'est vraiment le chasseur, celui qui décide du parcours et de la stratégie, prend les décisions. Son accompagnant est le conseiller, le porteur, les yeux supplémentaires, le garde-manger aussi ... Henri est un homme délicieux, raisonnable, attentionné. Le brouillard a compliqué notre chasse, le vent nous a cantonnés à mi-hauteur dans la pente, vers 1500-1600 m.

D'entrée, un bouc nous a bernés. Et nous avons vu d'autres animaux, mais intirables. Nous avancions à flanc du Puy Mary vers le Peyre Arse, côté Impradine, et le vent menaçait de nous jeter au sol dans ses rafales. Si le brouillard nous aidait en nous masquant des animaux, il gênait aussi nos observations aux jumelles tout en rendant le paysage méconnaissable quand il réapparaissait dans des trouées.

Henri dans un paysage rendu étrange par le brouillard

C'est Henri qui "trouva" sa chevrée. Une petite douzaine de chamois, fantomatiques dans le brouillard, mais fort près de nous. Cent cinquante mètres. Repérer une éterle, un animal de dix-huit mois quasi adulte était difficile et c'est un cabri qui ferait les frais de notre chasse. Henri décida de gagner une vingtaine de mètres grâce à la brume, jusqu'à un arbre qui nous tendait des branches nues et souffreteuses. A un contre cent, le brouillard le révèle à mi-parcours et il devra faire un tir dans une position bien inconfortable. Le cabri est touché mais parvient à fuir, pas loin heureusement. Les yeux de Géraud, son frère non chasseur qui nous accompagnait,  jouèrent un rôle important en ne lâchant pas le cabri blessé. La balle de match, une ou deux minutes plus tard, nous priva et du cœur et du foie ...

Une gorgée de poire dans la flasque que m'offrit ma cousine préférée, une goulée d'émotion et de pur bonheur sont partagées par nous trois. Presque 3 km de portage pour le retour, mais ce ne sont que quinze kilogrammes, et ce n'est pas moi le porteur ...

le parfum de victoire

Rendez-vous est pris pour le lendemain à la même heure. Il pleut quand je me lève, mais nous trouvons une montagne d'après la pluie, sans brouillard et peu ventée. Je joue finement pour tenter de trouver le bouc de la veille, mais celui-ci a encore un coup d'avance. Nous pourrons passer en crête en direction du Peyre Arse, crois-je. Mais un vent à décorner les chamois nous ramène vite à la draille de la veille. Sans la protection du brouillard, les choses paraissent soudain mal engagées. Approcher une chevrée sera problématique sur ce parcours. Diane, qui décidément, m'a à la bonne, me révèle un chamois seul au-dessus de nous à cent quarante mètres. L'identification au moyen d'une photo électronique agrandie fait penser à un éterlou, tandis que sa masse dit bouc. Pourvu que ce ne soit pas une chèvre esseulée, comme me le font craindre un peu les cornes faiblement courbes ...


le bouc tel qu'il m'apparait, photographié à x 40 ... puis l'image agrandie sur l'écran, selon l'incrustation



Mon appui sur le rocher est imparfait, l'animal avance ... Je bloque un peu l'arme avec le pontet touchant le rocher, et j'enrhume Henri tout en débouchant ses oreilles d'un double effet tonitruant du calibre 308 W agrémenté d'un frein de bouche. Le bouc tombe au tir, tente de se relever, disparait. Réapparaît à nos yeux en roulant dans la pente. Mais sa tête ne tombe pas. Je me déplace de cinq mètres et tire une balle d'achèvement, qui ne fait qu'érafler son cou. Horreur ! Seconde balle de cou, et il roule vers nous, mort.

Le Peyre Arse en arrière-plan

Le transport de l'animal est une épreuve qui incombe à Henri. Le soir nous sommes tous réunis : Henri, Géraud, mon épouse et moi. Après quelques bulles, nous dégustons les abats, cœur, foie (et plus si affinités). Plat suivi d'un filet de sanglier lozérien, le tout accompagné d'un excellent cahors. Puisse être la vie aussi longue et belle qu'elle a su être douce ces deux jours.


Pour les aspects techniques ...
Cabri tiré à 140 mètres, carabine Zoli, cal 7 x 64, lunette Leupold, balle KS de RWS, 10.5 g
Bouc tiré à 140 mètres; browning X Bolt calibre 308 W, lunette Nikon, balle rechargée Sierra 150 gr.
 

jeudi 8 octobre 2015

Comportement déviant



Assez extraordinaire. Ni elle ne filme, ni elle ne photographie l’évènement. Ses proches s’en inquiéteront si jamais ils prennent connaissance de ce comportement anachronique et presque déviant. Se moque-t-elle de tout ? Refuse-t-elle de partager ? Batterie à plat ?


Comment témoignera-t-elle ? Juste avec sa mémoire et des mots ? Les mots ... N’est pas Shakespeare ou Houellebecq qui veut. Et qui lit ? Qui lit ? qui Lit ? Ne me chatouillez pas, je vous prie ... Compte-t-elle sur sa mémoire pour raconter ça à sa petite-fille, ou à ses amies ? Sur sa mémoire plus que sur celle de son Smartphone ? Bizarre. Déjà touchée par la maladie d’Alzheimer, peut-être ? Les personnes en bleu seraient des aides-soignantes, alors, et l’on est rassuré, on va la ramener dans sa chambre. Mais un numéro vert devrait exister pour signaler ces personnes dans la détresse.


Vivre sans smartphone ... Soyons confiants et lucides, si l’on peut être à la fois lucide et confiant. Cela a existé : les mots étaient bien des outils au service de la mémoire, et ils sont bien contemporains des peintures rupestres, qui elles-mêmes sont les grands parents de la clé USB. Et la toile qui fait voyager les contenus est alors juste un colporteur version 2.0.

On imagine les images de l’évènement, agrémentées d’un commentaire ou pas,  prêtes à s’envoler, ou volant déjà vers une personne aimée ou un réseau, chez le voisin en casquette à lunettes. Futiles souvent, belles parfois, un lien toujours vers les siens ou sa tribu. Je crois bien que la révolution utile est dans ce dernier point : éviter la solitude quand elle est redoutable ou redoutée. J'ai expérimenté ne pas être seul quand on est seul, tant qu’on a la force de pianoter. Et ainsi face à la peur, à l’angoisse, on a ses proches proches, pas loin-loin …Et c'est beaucoup mieux.

Prendre des images, c’est malheureusement mettre un peu d'écran entre l’évènement et soi. Heureusement, les partager redonne du sens à l'acte. Ne pas devenir l’esclave du témoignage, comme Cro-Magnon me racontait récemment, c'est important... Forcé à des semaines de taf pour immortaliser son dernier mammouth ou son premier ours, et à des selfies hasardeux et longuets, visibles à condition de venir dans la grotte, visibles à condition d'avoir une torche ... Mais ils ne cédèrent pas si vite au confort du smartphone, les Cro-Magnon.