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mardi 22 août 2017

Si t'en tues pas un ...

L'approche de la chasse d'été du chevreuil alimente habituellement mes rêves, et parfois me tient même éveillé. Pas cette année, bizarrement ... Ce début d'été sans l'impatience traditionnelle témoigne t-il du début d'une autre époque ? D'un déclin du désir qui restera momentané, ou qui confirmera que décidément, tout passe ?
Selon le bon Saint-Augustin, "mieux vaut se perdre dans sa passion que perdre sa passion ". Alors, je me suis admonesté sèchement et envoyé à la chasse sans barguigner, aidé en cela par mes papilles de mammifère omnivore, qui elles, restaient heureusement motivées par un chevreuil ou deux. Le Lot voisin m'a accueilli à nouveau.


Troisième chasse, au tout début d'août, il est environ vingt heures ...
"- Si t'en tues pas un … Alors t'es mauvais " me dit le paysan venu voir qui est ce petit bonhomme au bord de ses parcelles, habillé de camo, canne de pirsch à la main et carabine à l'épaule.

Ça pourrait sembler quasi grossier ... Mais c'est sympa au fond, et il me prodigue aussi des conseils pour ne pas me faire descendre malencontreusement par les chasseurs de sangliers parfois à l'affût, qui ont "de ces trucs !"  : des semi-auto en 300 Mag, je présume, du bruit et de la fureur en tube.

- "Ils sont là tous les soirs à 8 heures 30, les chevreuils, tu PEUX PAS les louper ...  
- ….
- si t'es pas mauvais. 
- …
- Il y en a plein ! 
- Des brocards ? je demande, car ce sont des mâles que je cherche.
- Chaipas ! Mais ne viens pas dans le pré là-haut, mon taureau est assez « spécial »

Effectivement, le garçon fait tonner une voix aussi rauque qu'énervée. Mon petit sac à dos plein de ses conseils, et ma petite Brno Effect *** pleine de son unique cartouche, il m'explique encore qu'il aimerait que je tire plutôt un des sangliers qui font des misères à son magnifique maïs , protégé pourtant par un canon. Et il se retire vers la très jolie ferme après m'avoir assuré que je tuerai un cerf ce soir, si, bien sûr… 

La vie sauvage ...

Je me dirige vers l'endroit abrité des armes maléfiques, et si fourni en cervidés de toutes sortes. On y est bien, c'est beau, il fait doux, des palombes rentrent dormir au bois. Les brocards patientent dans les fourrés peut-être, mais ne se montrent pas.

Comme c'est le plein rut, je buttolote* quand le délai me semble excessif ; sans résultat. Je descends la combe, et sa courbe me révèle de jolies lisières aussi vides qu'il est possible pour une jolie lisière d'être vide. Les couleurs s'adoucissent et s'estompent, et je décide de monter au danger, à peu près certain qu'après avoir tué un sanglier hier, les fiers chasseurs armés de leurs sacrés trucs  ne reviendront pas ce soir.

La sueur me vient dans la côte, et le chemin caillouteux me tient une conversation trop bruyante. Je franchis une clôture presque invisible dont je note mentalement l'emplacement, car ma chambre à coucher sera là-haut. Pour sentir encore, en dormant à la belle étoile, le zéphyr qui enfin vient me caresser ... Si je ne conclus pas ce soir, bien sûr, car sinon, le frigo ou la cave  devront être rejoints rapidement. Le chemin à présent herbeux se tait, le soleil encore visible éclaire une nappe de brume de chaleur dans un vallon. Ça sera une superbe image, mais mon œil est attiré au même instant. Ni cerf, ni sanglier, mais un brocard qui me paraît beau, à 150 mètres environ sur la colline, devant un bois en partie défriché. Je ne vois que sa tête en raison du relief. 

M'a t'il vu ? Il mange en venant vers moi, cherche dans ma direction, prend une bouchée de temps en temps. Je profite de sa tête baissée pour mettre sur pied mon bipied² **.  Il s'approche toujours, zigzagant un peu, et jamais complètement de face et vraiment immobile, pour que je l'assassine sereinement. Comme l'endroit où passe la colonne vertébrale n'est pas marqué par un pointillé sur le pelage, j'aime tirer au cou absolument de face.

La distance continue à se réduire, il va être urgent de tirer avant qu'il ne me sente et s'enfuie…  Et comme il reste peu immobile, je décide de tirer davantage à la base du cou, car je redoute de blesser. A 60 mètres environ, je lâche ma balle et je le vois tomber comme un chiffon. 

Un été exceptionnellement vert dans le Segala lotois


Un mètre derrière lui, une tache de sang projeté bien ronde me dit que la balle a traversé. Où ? Je ne trouve que difficilement l'entrée, bien au point visé, et pas la sortie. J'espère que la balle n'a pas longé colonne et filet... C'est un bel animal long et jeune. Une seul pointe n'est pas ébréchée, et il porte les marques d'une blessure en velours. Un sacré bagarreur qui s'est de plus pris une clôture au printemps ... avant de me priver de ma nuit à la belle étoile.

Pas le moindre dégât lié à la balle, verrai-je plus tard.  La chasse d'été est terminée pour moi, et je décide de regrouper mes deux prises de la saison pour la postérité.

Mes deux prises de la saison
* utilisation d'un appeau célèbre, le Buttolo qui permet d'imiter les soupirs et les mots tendres de la chevrette amoureuse.
** bipied au carré ... car composé de quatre tiges se joignant par deux au sol, et permettant une grande précision en tir debout. (4 stable stick)
*** c'est un de mes Kipplauf, une carabine basculante à un seul canon, très légère, et précise. Dans un calibre léger de 6.5 mm. Une arme d'approche et non de battue