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samedi 14 janvier 2023

Des travaux de Romain

Je vous livre le récit expurgé qu'un excellent chasseur, venu de Bretonie Septentrionale a bien voulu que je publie. Ce formidable ami rabelaisien, gothique et vaguement sataniste sait à merveille rompre la monotonie des jours auvergnats. 

C'est parti... Je n'écrirait plus un mot, ou alors en bleu.

"Safari" est un mot emprunté au swahili, langue dans laquelle ce vocable signifie "voyage". Pas forcément de chasse, et pas forcément en Afrique, mais qui néanmoins revêt forcément une dimension épique - on pourrait plus parler de "périple". Et de périple, c'est bien de cela dont il s'agit, quand on arme son fidèle Duster en Bretonie septentrionale, pour une course effrénée vers les montagnes inhospitalières et à peine explorées du Cantal. Lorsqu'en plus il s'agit d'y chasser, c'est un safari, en bonne et due forme. Fort heureusement il existe en ces rudes contrées un avant-poste, un genre d'îlot de civilisation où le voyageur terrassé de fatigue, peut espérer faire relâche et goûter aux délices d'une hospitalité authentique et généreuse, en la matière de la demeure de cet énigmatique mais pourtant toujours jovial grand chasseur qu'il est blanc.

Romain construisit d'abord le buron


J'y ai maintenant presque mes habitudes, c'est la troisième année que j'y chasse (nous occultons volontairement une tentative calamiteuse en janvier 2021, dans un contexte sanitaire délirant et un mètre de neige, où au bout de deux jours de pantalonnade cynégétique raquettes aux pieds, j'ai dû finalement jeter l'éponge et regagner ma verte Bretonie et ses ragondins, penaud autant que bredouille). Comme j'y ai mes habitudes, JJ, le propriétaire terrien et détenteur du droit de chasse, me laisse désormais les clés de la boutique. Celles, littéralement, du cadenas qui verrouille le portail à bestiaux qui permet d'accéder au territoire, et celle du buron qui y est sis. Et le fagot de bracelets. En l'occurrence, un chevreuil, une biche, un cerf, un chamois, un agneau de mouflon. Et il n'est même pas forcément sur le terrain avec moi.
Ce premier matin, partant du buron, je commence l'ascension tout seul, au point du jour, JJ devant me rejoindre en cours de matinée, et c'est lui qui a les bracelets. Si je tue, il est convenu qu'il me rejoigne pour baguer l'animal, avant de m'aider à redescendre avec. Grande sensation d'extase  que de se sentir seul au monde, roi du monde. Après une bonne suée quand même, parce que ça grimpe.

Cette première ronde sur les hauteurs du territoire a le mérite de me mettre en jambes, mais ne me montre pas d'animaux, autres qu'un renard en tout début d'ascension - mais c'est d'une part dommage de faire du boucan en tout début de sortie pour un renard, quand on est venu pour un cerf, et plus si affinités, et d'autre part je suis bien incapable de le tirer, un monstrueux coup de chaud (je vous ai dit, que ça grimpe ?) couvre mes verres de lunettes d'une buée tenace -, et deux ongulés furtifs entraperçus un peu plus loin, peut-être mouflons mais plus probablement chamois.
Mon retour au buron - non sans m'être un peu égaré et avoir fait un petit crochet sur les terres du voisin- trouve JJ sur place, discutant avec "Pyjama". De pyjama il ne portait pas, mais les surnoms, vous savez, c'est bizarre.

Nous repartons (JJ m'accompagne) vers les sommets, vers la gauche, vu que je viens de faire le côté droit. Le début de l'ascension se fait en 4x4, le Land Cruiser de JJ passe encore là où mon Duster doit s'arrêter. Il y a des pistes de bûcherons horizontales qui parcourent le flanc de la montagne. Je m'engage sur la plus haute, juste sous la barre rocheuse, JJ prend celle en dessous. La technique JJ de chasse à l'approche, c'est plutôt un genre de drücken, on avance, on dérange les animaux mollement, et on peut éventuellement se les envoyer l'un l'autre. Il faut dire que dans cette hêtraie, dont le tapis de feuilles au sol est sec et bruyant, et dont le terrain est inégal et malaisé, et cause de fréquents faux pas, il est difficile de progresser en passant inaperçu ...
Je suis sous la barre rocheuse donc, là où se tiennent les chamois - le plus souvent. Celui-ci démarre devant moi, une vingtaine de mètres peut-être, s'il s'était tenu tranquille derrière son rocher il vivrait encore. Il court, mais pas très vite, plus dérangé qu'affolé. j'ai le temps de poser au sol mon tripode, et d'épauler ma carabine, que je porte à la bretelle. Il est à une cinquantaine ou soixantaine de mètres quand ma balle le rattrape de trois-quarts arrière,  et il s'affaisse au milieu de la piste. Et il essaie de se relever. Une précédente expérience malheureuse m'ayant appris qu'il vaut mieux casser un peu de viande de que de perdre un animal blessé qu'on croyait incapable de se relever, en essayant d'aller le servir au couteau, je le double et règle la question.
Las, si le coup de grâce s'avère finalement inutile parce qu'il a l'arrière gauche cassé (sous le genou, heureusement, sans donc trop de dégâts sur le cuissot) et l'antérieur droit aussi, ce qui l'a immobilisé pour de bon, le placement en est calamiteux... Inutile de seulement penser à déposer ça chez mon taxidermiste, je tiens à ce que nos bonnes relations le restent. (la balle dans sa course finale l'a défiguré)


Après avoir vidé le chamois sur place, c'est un bouc de quatre ans, et être redescendu au buron, c'est donc un rapide casse-croûte et un coup de champagne (de marque [b]Benelli[/b] - c'est important d'avoir des relations), parce que les émotions ça donne soif, avec JJ et un pote à lui, et retour chez le grand chasseur qu'il est blanc, pour une session d'écorchage et découpe de l'animal suivie d'une autre libation de champagne [b]Benelli[/b], parce que ça commence pas trop mal. C'est toujours une bonne idée de prendre un carton de champagne avec soi quand on va à la chasse.

Et avec le champagne, ce grand chasseur qu'il est blanc sert de divins filets fumés de perches et de silure, fruits de sa pêche acharnée et passionnée.

Fêter il faut savoir ... champagne et filets fumés maison




Le lendemain de ce succès, certes un peu entaché de tirs moyennement propres, mais succès quand même, je repars, tout seul, initiant mon circuit depuis un point différent, avec l'espoir de rencontrer ce cerf pour lequel je sui venu. J'ai tous les bracelets restants avec moi, parce que si c'est autre chose qu'un cerf, je prends aussi. Vous noterez que j'ai changé de veste, JJ m'ayant appris la veille, une fois la chasse finie, que depuis cet abominable accident l'année dernière où le sort a pris la vie d'une jeune randonneuse et brisé à jamais celle d'une encore plus jeune chasseresse, il est obligatoire dans le Cantal, de porter de l'orange (pas forcément intégral) en chasse individuelle. La veille j'étais donc dans l'ignorance, et en infraction ...

Toujours seul au monde et roi du monde, mais sous un ciel un peu moins rieur que la veille :

C'est pourtant depuis cette piste à la limite du praticable, mais reposante par rapport au début du parcours, que je repère un mouflon. Qui ne demande pas son reste, que je n'ai que le temps de mettre en joue avant qu'il ne disparaisse, et que je ne peux pas jauger avec certitude à cause du brouillard - le monoculaire thermique me l'a montré, mais en optique de jour, on n'y voit vraiment pas clair. De toute façon il est seul, il y a donc peu de chances que ce soit un agneau, et je ne peux rien tirer d'autre qu'un agneau.
Moins de cent mètres plus loin je trouve ses potes. Au moins trois béliers dont un très gros, je ne vois pas distinctement le reste, toujours cette brume, et des arbres partout. Bien sûr, eux m'ont vu, et ils en ont rapidement assez de me voir me contorsionner pour tenter de voir ce qui se cache derrière tel ou tel tronc. Au revoir mouflons.

Encore deux ou trois cents mètres de progression, et je trouve quelque chose d'intéressant. Entretemps la brume s'est levée, une jolie biche et deux autres animaux plus petits sont couchés au soleil - en fait je vois cette biche, une bichette, un troisième animal dont je ne vois que le cul, le reste est caché par un arbre. J'ai un bracelet pour la biche, et la biche, c'est bon. Elle est zen, ne m'a pas calculé. Couchée et positionnée de trois-quarts avant, elle regarde dans ma direction, mais ne me voit pas - elle tourne la tête calmement pour regarder ailleurs, revient à sa position initiale. J'ai le temps de sortir mon télémètre, de mesurer cent trente mètres, et même de faire une photo avec mon téléphone. Puis je décide de lâcher mon tir. La biche reste sur place, ne s'est probablement rendu compte de rien, les deux autres animaux, deux biches plus jeunes, se lèvent et s'éloignent plutôt calmement.
Je les laisse s'en aller avant de bouger pour rejoindre mon gibier. La balle est entrée à la base du cou, côté droit, un peu haut, et l'a foudroyée.

Mais... Une biche c'est lourd, et je suis seul. J'échange par téléphone avec JJ, pour l'informer du tir d'une part, pour aussi recueillir son avis, lui qui connait mieux son territoire que moi, quant à la stratégie la moins pénible pour débarder. Je rentre au Duster après avoir posé le bracelet, et reviens me garer en contrebas, aussi haut que je peux avancer. Chance, il faut la descendre, pas la remonter. Et le chasseur prévoyant, a de la corde et des gants. Deux cents mètres comme ça, quand même.

J'ai pris soin de repérer un arbre au gabarit adéquat pour la tâche qui m'attend. Je n'aime pas vider au sol quand je peux faire autrement, j'aime mon petit confort. J'ai de la corde, un moufle, une suspente, un arbre. J'installe mon petit atelier nature de traitement du gibier et me mets en besogne de vider ma biche.

La balle en continuant sa course a pénétré la cage thoracique par le haut, côté gauche, détruisant le poumon gauche et traversant le rumen. Je le sais parce que j'ai poussé le vice jusqu'à fouiller le contenu du rumen et ne l'ai hélas pas retrouvée. Et est quelque part dans le reste des viscères, elle n'est pas ressortie.

Débarder, vider, facile. Enfin, presque. La partie amusante, c'est maintenant : faire entrer le bazar dans le Duster. Rappel : il n'y a personne pour m'aider  :mrgreen: 

rabelaisien, je vous dis ...



Une corde autour du cou, passée par la portière, et on tire dessus en lâchant progressivement du mou sur le moufle, pour faire entrer l'avant. On revient vers l'arrière de la voiture, sans lâcher de corde, et on tire d'un côté en laissant filer de l'autre, en soutenant le poids de la biche sur l'épaule, transfert de poux et tiques assuré, et on pousse. Et ça marche. Mon père me disait toujours, quand on n'est pas fort il faut être malin.

Victoire ! Encore. Mais surtout, encore plus. Chassée, trouvée, tirée, tout seul. Débardée, tout seul. Et chargée, tout seul. Retour chez le grand chasseur qu'il est blanc, écorchage, découpe, champagne ! Encore. Une fois rentré en Bretonie, c'est Plancoët pendant une semaine.

Le matin du troisième jour je n'ai pas abandonné l'espoir de tirer ce cerf, évidemment. Il fait un temps splendide. Je décide d'explorer la partie basse du territoire, carrément pas à l'aube, le tir de la biche la veille à 10h24 m'a appris que le départ aux aurores n'est pas une stricte nécessité, et puis, ça commence à tirer un peu sur l'organisme, aussi. J'ai des courbatures partout. Point de cerf.

JJ me rejoint, on casse une petite croûte. Il me sert du gewurz, que je suis content de boire, et il m'en ressert un, et il me dit qu'on va aller faire un tour du côté de là-bas très haut. Si j'avais bu les deux verres de pinard, c'est que je comptais bien m'arrêter là pour aujourd'hui, ou du moins ne reprendre que le soir, tranquille, à l'affût assis devant le buron, en surveillant le pré en contrebas. Après tout, c'est comme ça que j'avais tué mon chamois l'année dernière. Et puis j'ai laissé des bouts de tripes de la biche en bas, et j'ai posé les os en haut, en me disant que peut-être je verrai passer un renard. Mais non, il faut se remettre en route, et encore bouffer de la pente. Sans surprise, les deux verres de pinard me coupent les pattes. JJ, saligaud ! Bien sûr, nous ne voyons rien. À part des cèpes, ça court moins vite que les cerfs et c'est bon aussi. Et moins lourd à redescendre.

J'avais proposé au grand chasseur qu'il est blanc l'idée de m'accompagner pour ce court affût du soir. Qui ne nous aurait pas fait rentrer trop tard, et n'aurait donc pas gêné son adorable épouse. Et puis, il était plus que temps que nous parvenions à partager un moment de chasse. Je le récupère donc chez lui vers 16h30, il revient d'une partie de pêche enfiévrée qui lui a offert onze beaux gardons. Nous prenons la route pour le buron. J'installe le grand chasseur qu'il est blanc dans une chaise de jardin, lui sert un Lagavulin, lui confie le monoculaire thermique et m'installe avec mon autre carabine sur un appui stable, sur bipied.
Une demi-heure avant l'heure légale de fin, alors qu'il commence à faire déjà sombre, à peine de quoi tirer mais la grosse Kahles (lunette de tir) laisse heureusement passer - tout juste - ce qu'il faut de lumière, le grand chasseur qu'il est blanc m'annonce : "là-haut, un animal ! C'est un renard, ou un loup ! Tu le vois ?"
Je cherche dans ma lunette, balayant le flanc de la montagne pour m'arrêter sur une masse sombre qui se déplace au pas. "Oui, mais je sais pas ce que c'est !" L'animal se déplace de cinq ou six mètres, je distingue mieux sa silhouette sur un fond un peu plus contrasté. "C'est un sanglier !" Le réticule est déjà là où il faut, le fracas suit ma confirmation d'identification, et le sanglier tombe comme une brique. Euphorie, liesse ! Le grand chasseur qu'il est blanc s'assure, grâce au Pulsar, que le sanglier reste bien là où il est tombé. Nous nous servons une rasade de Lagavulin, rangeons la carabine à bord du Duster, et montons le chercher.
Ce n'est pas chose aisée de mettre la main dessus. Malgré torche puissante et vision thermique, il nous faut une bonne demi-heure avant de le trouver, trente mètres plus bas que la piste, dix mètres plus bas que les ossements de la biche. C'est peut-être pour ça qu'il était venu, le bougre. Il y a deux cents mètres depuis mon poste de tir. C'est le gros. C'est. Le Gros. C'EST LE GROS ! Fille de joie !




Et ça va être une horreur de le remonter. Je le prends par une oreille et je tire. Il ne bouge pas d'un centimètre. Heureusement j'ai des cordes (je vous l'ai déjà dit, non ?). Et heureusement j'en ai assez pour aller du sanglier jusqu'au Duster, après avoir passé la corde derrière un arbre en bord de piste. Le grand chasseur qu'il est blanc s'installe au volant, et recule hardiment tandis que je reste dans la pente pour aider la remontée du keiler. Nous le montons sur la piste avec une aisance qui confine au comique.


Et le voici, le fier grand chasseur qu'il est blanc, posant pour la postérité avec la grosse bête dans la prise de laquelle il a joué un rôle majeur 

Pour la postérité seulement




Champagne. Encore. Dîner. Je plane. Je crois que lui aussi. Il va se coucher, il me reste à éviscérer cet admirable et authentique sanglier de montagne, du genre qui n'a pas dû manger beaucoup de maïs dans sa vie. Je crois que je suis encore plus content que si j'avais tiré ce cerf pour lequel je suis venu.

La balle a touché le haut de l'épaule et sectionné la colonne. Sprütch, comme on dit (ou sprøtch, je ne sais plus - ça dépend de l'accent). (Sproutch en cantalou classique)

Et au retour, en apothéose, au péage à Clermont-Ferrand je me retrouve derrière un ami des zanimos, moi qui trimballe un chamois et une biche en pièces détachées, un sanglier le ventre en l'air, quatre carabines, les fromages offerts par le grand chasseur qu'il est blanc, et de quoi découper et mettre sous vide la moitié d'un troupeau.

                                                                                                       Romain


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