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jeudi 24 septembre 2020

L' espoir (by Josero)


Loulle, c'est son prénom, un diminutif provençal de Louis, je crois. C'est un déjà vieux viticulteur, dans sa ferme, chasseur aussi.  Fine, c'est sa femme : Delphine ? Joséphine ? Loulle est, je crois, vaguement dépressif, parfois, et presque toujours misanthrope. Josero, qui écrit ces textes, lui ressemble peut-être un peu. Il en parle si bien,  si rarement, et ne veut pas publier ses perles. A ma demande, il a bien voulu qu'elles viennent enrichir  mon blog. On trouvera pas mal de mots provençaux, et d'expressions provençales. Leur traduction, pas forcément.

L’espoir.

Ca va bien faire deux heures qu’il est parti. Fine doit se tourner les sangs. Mais bon, il fallait qu’il  parte, sinon il allait devenir fou. De la maison à la route, ça fait pas loin. Juste la Pièce Longue à traverser. Un champ ! Nu comme la main. Quand tu es sur le tracteur, tu dirais pas qu’elle est si longue. Mais à pied, putain ! Et sans se faire voir, c’est pas gagné. Mais bon il est arrivé à la route qu’il a traversée comme une flèche, la peur au ventre. Attention, pas la peur de se faire écraser, parce qu’en temps normal, il doit passer une voiture toutes les quarante minutes, alors tu penses, en plein confinement !

Non il a peur de se faire voir. Comme il parle plus à personne au village il veut pas qu’on parle de lui. Et puis il faut bien le dire, Loulle c’est pas un courageux. Par contre, ne va pas imaginer que c’est un cague aux brailles. Il a pas peur d’affronter un cochon au ferme avec son opinel à virole. D’accord que ceux qu’il a servis à l’opinel, c’était pas des monstres, mais quand même … Il a peur aussi de se faire attraper par les gendarmes. Ceux là, tu les vois pas de dix ans, suffit d’une fois où tu es pas en règle pour qu’ils se pointent. Loulle, il a toujours respecté la loi. Jamais un sens interdit, jamais pris la place d’un handicapé, rien ! Un modèle.

Peut être un peu de braconne de temps en temps. Mais ça fait partie du patrimoine génétique des gens de la terre. Surtout ceux d’ici.  Alors on va classer ça dans l’interdit autorisé. Par qui ? Mais par lui et tant d’autres qu’il ira pas dénoncer. Il manquerait plus que ça !

Mais aujourd’hui il a merdégé dans l’interdit non autorisé.  Bien que cela ne prête pas à conséquences, parce qu’il risque pas de contaminer qui que ce soit, vu qu’il n’a pas rencontré un chat, et qu’il n’est certainement pas malade,  mais c’est pour le geste. Il a l’impression d’avoir mal fait. Donc, il est un peu contrarié là dessus et ça lui gâche une partie du plaisir ... N’empêche que pour le moment,  il boit tout son content de soleil, même si c’est le pareil sur ses terres, mais là c’est presque comme si il avait volé quelque chose de précieux. Pas précieux comme un trésor, mais précieux tout de même.

Donc, après la traversée périlleuse de la route, il est entré dans le bois. Tu peux pas imaginer le bonheur de se frotter enfin aux branches basses, même si des fois une maligne essaie de t’éborgner. Dieu sait s’il a fait attention à ne pas faire de bruit craignant qu’on le surprenne. Si peu de bruit qu’il a failli faire un arrêt cardiaque quand une niade de cochons lui a démarré des pieds en rouspétant. Ou ces favards occupés à boire, qui ont fait claquer leurs ailes comme des mitraillettes. Quand tout est silencieux, le moindre bruit te fait sursauter.

C’est la saison des amours et pour les merles, c’est à celui qui chantera le plus fort. Des mésanges passent d’un arbre à l’autre dans un vol feutré. Là c’est un écureuil qui vient de laisser tomber la pigne qu’il tenait. Des barres de soleil épaisses, si droites et raides qu’on pourrait croire que tu pourras pas les traverser, descendent du ciel vers la terre, emprisonnant dans leur lumière, des milliers d’insectes, dont les ailes sont autant d’étincelles pétillantes. 

Le temps s’est changé en statue. Il ne bouge plus.  Seul le bourdonnement incessant des abeilles qui s’affairent en un ballet désordonné, dérange cette immobilité. L’odeur du printemps en avance cette année, fait tourner la tête des pins, qui  dispersent au souffle palpitant d’une brise de fin d’après midi, la poussière jaune de leur pollen qui tache les fleurs mauves des cistes. Au loin, la cloche retentit, sonnant cinq coups. 

La tristesse s’étend à perte de vue. 

Dans la mélancolie trop bleue, d’un ciel qui se prend les pieds dans les tréfonds de la terre, rien ne fait penser à cette mort qui rode dans le monde, et à cette menace présente dans l’air que l’on respire. Loulle se hâte. Cette fois, il marche sans précautions, ouvrant son chemin entre les branches, qui essaient en vain de le retenir. Alors quoi,  il ne les verra plus les blés qui s’agenouillent sous le poids des épis lourds de grains ? 

Alors il ne tachera plus ses doigts aux grains poisseux et douceâtres des raisins d’octobre, que l’on cueille dans les rires joyeux des vendanges ? Et il ne fera plus tourner une cavalière inconnue dans des valses musette, sous les lampions multicolores de la fête votive, au rythme des sons plaintifs de l’accordéon ?Il ne fera plus ces parties de pétanque sous les soleil impitoyables des mois d’été, où à la fin on trinque au comptoir des buvettes, à boire des pastis sans autre raison que de fêter la vie d’ici, avec les rares amis qui lui restent, dans ce village que contemplent avec dédain, les premiers murs des Alpes ?

Allons ! La vie ne va pas s’arrêter ! Pas maintenant. Il a tant à faire !

Oui, il va les entendre encore les menées joyeuses des chiens, il va encore battre son cœur, à revoir les sangliers, il va encore les poursuivre dans les vignes, les grives qui se saoulent aux raisins oubliés par les vendangeurs. Et chaque pas de plus le rassure. Chaque buisson qu’il traverse déchire des pans entiers de cette angoisse qui habillait encore ses épaules. Il redécouvre son univers, son cœur bat à l’unisson avec ses terres qu’il reconnaît aux odeurs qui s’en échappent, avant même que de les voir.

Il est chez lui. Il marche au bord de la Pièce Longue. Il traverse la route. Sans se presser. Pourquoi il se dépêcherait ? Il a tout son temps. Toute la vie qui lui reste. Il s’en contrefout des gens du village, des gendarmes et de tout le reste. Il va vivre. Lui, Fine et tous les autres. Comme avant…

Il monte l’escalier. Fine l’attend. sur la terrasse.

- Mais t’étais où, sainte vierge., que je me suis tournée les sangs ? Encore une peu, et j’appelais les gendarmes !

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