J'ai pour vous une histoire étrange et grotesque. Et abyssale aussi. Forcément, je n'ai pas tout compris, car quand on est dedans, on n'a pas la distance qui conviendrait à sa relation. Je pensais être un pêcheur de toujours, et je voulais me mêler aux discussions des meilleurs. Mais je ne suis qu’un pêcheur d’autrefois, un fumeur de gitanes qui venait trainer aux portes de l'Olympe. J’ai fait l’expérience désagréable d'être rejeté par des pêcheurs que j'aurais volontiers admirés. Mais ce rejet n’était pas réciproque, et c’est déjà ça. D’ailleurs, s’il en allait des pêcheurs comme des petits pois, pourquoi aurais-je eu des préventions parce qu’il était écrit « extra-fins » sur la boite ?
Le contenu de ce forum était parfaitement à la hauteur de l’emballage : le no-killer est un très bon pêcheur, qui pêche mieux, qui comprend mieux le milieu et qui capture plus souvent que d’autres de beaux poissons, qu’il remet systématiquement à l’eau après les avoir parfois photographiés. Tandis que si je photographie les rares poissons que je pêche, c'est plutôt sur la planche à découper, ou fumés, ou dans l'assiette.
Mais
je ne voyais pas malice à nos différences ; ces épées de la
pêche m’adopteraient vite… C’était en 2019, et six ans plus
tard, je suis resté le mouton noir. De plus en plus noir, même. J’ai appris sur les milieux, sur la pêche en général ... et même sur les spécificités
des sols karstiques de Franche-Comté lors d’un sujet concernant
une pollution. Si le no-killer ne rigole que quand il se brûle, il sait des tas de choses. Et il n'aime en matière de pêche que ses alter ego.
Pour défendre notre
loisir, il sera aussi facile demain d’unir les différents types de
pêcheurs de loisir que de mélanger l’eau et le feu. Aucun gué
entre ceux qui pensent que pêcher et relâcher des poissons
est LE chemin, et les adeptes d’une pêche nourricière, assis juste sur
l’autre rive. Selon les premiers, le pêcheur qui se fait une
friture de gardons, un plat de perches, un sandre, n’a d’excuse que s’il est très pauvre. Mais il ne devrait en aucun cas se mêler à eux.
Bon, je ne bois pas avec les ouvriers, non plus.
Le no-kill (catch & release, grâciation) n’a pourtant pas donné de gain significatif aux milieux, si j’en crois Wikipédia, ou des articles à connotation scientifique. Cela ne va pas empêcher l'adepte de toujours ou le converti de la veille de le promouvoir, et éventuellement de guerroyer à chaque occasion avec ses ennemis que sont les pêcheurs différents, les vifeurs, les pêcheurs aux appâts et d'autres ploucs qui iraient peut-être jusqu'à manger leur poisson... J’imagine qu’il y a, pour le pratiquant fervent et rigoureux du no-kill, le franchissement symbolique d’une ligne imaginaire qui lui ouvre le droit de pêcher jusqu’à plus soif sans culpabilité.
Le "catch and release" peut probablement satisfaire le besoin de prédation quand il nous habite, mais il se trouve interdit par exemple en Suisse et en Allemagne, au titre du bien-être animal. Et je vous interroge : si Dieu avait donné aux poissons la voix stridente des cochons, le no-kill se serait-il répandu, aurait-il été porté par des influenceurs badgés comme des coureurs cyclistes ou de Formule 1, par les professionnels de la pêche de loisir, et même par les instances élues des pêcheurs ? Tandis que capturer juste "son" poisson ou "son" cochon pour le manger, qu’il crie ou pas, ça tient la route depuis 300 000 ans.
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Vous n'avez jamais vu l'aube. La vraie. Pas celle du premier train de banlieue. Seul le pêcheur sait le gout exact du matin .../... (René Fallet) |
Autre question, que j’aurais aimé aborder, quel paysage halieutique donne la législation qui interdit la pratique du no-kill en Allemagne ou en Suisse ? Le marché des leurres et l'hypersophistication du matériel vont-ils moins vite que chez nous, et cela a-t-il donné des pêcheurs différents ? Mais nous n’en causerons pas.
Les deux pratiques ont forcément des effets sur le poisson et sur le milieu, mais elles peuvent toutes deux rester dans le « user sans abuser », loin de celle des chalutiers. Je suis finalement rentré chez moi, la queue entre les jambes ; j’irai en causer dès que possible avec la Dame du lac.