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mardi 8 décembre 2020

Un pied dans l’hiver (by Josero)

Loulle, c'est son prénom, un diminutif provençal de Louis, je crois. C'est un déjà vieux viticulteur, dans sa ferme, chasseur aussi.  Fine, c'est sa femme : Delphine ? Joséphine ? Loulle est, je crois, vaguement dépressif, parfois, et presque toujours misanthrope. Josero, qui écrit ces textes, lui ressemble peut-être un peu. Il en parle si bien,  si rarement, et ne veut pas publier ses perles. A ma demande, il a bien voulu qu'elles viennent enrichir  mon blog. On trouvera pas mal de mots provençaux, et d'expressions provençales. Leur traduction, pas forcément.


Troisième texte de Josero


Quand Les jours baissent et s’assombrissent au rythme des pas lents d’un automne qui ne veut pas rendre grâce, et qu’on surprend au hasard de quelques matins, une gelée timide qui s’accroche aux champs ensemencés et les baigne de blanc, alors le temps des heures noires arrive. Les ciels de novembre qui ont connu les combats violents des nuages de la Toussaint, se parent maintenant de mauve quand le soleil les quitte, et la tristesse se blottit dans des replis secrets au fond des maisons , où soupire la marmite de soupe. Le feu qui s’agite sous la braise fait éclore des images changeantes, et une étincelle qui s’envole et meurt dans le puits de l’âtre noirci, installe dans le cœur des hommes une sourde mélancolie.

La grosse horloge comtoise distille les heures et les minutes, calée contre un mur qu’elle croit retenir, dans sa vanité d’horloge qui mesure le temps et qui pourtant le laisse s’enfuir. L’écran de la télévision lance des éclairs d’images, ritournelle incessante des informations, qui à longueur de journée, plongent les humains dans la morosité.

Loulle n’y prête pas attention. A quoi bon ? Fine lui fera le résumé ce soir. Lui, il rêve. Aux jours disparus. A ces jours où il pouvait aller et venir à son pas, boire un coup avec cette main d’amis qui lui restent, regarder les matins s’éveiller au  chant du coq, et surprendre la nuit qui vient  poser sa patte de velours sur la terre qui l’engloutit. Une bélugue (étincelle) plus grosse et plus vaillante que les autres, lui rappelle l’éclair du coup de feu faisant bouler la lèbre imprudente au détour d’un regain.

Mais la chasse est finie. Celle pour de vrai.  Parce qu’il pourrait y aller à l’autre, celle qui t’apporte le frisson de l’interdit. Celle des nuits avec ses lunes blanches qui transforment tout. Ces silhouettes d’arbres qui deviennent menaçantes, ce grincement soudain des branches qui se battent entre elles, font battre le cœur plus vite et plus fort de celui qui par mégarde, se serait attardé au creux de ce chemin qui lui semble interminable maintenant,  frissonnant au grognement des sangliers en maraude, au miaulement plaintif de la matchotte, et à la nuit, qui prend tout dans sa main noire et lui fait hâter le pas vers les lumières du village qui lui font signe au loin.

Loulle n’a jamais craint la nuit. Pendant longtemps elle a été sa complice, sa maîtresse. Tuer un sanglier à l’espère ne lui a jamais fait reproche. Car dans ces pays, loin des foules qui se repaissent de bruit dans la laitance brillante des néons et des enseignes, le braconnage est tatoué dans les gênes. Ce n’est pas pour en tirer profit, non, c’est juste cette espèce de plaisir confus que l’on ressent à la vue du chevreuil qui vient au gagnage, ou du lièvre qui s’affole à l’ombre fluide du renard, et derrière ça, la peur de se faire prendre, qui tord les tripes langoureusement.

Mais en ces heures troublées, ils sont nombreux à se blottir derrière un cade ou dans un fossé  à serrer le canon froid du fusil, essayant de trouer les ténèbres d’un œil inquiet. Alors il a abandonné ses nuits coupables car il ne voudrait pour rien au monde, croiser quelqu’un à l’orée du bois. Et puis, le cœur n’y est plus, cette saloperie de virus n’a pas tué que des gens. Il a tué la convivialité en distillant chaque jour la peur d’une maladie inconnue 

Lui il n’a pas peur. Comment tu veux qu’il la chope la Covid ? Déjà qu’en temps normal il voit pas grand monde, alors là ! Le village est lugubre. Seules les lumières des maisons font savoir qu’il y a encore des vivants.



Il sursaute car le feu se met à pétarader comme un fada. Ségu que Fine vient d’y mettre une branche d’aubépine. Ce bois il pète et il pue. En plus, il est plus dur que le fer, alors avant qu’il flambe en entier, il va empester la maison. Il a du s’endormir car il n’a pas vu Fine mettre le soucaoù (souche) d’aubépine. Celle là, elle fait toujours ses coups en douce. Il ne lui dira rien. Pas de reproche. Le temps n’est pas aux disputes. Surtout pour un morceau de bois.  Faut dire aussi qu’il est contrarié. Demain, ses amis et tous les autres à qui il ne parle plus, vont chasser. Faut tuer du sanglier, c’est le gouvernement qui les oblige. A ce qu’il paraît.  Bon, d’accord que lui à la battue il n’y va plus. Mais il ressent comme une envie.  Les choses c’est quand tu peux plus les avoir que tu les veux encore. Ce qui le console un peu, c’est de ne pas participer à tout ce cirque. Et je mets un masque, et je me tiens loin des autres. Je mange tout seul comme si j’avais le choléra. Parce que ce virus, c’est pire que le choléra !  D’accord qu’il a pas connu ça, mais il en a entendu parler.

Alors chasser avec toutes ces choses qui t’obligent, il a pas envie Loulle. Déjà qu’en temps normal il aime pas être obligé, là il supporterait pas cette ambiance. Ca le console un peu d’échapper à cette mascarade, c’est le cas de le dire ! Admettons que demain en entendant les chiens, il lui prenne mal. Comme un malaise, comme un drogué en manque. Hè bien, il partira s’occuper ailleurs. Même si le travail est fait depuis longtemps, il ira tè..il ira.. Ségu qu’il le sait pas. Et puis, de n’importe quel endroit du pays, il va les entendre les chiens. Et les pétarades ! Imagine qu’ils fassent le domanial, encore que c’est pas une bonne idée.  Il n’y a pas un seul morceau de culture. Mais bon, admettons. Encore qu’il aurait son mot à dire là dessus. Pas forcément écouté, mais il l’aurait dit. Il serait alors allé se poster à la barrière, là où il avait tué ce sanglier presque blanc. En fermant les yeux, il le revoit ce vieux mascle, sortir des lambeaux de brume pour aller vers sa destinée.

Daïze (attention) Loulle, tu pantailles (rêves) de trop. A la battue, tu n’y vas plus. Pas la peine de pleurer sur ton sort. T’as choisi. Mais des fois, tu choisis forcé. Il aurait pu continuer, mais alors il aurait fallu qu’il se taise. Et lui, se taire il sait pas. Alors il a préféré renoncer à ces matins où en buvant un mauvais café, on plaisantait en critiquant les maladroits, ces moments de partage d’une amitié pas si profonde que ça en vérité, mais qu’on faisait semblant de croire. Et ces heures passées au poste, guettant le moindre bruit, le cri de victoire d’un chien qui avait trouvé, la branche qui craquait sous la patte de l’animal, l’ombre noire fuyant au travers des buis, ou sortant brusquement de la barrière des chênes verts, tout cela s’est enfui.

Alors quand plus rien de tout ce qui fait le bonheur de chasser n’existe, autant tourner le dos aux souvenirs.

Et faire face à un avenir de plus en plus sombre.