Nombre total de pages vues

samedi 29 juillet 2017

Dégât des eaux

Cela fait quarante-cinq ans qu'un petit voilier glisse parfois entre mes oreilles. Et qu'une santé flageolante me garde sur la berge. Mais là, je le sens bien, je suis moins cassé. Un peu. Une journée sur un First 210* tout début avril 2017 a rallumé le rêve pas encore éteint depuis une balade sur le Golfe d'Ajaccio un an plus tôt sur un Evasion 32. Mmmhhhhh ! Il se barre du bout des doigts, ce First 210 !!! Trois jours de stage avec les Glénans ** suivent, dont je reviens enfiévré, et le cul un peu douloureux des assises inconfortable. Je peux le faire !

A moi petites annonces, articles des revues nautiques, et rêves bleus et penchés. C'est capitaine que je serai ! La visite " pour voir " des plans d'eau douce de mon département me laisse de marbre : ce n'est pas à la taille de mes rêves, lesquels s'ajustent mieux avec les dimensions de l'Etang de Thau. Où je me sens délicieusement perdu, mais pas trop. Une petite mer, presque.

J'achète un Blue Djinn *** de vingt ans, et je réserve une dizaine de jours au port de Mèze. Commencent - dans la tête - les tracas du grutage qui s'avère finalement indispensable malgré la promesse de glissade sur cale de ce dériveur pur. Le stockage de la remorque dont il faut bien faire quelque chose en est un autre. Mais des questions administratives d'immatriculation retardent l'achat. Exit Mèze, donc.

Moins d'un mois plus tard, la chose administrative est réglée, la facture aussi, et j'attelle le bateau. C'est parti pour trois heures de route stressante avec mille deux cents kilogrammes aux fesses : quatre-vingt kilomètres par heure sur route, dix de plus sur autoroute pour éviter la mise en lacets. Peut-être manque t-il du poids sur le timon ? Première nuit dans mon six mètres, sur un parking où je suis déjà secoué par des rafales de Sud, après le matage réussi pour lequel Bruno, l'ex-propriétaire, joue l'essentiel de la partition.

Derrière la voiture


Le lendemain, un copain, Jean-Didier, nous rejoint alors que Bruno finit de changer les bosses de ris ( des cordes, quoi !) mangées dans la bôme par des loirs durant l'hivernage ! Nous courons tous trois une bonne vingtaine de milles en ligne droite ou en zig-zag. C'est formidable. Sauf la barre un peu dure par rapport à celle du First. Je touche le ciel du doigt, tout comme le lendemain, où nous enchaînons les manœuvres. Cela correspond si bien à ce que j'espérais ... mais je commence pourtant à redouter les lendemains ...

Car Bruno n'est plus là. Jean-Didier et moi faisons quelques courses, dont du carburant en abondance. Et de l'huile pour moteurs deux temps. Nous perdons un temps inouï pour savoir la valeur de la doseuse  intégrée ... Alors qu'elle était bien inscrite, mais nous avait échappée ... Y a t'il un, deux, quatre centilitres dans cette maudite dose ? La victoire du raisonnement sur la presbytie adoucit notre rancune soudaine contre Total.

Le vent est faible ; nous aussi. Première manœuvre de port, nous nous faisons un peu peur, réalisons une sortie du port et retour au moteur. C'est chaud … Bah ! ce sera mieux la prochaine fois ! Mais non ... Sortie en marche arrière, passage en marche avant et virage qui tarde, tarde, tarde ... Boum, Flâneur caresse un poteau. Nous sortons du port, et y revenons. Mon cœur saigne un peu, mon optimisme fait comme une une traînée grasse dans ce bout de sillage foiré.


Mon joli Flâneur


Le lendemain, je suis seul. Je décide courageusement de ne pas faire de manœuvre au moteur. Ni à la voile, évidemment. J'assiste aux joutes qui se déroulent à deux pas sur le canal. Superbe ! Ah, une place assise ... Je promeus la vulgaire table porteuse de prospectus en estrade personnelle car elle reçoit un peu d'ombre, et j'y pose mes fesses, rapidement rejointes par d'autres et d'autres encore. Toutes ces fessiers et kilogrammes rattachés se retrouvent brutalement au sol. Et j'ai droit aux soins des secouristes qui  au vu de l'enflure immédiate de ma cheville, pronostiquent une entorse, heureusement plus spectaculaire par ses jolies couleurs à venir que douloureuse.

J'ai pris rendez-vous pour mettre le bateau sur remorque, et pour le démâter le lendemain matin. Vent frais annoncé jusqu'à 35 nœuds dans les rafales, de nord-ouest (65 km/heure). L'ombre du radeau de la Méduse couvre les jolis sillages des jours précédents.

Olivier, copain du club, est pris par le travail, alors un autre membre de l'Aviron Marseillannais vient à mon secours. Avec Christian, sortir de la place n'est pas un problème malgré le vent. Il fait avancer jusqu'au quai le bateau que je garde aligné avec les deux amarres arrière, et le détache. Je libère l'amarre arrière sous le vent, il détache ensuite celle au vent, et je teufe-teufe à reculons. Puis à donf le moteur en marche avant, pour virer en poussant barre ET moteur. Flâneur veut bien virer court, ainsi mené. C'était donc ça … A la sortie du port nous sommes attrapés par la tramontane plein travers, je fais donner tous les chevaux sur les instructions de Christian, et je tire sur la barre. Le brise-lame cesse de s'approcher ... Suivent deux appontages "presque bon" à Tabarka. Et commence la pénible séance de mise sur remorque, de démâtage, de changement de remorque. Sans Christian, je n'y serais jamais arrivé, grand merci à lui. Qui a dit qu'on n'avait pas besoin d'une place de port pour un petit bateau  ?

Suivront cinq heures de route … Plus vingt minutes pour réussir à reculer dans l'allée de la maison. Et là, Flâneur, insensible à mes calculs cartésiens qui concluaient le contraire, bouche l'entrée du garage !

    *First 210, petit voilier de Bénéteau, voilier de 6.20 m et 1300 kg, très marin, beau et agréable à barrer.
    ** Ecole de voile 
    ***Blue Djinn, petit voilier de B2 marine, mesure 6.09 m, s'échoue à plat, pèse 900 kg "seulement ". Davantage transportable.