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jeudi 20 juin 2019

Terre-neuva d'Auvergne


Terre-Neuva d'Auvergne


Je vais vous narrer, et vous aller vous marrer, ma première campagne de pêche dans les quarantièmes meuglants (pas de tempêtes ni de rugissements ici, mais beaucoup de vaches). J'ai déjà coché-transposé   Le vieil homme et la mer, dans Le vieil homme et les vertes collines alors il me faut trouver un autre parallèle … Ce sera le quarante quatrième, alors. (44.929  N, 2.217 E)


Comme campagne de pêche, c'est un peu court, certes, mais j'ai dormi dans le bateau, quand même ... Six mois auraient été trop longs.

L'équipage a été choisi pour ses hautes qualités, tant physiques que mentales, car ce sera dur. Il est composé de moi-même, d'une dizaine de poissonnets qui s'ignorent encore être des spécialistes du sandre, de trois cannes à pêche, d'un sac de couchage et de fruits secs. Je pourrais éventuellement manger les gardons si la faim me tenaille et pêcher avec des fruits secs le lendemain. J'aurais pu emmener un gravier* pour sécher et préparer le poisson, un maître-saleur, etc … Mais l'ambition démesurée n'est pas ma caractéristique première.

Pourquoi je préfère dormir dehors ** ? Parce que j'ai horreur de me lever tôt et, à la pêche comme à la chasse, si tu dors à la dure, tu es content de te lever, et tu es déjà sur place, en prime.

Le port de Rénac n'a pas la dimension de celui de St-Malo ou de Dunkerque, aussi ai-je jugé inutiles les processions et autres fêtes païennes la veille de l'embarquement : celles où les marins sont déguisés en femmes. En fait, les marins partaient le lendemain vers Terre-Neuve ou l'Islande, leurs affaires étaient dans le baluchon, alors ils empruntaient les habits de leur femme, ai-je entendu …

Le lac est calme, moi aussi. Je file vers une anse où pointe un émissaire. Je me dis qu'un petit affluent est comme une cerise sur le gâteau,  qui lui-même ferait un dessert bienvenu ce soir. (44.927 N & 2.220 E). L'eau est déjà plus humide en Auvergne qu'ailleurs, mais je mouille quand même, à quelques mètres de fonds incertains et en restant par 3-4 mètres de fond, et je serai à l'ombre en prime. Ben non finalement, le soleil, il tourne bien ... Galilée, enfoiré !!!!

Le soir ...


Commence la galère du pêcheur moyen. Moyen, j'ai dit, pas médiocre. Le pêcheur de haut de gamme, lui n'a pas de souci, les nœuds d'attache se font comme par magie, il a un matos génial, et s'il prend un thon, c'est vraiment un poisson. Et tout ça finit en HD sur Youtube ... Mes montages à moi, mûrement pensés pourtant, nécessitent des retouches, elles-mêmes sujettes à retouches et re-retouches. La retouche avant la touche ? Ben non !

M'en fous, c'est royal ici. Un milan du même métal, royal, pêche un poisson en piqué devant mes yeux,  je lui jette mentalement des pièces. Ils sont trois à faire des arabesques magnifiques.

Si le milan est royal, ce n'est pas le cas de ma cambuse. C'est possiblement avantageux d'être petit et tordu dans la vie, plus en tout cas que d'être noir et bègue,  mais là, si ma longueur m'avantage ****, ma capacité à me contorsionner trouve aussitôt ses limites. La circulation d'air inexistante dans le petit bateau sans hublot ouvrant m'incite à dormir la tête vers la descente, mais l'air trop frais et les moustiques trop chauds m'incitent vite à un 180 degrés***. Ah qu'on est bien ! Pas bien du tout en fait, mais je finis par plonger. C'est le feu d'artifice qui me réveille ! Pas loin après l'endormissement, d'ailleurs. Merdre, il ne DEVAIT PAS y avoir d'orage. Que fait le gouvernement ?

Mais orage il va y avoir, et, annoncé ou pas, je risque de déraper sur mon mouillage précaire dans les rafales, et de passer une nuit épouvantable. Je lève le mouillage, et à la lampe frontale un peu , aux éclairs surtout, j'approche un ponton privé tout proche, qui semble solide ... sauf que rien ne permet de s'y amarrer. Je mets en fuite, avec mon stress et ma lampe frontale, car il fait nuit noire, parsemée d'éclairs, avec pour seul GPS mon téléphone et un logiciel de rando ... Pourvu que l'orage éclaire bien sans qu'il tombe trop d'eau et sans qu'il y ait trop de vent. Perdu, sauf pour la foudre, et il est un moment où seul le ciré jaune doit manquer au tableau … Et les vagues aussi, d'accord ! Après une trentaine de minutes de navigation crispante, j'arrive à ma bouée, m'en saisis … Ouf !

J'attrape encore une heure ou deux de sommeil chaotique avec bruit de clapot sonore, de gouttes sur la coque, de deux ou trois grêlons. Le jour me réveille et c'est archi-calme. Tout est trempé sur un bateau, le matin, qu'il ait plu ou pas. Je pointe la tête ... Des moyens poissons coursent les petits en surface, alors je course les moyens poissons avec leurre et vifs, mais pas moyen. Mes lignes semblent désormais presque au point, et c'est déjà ça.

Le soleil pointe, je décide de changer de poste, je vais en un endroit proche qui restera ombragé ***** encore une heure ou deux, mais la hauteur d'eau y est analogue à celle que je viens de quitter, et qui fut improductive. Alors je file vers une autre rive, proche d'une passerelle, où les fonds sont abrupts et rocailleux. Mon mouillage veut bien tenir grâce à la quasi absence de vent. Contre toute attente, au bout de presque deux heures une touche franche et dynamique, et un ferrage engagé, m'offrent une belle bagarre. Et ce joli sandre rejoint l'épuisette sans barguigner plus de trois minutes. Le soleil est chaud, ma nuit m'apparaît soudain sympa, le cadre idyllique, le monde merveilleux. Mon cœur s'envole ...

52 cm, 1.4 kg, pas un monstre, mais un plaisir monstre



C'est le premier sandre que je pêche, il n'était pas à la mode il y a quarante ans, en tout cas pas à la mienne. C'est un délice gastronomique, tout comme la perche.

Les cales ne sont pas pleines,  mais suffisamment garnies pour que je mette le cap sur le port.





    *[ Terre-Neuvas] Des enfants et adolescents étaient employés comme graviers pour assurer le séchage des morues sur les graves, les terrains caillouteux du rivage et exploités de manière éhontée (Wikipédia)

    ** Daran, Dormir dehors https://www.youtube.com/watch?v=Wmy1OFHk13s

    *** Non, ce n'est pas la température
    **** Question de couchage, donc longueur et non taille …
    ***** Le sandre serait un poisson qui n'aime pas les lumières violentes.

lundi 17 juin 2019

L'homme est bon

Deux fois !!! C'est la seconde. J'étais tranquille j'étais peinard, j'attendais que la porte du restaurant s'ouvre. C'était sur le Jean Nicoli, mon périf repéré ... mon ferry préféré. Grand, fort, et jeune encore, je me voyais, et je rentrais de mes vacances corsicaines ..." prenez ma chaise" qu'y m'dit.


La première fois, c'était il y a un ou deux mois. Une alerte qui aurait dû me faire réfléchir, je n'y avais pas prêté attention. Mais c'était une salle d'attente. Forcément, salle d'attente, ça fait penser médecin ou dentiste, alors que j'étais là pour assurer mon bateau. Un monsieur d'un certain âge s'était levé pour me proposer sa chaise. Homosexuel en chasse ? Pré-vieillard atteint du syndrome des jambes sans repos ?  Pour réfléchir à la question, je m'étais assis. Juste pour ça. Ce n'est pas parce que l'on boite un peu qu'on va tomber, ça se saurait.


Bien sur si j'étais là c'est aussi parce que j'ai changé de bateau, larguant les voiles - c'est joli, comme tournure détournée - pour un moteur. Parce que mon co-navigateur serait moins présent. Mais pas que, quand même, j'avoue.

Mais là, sur le Jean Nicoli, c'était un  homme grand et bronzé et pétant la santé qui a voulu me  céder son fauteuil ... Salaud de jeune, j'ai pensé. "Mais non - mais non", ai-je dit. "Mais si - mais si", qu'il a dit ... Vous n'imaginez pas comme c'est pénible ce genre de discussion pour le généreux qui fait face à un pisse-froid qui ne veut rien. Alors, j'ai obtempéré en prenant mon plus bel air " en parfaite santé quand même". Pour le faire chier !

La Corse jolie 


Si ça se trouve, il avait des hémorroïdes ou bien c' est un chirurgien orthopédiste en mal de clientèle... Tsss ! 

Mais surtout, moi qui lis et  entends comme vous, à longueur de temps, sur les méfaits de l'homme envers l'homme, envers la nature, envers les femmes, envers les enfants, envers les zanimos, envers le climat, etc., je me demande pourquoi je tombe toujours sur la crème de la crème ...  C' est pénible, des fois. 

Imaginez un peu : déjà, je vis bien, et sans travailler, par exemple ... Ma pharmacienne refuse que je paie mes médocs, aussi. Les paysans avec qui je travaillais aimaient leurs bêtes et soignent la montagne en prime. On se demande vraiment pourquoi ce destin funeste s'acharne sur moi ... Je n'ai même pas payé de location en Corse !  Et pour finir on se lève pour me donner sa propre chaise.

Alors que ce serait plein de cons, de salauds, impossible d'en débusquer un. C'est quoi ce monde de dégénérés? hein !!!  Qu'allons nous devenir face aux périls avec de pareilles mentalités bienveillantes ?


samedi 8 juin 2019

Le calamar au broumé


C'est pas pour me vanter, mais la houle ne m'a pas empêché d'innover dans la pêche du calamar ! Mieux, elle m'a aidé. Peut-être parce que je descends d'une lignée d'inventeurs pendant que d'autres, moins chanceux, descendent du bus en bas de la rue.

Le broumé, rappelons-le pour les incultes et les bas de plafond, est un mélange de bonnes choses que l'on jette avec science à la mer pour appâter le thon, peut-être  même  le marlin ou l'espadon. C'est souvent à base de sardines. Relisez Hemingway, "Le Vieil homme et la mer". 

Il faut des bagues, pour le thon rouge, désormais ... Attention, ça n'implique pas de l'épouser, le thon, c'est plus compliqué que ça. Pas de bague pour le calamar, heureusement.

Mon grand-père, Majot,  avait inventé dans un autre temps et un autre domaine  un raticide bio avant l'heure du bio, biodégradable, imparable, sans effet secondaire et sans gluten ! S'il ne fit pas fortune avec, c'est surtout parce que le traitement durait dix jours, ce qui demande de la suite dans les idées chez un consommateur qui, déjà, était bien volage. 



Le graal

Et ce raticide était en suppositoires, aussi. Ça n'a pas aidé.

Mais revenons au port où nous nous vîmes trois et embarquâmes sur l'Arvor **** corsicain et diesel de notre ami. Et au calamar rouge qui nous occupe. Nous partîmes  dans le golfe clair comme d'autres vers Terre-Neuve. Une demie heure de traversée sans feu ou presque, dans la nuit à peine éclairée d'un piètre premier quartier de lune. Aucun piéton, heureusement, ne traînait là, nous ne l'aurions pas vu. Un peu chahutés, je trouvais, par cette houle d'un mètre, en chargeant d'une sardine ma turlutte *** ... La position, le travail appliqué pour fixer la sardine, le mouvement du bateau, m'évoquaient une énorme assiette de lard à l'huile avec plein de crème dessus, qu'il fallait manger et manger encore. Allez savoir pourquoi, car on sortait du resto !

*** C'est ça 

Nous nous étions bien vêtus et n'eûmes pas à le regretter. La houle semblait avoir doublé dès que le moteur fut coupé.  Des tas d'assiettes de lard à  l'huile, débordantes de crème dansaient devant mes yeux, entre les lumières du port lointain et un goéland noctambule entiché du capitaine. Je me cramponnais à  ma ligne comme si elle était de vie, ou antispasmodique. Pas bien du tout, j'étais ...

Le capitaine


Et tout à  coup il fut clair dans mon esprit comme dans mon estomac qu'il fallait brouméger ** et je me jetais à genoux contre le franc-bord. Tandis que le capitaine et mon équipière remontaient des calamars.



L'équipière


Et moi ? Et bien je continuais de brouméger ***, de quart d'heure en quart d'heure, délaissant ma ligne de plus en plus. À minuit, en raison de mon piteux état, on valida ma nouvelle méthode d'amorçage révolutionnaire, et nous rentrâmes accompagnés d'une douzaine de calamars.


** jeter à la mer, avec science, le broumė.


**** un bateau à moteur de 6 mètres conçu pour la pêche de plaisance