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lundi 8 novembre 2021

Le clan des déglingués

Seconde chasse pour moi, mais j'ai maldormi *, et je ne pars donc que pour les traques de l'après-midi car deux heures de route me séparent du but.


Sur la fin du trajet, je parviens à suivre en pointillés la traque du matin, grâce à la radio, et à mon téléphone à deux cartes SIM. Car s'il y a déjà des oliviers dans le Lot, l'Orange n'y pousse pas encore. J'ai rajouté la SIM que chacun a là-bas … Mon équipe ne parvient pas à lancer des suidés fantasques, et renonce au profit du casse-croûte.

Nous débriefons lors d'un rapide repas où abondent les crudités auvergnates et lotoises : jambon cru, saucisse sèche, fromages au lait cru du Cantal, du Lot et même de l'Aveyron.

Le rond* me prive de mon poste fétiche aux Quatre Combelles qui échoit à notre international, André, qui est belgicain. Une promesse de sourires tant le Wallon serait une sorte de Français, mais avec de l'humour.

Je serai à un autre poste, on s'y gare à deux pas, il y a juste trois quatre mètres de descente scabreuse pour s'installer, que je franchis en quelques minutes. Pas vraiment de replat, et comme on tire aussi avec ses pieds, je dois bien passer un petit quart d'heure à positionner mon siège, me lever et épauler en plaçant au mieux mon pied gauche. Il l'est vraiment, gauche, c'est évident. Jamais ce n'est parfait, mais  je me contenterai. Le poste  fait face à une pente rocailleuse idéale pour des tirs longs.

C'est au premier plan que le sanglier passe 



Les chiens donnent rapidement de la voix, et environ trente minutes plus tard, Erwan annonce qu'un sanglier est « lancé ». Cela veut dire que les chiens ont approché l'endroit où il s'est caché ... et qu'il a dû le quitter. Le son de la menée s'accroît notablement, comme sa vitesse, en général car la voie est alors chaude et bien captée. Mais c'est hors de portée de mes oreilles que cela se passe, entre les distances et le relief. Mais la radio m'en informe.

D'autres chiens donnent de la voix, je ne sais si c'est en rapprochant ou derrière un sanglier.  Ca se passe dans mon dos, ça s'en va et ça revient .... Cela semble durer deux heures peut-être, avec des moments plus intenses où je suis debout, prêt à épauler et à ôter la sécurité de la carabine, d'autres où je retourne à mes rêveries. J'ai droit, sur le flan pentu montré en photo, à la vision simultanée de six à huit chiens fouillant méthodiquement les odeurs du sol, pimpants et gais. Mais aucun sanglier ne giclera d'un buisson ici ...

S'ensuit un long calme, j'échange quelques mot avec un promeneur, avec Erwan sur les ondes. Et le temps s'écoule doucement dans une douce tension qui s'amenuise. Un chien solitaire pousse un probable sanglier, le son croît doucement devient de plus en plus fort. Je me lève muscles tendus, et soudain le frottement du corps du sanglier dans les branchages devient un bruit intense, j'identifie un beau sanglier qui fuse à quelques mètres, à demi masqué par la végétation. Ma réaction est à mi-chemin entre un tir académique et celui de Joss Randall. Au cri de l'animal je sais qu'il est touché, et la chienne anglo française, quinze secondes derrière, tient prudemment au ferme le sanglier grognant. Je comprends qu'il est immobilisé ou à peu près, une balle de reins probable … Damned, il n'est pas mort … il est à 10 mètres mais totalement invisible, et il reste un danger pour les chiens qui l'approcheraient.

Les Anglo-français de petite vénerie de Stéphane


Ma jambe mal réparée ne me permet pas de m'enfoncer sous ces branches dans cette pente arborée et caillouteuse. Comme dans un cauchemar, nul ne répond à la radio « sanglier blessé au ferme, vite un piqueur », je recours au téléphone qui passe grâce à la nouvelle SIM ... et je laisse un message. Avant de toucher à la radio une personne qui répercute à Stéphane, piqueur intrépide et patron de la chienne, qui fatiguée abandonne le ferme un moment... Je n'entends plus rien. Mort ? Et non, sa respiration me parvient, des craquements, un boum mat ensuite. Il a franchi un muret et est tomé lourdement, saurai-je plus tard.


Stéphane arrive et s'empare de la carabine de son chauffeur. Il faut préciser que stéphane s'est blessé sévèrement à une main lors d'un accident domestique et conduit ses chiens sans arme. Mais là, il vaut mieux éviter tout risque aux chiens. Il n'a qu'une main, mais il est leste, il rappelle son chien revenu au sanglier, et achève le sanglier à la Johne Wayne, d'un bras. Mais d'un bras, il ne peut remonter cinquante kilos dans une pente de broussailles et de cailloux

Pourquoi pas son chauffeur, direz-vous ? Parce qu'il n'est pas piqueur, d'une part, et qu'il est paraplégique à la suite d'un accident de voiture, pardi. Et il ne chasse que depuis son siège.

Enfin arrive Rémi, une personne tout à fait extraordinaire, figurez-vous ! Il se tient parfaitement debout, il marche et court s'il le veut, il peut tirer, prendre des chiens en laisse, et il possède deux mains aussi fonctionnelles que ses jambes. Et il remonte le sanglier. Nous  rions des collaborations qui furent nécessaires, du boiteux au manchot, en passant par le paraplégique et le valide pour cette œuvre résolument collective.

Le sanglier est une femelle de 50 kg environ. Un autre sanglier, un peu plus lourd a été tuée par Erwan.

Une femelle de 50 Kg environ, tirée au calibre 308 Winchester


    * du verbe maldormir, intrans. 3ème groupe, utilisé surtout chez les vieux et les insomniaques

    ** l' endroit et le moment où les postes et les consignes sont donnés

lundi 1 novembre 2021

Petite chasse

Ca y est, je suis retourné à la chasse hier pour une courte battue de l'après-midi. Dans le Lot, sur la causse. J'espérais une bonne forme, mais comme j'avais encore très peu dormi, ce n'était pas complètement ça … Huit mois de nuits douloureuses au sommeil compté ! Ce qui est nouveau, c'est que parfois je ne souffre pas, sans pour autant que le sommeil vienne ...  Mais sonnez trompettes de l'espoir, je reviens !!!


Alors la veille j'ai préparé la chose, mais de manière prudente, légère et réversible. On sait que l'absence d'activité pousse à la prise de poids, mais la surprise est grande quand on s'aperçoit que ça concerne aussi les carabines ! Elle a pris au moins deux kilos depuis ma dernière chasse de la saison passée !!! Je peine presque à la garder à l'épaulé … Effroyable sensation, mais juste mesure de ma forme. Pourtant j'ai progressé fortement ces derniers jours. Ma pensée vole vers un copain oublié, qui me racontait qu'après avoir vaincu son cancer, il peinait à soulever sa belle carabine express quand il avait voulu renouer avec la vie. Quinze ans plus tard, je saisis complètement son propos.


Je prépare une veste, quelques balles, et je recharge la radio. Ce sera juste jeans, on verra plus tard, si ça semble durer. Pour la première fois depuis quarante jours environ, je n'ai pas infirmière et pansement ; c'est la fête jusqu'à demain ...


Mais peut-être ne fermerai-je pas l'œil, et alors je resterai à la casa, faute du jus nécessaire. C'est un entre-deux au lever, alors j'y vais … en partant vers 9 heures 30, tant je maîtrise la proportionnalité des choses.


Mon père me disait, à 78 ans, deux mois avant sa mort brutale d'une légionellose, sa quasi incompréhension de cette façon de certains de le traiter comme un vieux, alors qu'il ne se percevait pas ainsi, capable encore de courir et de sauter une clôture, ne connaissant les rhumatismes que par ouï-dire, et faisant son bois pour l'hiver comme un jeune homme. Tandis que la maladie m'aura accompagné chaque année de ma vie hormis les dix premières. On ne choisit pas. Et c'est une petite victoire d'être là. J'ai abandonné la montagne, je peine encore dans les vallées, mais l'espoir flambe par instants.


On pleure un jour de détresse, on flambe d'espoir et d'envie le lendemain. Retrouver avec bonheur les têtes connues autour de la table, penser à André, mon voisin de table d'avant, qui ne le sera plus jamais, qui avait validé son permis mais qui s'en est allé juste avant l'ouverture et juste avant de fêter ses 89 printemps. Nul n'a occupé sa place du bout de table.  Découvrir des invités, apprendre qu'Eugène, 15 ans juste passés, vient de tirer et de tuer son premier sanglier ce matin même, tandis que je roulais en soignant le syndrome du décrocher de mâchoire à coups d'expressos. La nuit, je la retiens … J'espère que le retour ne sera pas trop difficile.


Laurent ne chasse plus avec nous cette année, je m'y attendais un peu. Je le regrette, lui, Christine et leurs magnifiques chiens. Une tristesse, les gens sont compliqués, et les taiseux encore bien plus.


Je serai posté dans la Baie d'Along. En fait la Combe d'Alon, mais j'adore la faire et la refaire... Le pied du sanglier se situe quelque part entre cette combe et la vallée du Célé, dans cette colline. Je m'installe à côté de la Cochonne Rose à défaut de monolithes ou d'îles karstiques luxuriants. Ici aussi on a du calcaire, et on se la pète pas pour ça. Je goûte au bonheur simple d'entendre les clochettes, puis les voix des chiens, et les piqueurs à la radio. Ca ne lance pas, ça ne danse pas malgré la musique parfois entrainante ; j'apprendrai un peu plus tard que les chiens sont partis à contre sur un autre sanglier. Ils ont remonté une trace d'un sanglier lancé par des voisins et passé sur notre territoire.




Les chiens sont remis et cette fois est la bonne ... Mais l'action se passe hors de portée de mes vielles oreilles et je ne bénéficie pas de la symphonie. Orange ne passe pas, la radio peine, et vers 16:45, Erwan s'arrête sur la route, me conte la chasse. Il a récupéré et abreuvé ses chiens contents et épuisés, il fait presque 20 degrés. Nous partons préparer le sanglier du matin. Le cochon est aussi une cochonne, mais noire, d'une cinquantaine de kilos, traversée par une balle de calibre trente qui a explosé l'estomac et saccagé les os du sternum. Estomac plein de gland finement moulu.





Je pars à la nuit tombante pour deux heures de route et dès que j'accède à la nationale à peu près correcte, je mets en marche le "lane assist" qui bizarrement sur une petite route nationale pleine de courbes garde merveilleusement éveillé en donnant l'impression que le volant à une vie propre.


Bien content et bien fatigué, j'arrive. Si cette fois je ne dors pas … Eh bien, je ne dors pas, peut-on y croire ??? Même si je n'ai pas mal, juste une petite sensation qui ne justifie même pas un demi-gramme de doliprane, je prends un coup d'opiacées en me disant que peut-être... Ca ne rate pas, je dors comme un juste.



Les emmerdes, disait Chirac, ça vole toujours en escadrille.