Lettres à Valentine 1915
-1920
Sabin déjà décoré de la croix de guerre 1915 avec une étoile, dans sa 4
ème escouade, et fumant la pipe, à droite
Sabin et Alexandrine, 20 décembre
1920
Le jour de leur mariage |
Lettres de Sabin à Valentine de 1915 à 1920
Un hommage à mon grand-père qui s'est si bien battu, a aimé, a rêvé, a été blessé deux fois, a connu le noir désespoir … A ma grand-mère Alexandrine, à qui je racontais mes petites aventures amoureuses, devant l'éternel café avec petits beurres. A son papa François, tué à 39 ans sur le front alsacien …
Pour se plonger dans cette terrible époque ...
A l’ouest rien de nouveau, Erich Maria Remarque, Le livre de Poche. Allemand, il participe à la guerre de 14-18 où il est blessé. Se battra pour la paix ensuite, quittera l’Allemagne en 33, menacé par les nazis qui le destituent de sa nationalité.
Les croix de bois, Roland Dorgelès, Le livre de Poche.
Ma nièce Sabrina Thenon, l’arrière petite-fille de Sabin Moiraud senior, a découvert une multitude de cartes postales dans une maison qu'elle a achetée, où vécut probablement Valentine, la marraine de guerre de mon mon grand-père. J'ai décidé d'en faire un petit document. Merci à elle pour le prêt, durant de nombreux mois, de ce trésor.
Merci à Michelle Moiraud, ma marraine de m’avoir parlé de François Cornaton, mon arrière grand-père tué en 1915 dans les Vosges, aiguisant mon envie de connaître et de faire connaître..
Merci à Christelle Moiraud, épouse de mon filleul Thierry, d’avoir fait des recherches qui ont considérablement enrichi ce petit document qui contribuera à nous rendre fiers de nos ancêtres … et de nous.
Merci aussi à plusieurs personnes souvent inconnues "en vrai" de Lorraine, de Haute-Marne, et de je-ne-sais-où (merci Internet, merci sangliers.net) qui m’ont aidé à accéder aux archives sur le Net : journaux de marche du 55è RIT, du 133 et du 333 ème RI, épisodes marquants de la guerre.
La présentation n'est pas aussi belle que je l'aurais voulue. Je ne suis pas le moins du monde expert, je ne suis pas parvenu à incliner certaines illustrations, et cela donne un côté un peu raide à l'ensemble. Mano Kim m'a aidé à corriger un peu cela et je l'en remercie.
21
juin 1915 (doute sur la date car c’était un lundi)
… "J’ai appris que tu
avais passé un dimanche chez nous. Chère amie je regrette bien de ne pas y
avoir été. Nous saurions bien nous amuser, mais là je m’amuse avec les boches.
Espérons que ça finira bientôt." …
… "aujourd’hui je suis
à 10 mètres sous terre et je ne fais
rien du tout"…
… "mais là je m’amuse
avec les boches" …
Blessé à Reuillon,
Meurthe et Moselle, carte du 1er décembre1915 (blessé le 24
oct.)
… /… "ces sales boches ont bien
essayé de me
tuer mais ils ne pourront pas encore cette fois. Voici 7 semaines que je suis
couché. Comme j’ai bien le temps de penser aux filles… /…
…/… en t’embrassant bien fort et de bien loin, celui qui pense à aller chercher
des noisettes" …/…
Fin 2015, vœux à Valentine
20 mars 1916
… "donc
tu m’avais demandé une bague, c’est aujourd’hui que je te l’envoie avec plaisir
car je vois que tu n’oublies pas celui qui t’aime. Enfin chère amie, je te
l’envoie dans une lettre, peut-être que tu ne la trouveras pas jolie : je
ne sais pas mieux les faire et j’ai fait mon possible. En ce moment je suis dans
les tranchées. Nous n’y sommes pas très mal quand il fait beau temps. Vivement
que la guerre finisse et qu’on puisse rentrer auprès de vous et pouvoir rigoler
et vous embrasser à volonté. Mille baisers de ton ami qui pense à toi "…/…
…/…" tu me dis qu’il
faut brûler toutes tes lettres "…/…
"Bien chère amie,
Tout enchanté de
recevoir ta charmante lettre me trouvant comme elle t’a quitté, bien plus
amoureux que malade. C’est là le seul plaisir que j’ai en guerre, de recevoir
tes grandes lettres bien faites …"
18 sept 1916 ; 6 jours de repos
"Chère amie Valentine,
Les
jours et les nuits sont bien longs en pensant à toi. Je ne peux m’empêcher de
t’écrire sans avoir reçu de tes nouvelles. Si j’attendais la réponse à ma carte
pour te répondre tu pourrais dire en toi-même que je ne pense plus à toi. Je
suis dans un pays à l’arrière avec mon officier pour 6 jours. Je ferai quand
même réponse à tes nouvelles quand je rentrerai à ma compagnie. En regardant
les amitiés de l’image cela me fait penser au vieux temps. J’ai écrit une
lettre à ton père. Je pense que vous l’avez reçue et qu’il l’a lu par devant
vous tous. Je vais aussi te dire que Joseph Guillerminet est tué. Je pense que
vous devez le savoir. Chère amie quand tu m’écriras tu me diras ce que le monde
a dit que je suis allé te voir, cela n’importe guère" …
… "Je vois que tu es comme moi et que tu repenses très souvent au petit moment que j’ai passé auprès de toi en permission. Je viens de passer 7 jours dans les tranchées de Verdun. Malgré nos souffrances, je n’ai fait que penser à toi" …
23 octobre 1916 ; attaque du fort de Vaux
"Avant
de partir à l’attaque du fort de Vaux, je m’empresse de faire une petite carte
pour te dire adieu si je ne reviens pas ; mais nous marchons toujours dans
l’espérance de revenir sain et sauf …/… Je pense encore à toi comme jamais j’ai
pensé de cette tristesse mais c’est pas pour tout cela qu’il faut s’en
faire ; tu ne m’écriras pas avant que je t’aie renvoyé de mes
nouvelles. Si j’ai le bonheur de revenir
je t’écrirai tout de suite.
Chère
Valentine reçois un gros baiser et rêve à moi, que je puisse revenir en bonne
santé.
Celui
qui t’embrasse bien fort et qui ne t’oubliera jamais."
Sabin sera blessé d'un éclat d'obus au visage, le 24 octobre 1916, assez légèrement (je pense, je ne me souviens pas de cicatrice)
Autour de ce 24 octobre 1916 … source
http://www.lesfrancaisaverdun-1916.fr/fortifications-vaux.htm
Le 21 octobre La préparation d’artillerie française débute.
654 pièces dont 20 de très gros calibres opèrent un barrage roulant qui progresse
de 100 m toutes les 4 minutes. Aucun abri, aucune voie de communication, aucune
tranchée, aucune batterie ennemie n'est épargnée. C'est un déluge de fer et
d'acier. Les plus gros obus sont réservés pour les forts de Douaumont et de
Vaux qui sont les 2 points stratégiques à reconquérir.
22 octobre Une attaque française est simulée par
l'allongement subit du tir d'artillerie et par des mouvements dans les
tranchées françaises. Cette ruse permet le repérage de nombreuses batteries
ennemies nouvellement mises en place.
Toutes les batteries allemandes ainsi repérées sont
systématiquement pilonnées. Les tirs sont ajustés avec l'aide de l'aviation
française qui domine le ciel de Verdun depuis plusieurs jours.
23 octobre Vers 8 h, la préparation d'artillerie française
s'intensifie.
Dans la nuit, les régiments des 38e, 74e et 133e D.I qui
attendent depuis une 20e de jours entre Bar-le-Duc et Saint-Dizier, gagnent
Verdun et prennent position dans les parallèles de départ. Face à eux, ils ont
7 divisions allemandes mais très étalées en profondeur. Les 1ères lignes ne
sont en fait occupées que par 22 bataillons ennemis.
24 octobre. Dans la matinée, un certain nombre d'Allemands sortent de
leur tranchée et viennent se porter prisonniers dans les lignes françaises. Ils
ont face à eux 3 divisions françaises ; la 38e, la 74e et la 133e D.I.
A 11 h 40, par un brouillard assez dense, c'est le
déclenchement de l'offensive française. Chaque unité se dirige à la boussole
sur un terrain lourd et glissant.
La 74e D.I. (50e et 71e B.C.P., 222e, 229e, 230e, 299e et
333e R.I.) renforcée par le 30e R.I à pour objectifs de s'emparer du Chênois,
du bois Fumin, puis du fort de Vaux. Ses positions de départ vont de la
Haie-Renard au font de Beaupré.
A 11 h 40, le 230e R.I. s'élance et atteint le bois Fumin où
il est pris sous un feu très nourri. Les pertes sont lourdes. Il est bloqué à
cet endroit tout le reste de la journée.
A 11 h 40, le 333e R.I. (régiment de Sabin) s'élance et
s'empare de l'ouvrage des Grandes-Carrières à 12 h 15. Il tente ensuite
d'atteindre les Petites-Carrières nord pour contourner le fort de Vaux par
l'ouest.
![]() |
Tant de morts et de souffrances pour cela |
A 11 h 40, le 299e R.I. s'élance et tombe aussitôt sur les
tranchées Clausewitz et Seydlitz protégées par des barbelés intacts et
fortement occupés. Toute la journée, il se bat à la grenade. De 20 h à minuit,
renforcé d'éléments des 50e et 71e B.C.P., il parvient à enfoncer la ligne
ennemie. Les pertes sanglantes qu'il a subies ne lui permettent pas de
continuer. Il se fortifie sur place.
A 11 h 40, le 222e R.I. s'élance et s'empare de l'abri dit
"du combat". Il poursuit sa marche et parvient ensuite à enlever la
batterie de Damloup. Il ne peut progresser plus avant.
En résumé, au soir, la 74e D.I. a mené une lutte acharnée
mais n'est pas parvenue à atteindre ses objectifs. A savoir, le plateau et le
fort de Vaux.
25 octobre. Le général Mangin prévoit de reconquérir le fort
de Vaux aujourd'hui même, mais aucun régiment ne parvient à améliorer ses
positions. Le bombardement allemand a été trop violent dans le secteur de Vaux.
Le 2 novembre les allemands évacuent le fort.
28 novembre 1916 ; vers la fin de leur histoire ?
…/…Tu me dis que tu m’attends et que vivement j’aille en permission pour me raconter bien des choses qui peut-être me seront bien agréables ou tristes mais j’attends avec impatience ce jour qui me donnera la liberté d’aller te voir et coucher auprès de toi. Je voudrais bien aussi que tu viennes un peu chez nous quand je serai en permission. Si tu savais comme tu me ferais plaisir. …/..
15 juin 1917, questions
Depuis si longtemps qu'on n'a pas fait l'amour, pour moi, je ne m'en rappelle plus, je ne saurais quoi dire à une demoiselle assise sur mes genoux. On devient complètement fou ; il est temps que la guerre finisse bientôt ; toutes les demoiselles ont envie de se marier. Je viens de savoir que tu as envie de te laisser épouser. Tu es comme les soldats, tu trouves la guerre un peu trop longue.
.../... J'ai une chose qu'on appelle le cafard du militaire, je ne sais que faire de moi .../...

Décorations : Croix de guerre 1915 –1étoile de bronze - 1 étoile d'argent – ce qui correspond à deux citations
Cité au 333e RI le 10 août 1916 : « A assuré à lui seul
pendant plusieurs heures et sous un bombardement violent le service des fusées
éclairantes pendant que son poste était attaqué par des forces supérieures ».
Cité le 18 mai 1917 : « Jeune soldat courageux toujours
volontaire pour les missions dangereuses dans la nuit du 11 au 12 mai 1917 a
pris part vaillamment à l'attaque d'une position ennemie fortement défendue »
Médaille militaire par décret du 7 octobre 1932.
Il est titulaire des deux décorations militaires les plus
prestigieuses !François Cornaton, mon arrière grand-père
François Cornaton, le papa d’Alexandrine, ma mémé, eut moins de chance et ne connut pas ses petits enfants. A 39 ans, il est tué à l’ennemi dans les Vosges, d’une balle. Il était cultivateur.
La bataille se déroule dans les derniers contreforts du sud des
Vosges. On trouve d'Ouest en Est, le sommet du Molkenrain d'altitude 1125
mètres occupé par les Français à partir du 22 décembre 1914, puis le col de
Silberlock et enfin le massif de l'Hartmannswillerkopf. Ce dernier débouche sur
la plaine d'Alsace par plusieurs avancées, on trouve du Nord au Sud, une
première avancée appelée « cuisse gauche », puis la « cuisse
droite » ou « Aussichtfelsen » (rocher panorama) et le
« Rehfelsen ». Ces trois avancées se rejoignent sur l'Hartmannswillerkopf
haut de 956 mètres. Plus au Sud se trouve le sommet de l'Hirtzstein qui fera l'objet
de nombreux combats au cours de cette bataille.
François Cornaton, papa d’Alexandrine sera tué au cours d’une
période où les deux armées se sont enterrées et se livrent des attaques éclair.
![]() |
Il est le seul tué du mardi 22 juin 2015 |
Sources : http://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_du_Hartmannswillerkopf
Nous sommes passés le saluer, en été 2014, avec Christine et son
papa, à Cernay.
![]() |
François, sa tombe à Cernay, et le paysage où il est mort, dominant la plaine d'Alsace |
Annexe : la fiche de Sabin Moiraud, second à partir de la gauche sur la rangée debout

Sabin
Joseph
Anthelme
Signalement
:
Cheveux
châtains
Yeux
marrons
Front
large
Nez
rectiligne
Visage
rond
1m64
Né
le 19 novembre 1895
à
Pirajoux / Résidant à Coligny
Fils
de Moiraud Denis Joseph et de Laurent Marie Marceline, domiciliés à Pirajoux
Classe
1915 (= a 20 ans en 1915 lors de son enregistrement sur le registre militaire)
Agriculteur
Degré
d'instruction 3
Incorporé
au 133e RI le 16 décembre 1914, arrivé au corps le 16 décembre 1914
Soldat
de 2e classe le 12 mai 1915
Blessé
le 17 octobre 1915 au combat de Reillon par éclat d'obus
Hôpital
mixte de Lunéville du 17 octobre au 9 novembre 1915
Hôpital
complémentaire n°14 à St Nicolas du Port du 9 novembre 1915 au 20 janvier 1916.
Passé
au 333e RI le 3 février 1916, soldat de 2e classe le dit jour.
Cité
au 333e RI le 10 août 1916 : « A assuré à lui seul pendant
plusieurs heures et sous un bombardement violent le service des fusées
éclairantes pendant que son poste était attaqué par des forces
supérieures ».
Blessé
le 24 octobre 1916 devant Vaux par éclat d'obus à la figure.
Cité
le 18 mai 1917 : « Jeune
soldat courageux toujours volontaire pour les missions dangereuses dans la nuit
du 11 au 12 mai 1917 a pris part vaillamment à l'attaque d'une position ennemie
fortement défendue »
Disparu
le 27 mai 1918
(note du corps en campagne du 31 mai 1918).
Prisonnier
de guerre (avis
n°88348 du 1er octobre 1918), rapatrié le 11 janvier 1919
Passé
le 24 janvier 1919 au 23e RI
Démobilisation
: 13 septembre 1919
Blessure
Fore
interne de la cuisse droite – cicatrice au tiers supérieur de la cuisse droite
Classé
service auxiliaire proposé pour pension d'invalidité de 10 % par la CR de Lyon
du 12 janvier 1929 pour séquelle de blessure de la face interne de la cuisse
droite.
Libéré
de toute obligation militaire par anticipation le 1er juillet 1932 comme père
de 6 enfants vivants.
Décorations
: Croix de guerre – 1 étoile de bronze -1 étoile d'argent -
Médaille
militaire par décret du 7 octobre 1932.
Sources
: Archives départementales de l'Ain / Registre matricule
Je suis admiratif devant tant de patience pour arriver à rassembler toutes ces informations et honorer la mémoire de tes valeureux aieux...
RépondreSupprimerQue Sabin et François de là où ils sont, puissent voir que leurs douleurs et sacrifices ne sont pas oubliés.
Et comme nous sommes malheureusement nombreux à avoir perdu un grand père ou un arrière-grand-père, ton souvenir est aussi un peu notre souvenir et un honneur pour tous ceux qui ont souffert.
A défaut de posséder des lettres de mon arrière-grand-père, gazé en 1917 à Passendael, je relis souvent "Paroles de Poilus", histoire de me rapprocher un peu de lui. Cet ouvrage paru en 1998 reprend des lettres du front envoyées par les auditeurs de Radio France...
Il faudra que je lise cet ouvrage. Mon grand père sera honoré dans le cadre d'une exposition / débat qui se tiendra dans son village, ce mois de novembre
RépondreSupprimerHommage respectueux à tes grands-parents.
RépondreSupprimerMes deux grand-pères ont participé à la totalité de la guerre, mon grand-père paternel, jeune agriculteur à la suite de son père s'est battu sur ses terres lors de la première bataille de la Marne, et il a désigné l'un de ses boeufs pour nourrir ses camarades affamés (l'intendance ne suivait pas aussi bien que les taxis). Il a ensuite été porté disparu trois fois, les gendarmes sont venus trois fois annoncer à sa femme de 21 ans (qui dirigeait la ferme et ses 40 employés) que "Monsieur Alphonse" était porté disparu, la dernière fois elle leur a dit de ne plus prendre la peine de se déplacer tant qu'ils n'auraient pas la certitude qu'il était mort... Il est finalement revenu et a été un merveilleux grand-père qui m'a initié à la chasse et dont j'ai récupéré le joli 16 avec lequel j'ai tiré ma première cartouche.
Ils ont autant aimé qu'ils ont souffert.
Je suis fortement touché par ton témoignage, que je lis avec mon fils et son amie. Je suis heureux qu'Internet permette cet échange. Avant que je ne me penche sur l'histoire de mon grand père, je ne connaissais rien de cet arrière grand-père, tué à 39 ans dans les Vosges. Comme toi, je ne veux pas qu'on les oublie. Faisons-les vivre encore dans nos mémoires.
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