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mercredi 17 février 2016

Handicap : vivre avec deux mains gauches

Je suis né ambisenestre ! Mes parents ne s’en aperçurent pas à ma naissance, tout heureux qu’ils étaient d’avoir un petit garçon, et bientôt trop épuisés par mon habitude durable d'exiger un solide casse croûte vers deux heures trente du matin.
Bien des effondrements si j’avais été maçon, bien des incendies si j’avais été pompier, ont été évités par mon désintérêt pour la chose manuelle. Il fallut cependant presque vingt ans de vie commune pour que ma douce enfin m’interdise tout bricolage.

Cela intervint bizarrement. Autant que je me souvienne, je venais de réparer à sa demande le grill extérieur. Elle a juste ri en regardant mon travail terminé. Étonnamment, le ciment ne retenait pas les briques réfractaires, qu’elle enleva comme ça d’une main, malgré ses cinquante-deux kilogrammes.

Une autre fois je fus particulièrement vexé de voir que j’avais fertilisé la pelouse avec un reste de sac de ciment et non de scories Thomas. Maladresse et distraction vont de pair chez moi. De la même façon que la misère toujours sur les pauvres s’acharne, la maladresse frappe sans fin les maladroits. Ces faits évoqués sont presque fautes de jeunesse, et l’expérience me fait redouter tout ce qui s’apparente au bricolage. Je suis rarement déçu. 

Je vous conte la dernière, sans en rajouter, ce n’est pas la peine … Chasseur heureux, je pris un beau cerf il y a quelques semaines. Que faire du trophée ? Auvergnat radical, je décidai de le cuire, le préparer, le scier de mes petites mains.

Cela commençait bien ...


Partant de l’image radieuse de ce trophée - les quelques micro-entailles collatérales aux doigts sont invisibles - il fallait bien installer ce massacre quelque part …ou souffrir de crampes assez rapidement.

Mon grenier est encombré de souvenirs de chasse, et plutôt désordonné. J’avais décidé de fixer ce nouveau trophée de cerf de façon amovible et sans le clouer sur un écusson. Encore une trouvaille d'auvergnat extrémiste ... A la poutre verticale, sous le massacre d’un grand cerf, il paraissait chétif, alors je décidai qu’en vis à vis, contre un lambris, ce serait mieux !   Mais l’installation était tellement amovible que le crâne s’est décroché quand j’ai claqué la porte!  Il m'avait semblé que mon perçage dans l'os crânien n'avait pas assez d'angle. Mais pas à ce point ! J’ai dû refixer les os des parois nasales qui n’avaient pas aimé le choc.

Mais ce n’est pas tout. Réparé, je l'ai fixé – provisoirement je me disais, mais ad vitam æternam plus probablement-  sur un plan incliné à 45 degrés. Oui, 45 degrés environ, on peut y tremper la main sans que ça brûle. Ce plan incliné est le sous-produit obligé de la montée d’escalier. J'ai réutilisé le perçage existant du crâne. Pas terrible, mais ça tient ... Un jour, je rajoute, en travers des andouillers d’œil, une de ses mâchoires amoureusement préparée. Les dents sont dorées par des sels métalliques issus de son alimentation, c'est une merveille pour un naturaliste, à conserver. Mais ce n’est pas tout …

Car l'après-midi même, un grand bruit a terrorisé le chat qui dormait sur mes genoux, comme une avalanche ravageant le grenier ...  Tombé encore ! Voyant, dans le capharnaüm, qu'il n'y avait pas d'endroit stable et sûr pour poser cette tête "en attendant" , j'ai pris mon courage à deux mains gauches, et la perceuse de l'autre. Prolongeant le perçage jusqu'à créer une ouverture dans l’os crânien, j'ai passé un fil métallique gainé, et attaché celui-ci à une vis surdimensionnée dans le lambris, là où était ma seconde intention. C'était presque bien ...

Las, ce n’est pas tout ! Quand j'ai voulu fermer la porte, le merrain gauche s'est trouvé trop long, empêchant le passage de la porte pour un petit centimètre. Heureusement mon geste fut délicat, ou la tête accrochée solidement ...


  
Le chasseur et le chassé pour la postérité

Comme j'avais décidé que ce serait tout,  j'ai légèrement fait pencher le trophée du bout de l'index ... Et ça passe ! Bon ... Il n'est pas terrible, mon bricolage. Mais de ça, j'ai l'habitude !


lundi 8 février 2016

Déluge

Vers 2014 après JC, Dieu visita Noé et lui dit ainsi "Une fois encore, mon royaume est devenu invivable  et surpeuplé. Construis une arche et rassemble un couple de chaque espèce, et quelques humain(e)s dignes de foi. Dans trois mois et des brouettes,  j’enverrai un déluge de quarante jours qui noiera tout. On appellera ça le "réchauffement" , pour éviter les confusions …

Six mois plus tard, quand Dieu, surbooké, ou un peu sénile en raison de son âge, rend visite à Noé, il n’existe qu’une ébauche de l’arche, alors que le déluge est convoqué et qu’il commence à pleuvoir sérieusement. "Pardonne mon retard, Tout-Puissant", dit Noé, toujours un peu lèche-cul avec les patrons : "Mais il m’a fallu un permis de construire, un système de protection contre l’incendie, et même des issues de secours. J’ai dû aussi me défendre contre les copropriétaires et leur association, qui ne voulaient pas d’échafaudage dans le jardin. J’ai dû trouver un conciliateur.

Les services d'urbanisme m’ont obligé à faire une étude de faisabilité sur le transport de l’arche jusqu'à la mer, ne voulant pas croire que c’est elle qui viendrait.


L’ONF m’a bien vendu finalement, à prix d’or, une coupe de bois, pour la construction de l’Arche, mais des associations pour la défense de l’environnement se sont opposées au chantier en raison de la destruction de l’habitat d’une chauve souris de leurs amies. Le Ministère de l’Environnement les a soutenus - alors que j’en emmenais un couple - comme s’il ne dépendait pas du même gouvernement que les services de la Forêt.

Et cela a été bien pire quand j’ai commencé à constituer des couples de chaque espèce.  Je ne respectais aucune norme, j’attentais à leur bien-être. On ne savait pas à quel régime de détention d'animaux j'étais soumis ... On m’a donc demandé une étude d’impact sur ce Déluge dont je parlais, et auquel pourtant nul ne croyait. 

Puis le ministère du travail a contesté les conditions de travail des bénévoles que soi-disant j’exploitais, après que j'aie dû renoncer à l’aide de mes enfants, au titre de la protection de la famille.

Enfin on m’a assigné administrativement à résidence depuis deux mois, car on me soupçonne de vouloir exporter des espèces en danger, ou de vouloir  quitter le pays, ou les deux à la fois"

Dieu étendit la main, et un arc-en ciel apparut en même temps qu'un rayon de soleil. "Vous n’allez pas détruire le Monde ? " demanda Noé surpris.
"Plus la peine",  répondit Dieu, "l’administration s’en charge."


D’après Le canard des alpages, librement repris.