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samedi 28 novembre 2015

Une chasse au bouquetin ibérique

Un village typique de la zone de chasse


C’est pas pour me vanter, mais je suis - un peu - un chasseur de Capra pyrenaica. De hembra montés, précisément, car un grand macho montes, le mâle, aurait englouti quelques mois de ma modeste pension.

Macho montés, et tout à gauche une femelle (hembra)

Je suis donc allé passer un week-end espagnol à Villafranca del Cid dans la province de Castellón, en communauté valencienne. Une zone durement frappée par la crise économique, révèlent les maisons vides et les immeubles en déshérence. A 60 kilomètres de la Méditerranée, et à mille mètres d’altitude. A la recherche d’une hembra ( femelle) d’Ibex. Une distance un peu longue, 850 kilomètres que je ferai avec une étape à Figueras. Le second jour, je faisais tranquillement la route, respirant le sud, les oliviers et les orangers, avant de virer vers l’ouest et de m’élever doucement. Ma maîtrise toute nouvelle du langage des signes me permit de me régaler d’une assiette de délicieuses tapas dans un village des premières collines.

La société qui nous accueillait, Hunting in Maestrat, gère sur 90 000 hectares cette chasse en exclusivité. Un millier d’animaux peuplent cette zone, dont une centaine sont tirés chaque année. Les Macho Montès médaillables valent quelques milliers d’euros tandis qu’une étagne est abordable, disons pour un budget de quatre cents euros. Et c’est l’animal que j’avais choisi. Il n’est prévu aucun tir de juvénile dans leur plan de chasse. Entre ces extrêmes tarifaires, se trouvent les "mâles représentatifs" accessibles pour deux mille euros environ. Le coût d’une chasse se compose d’une licence, valable un an, au prix de cinquante euros, auquel s’ajoutent les journées de guidage, et bien sur le prix de l’animal convoité, s’il est pris.


un plateau calcaire percé de canyons

Le territoire de chasse est un vaste plateau calcaire aride situé à plus de mille mètres d’altitude, couvert d’une inconcevable multitude de murets sophistiqués et percé de surprenants canyons, profonds et magnifiques. Erosion ? Que nenni : selon moi, à l’évidence, ce sont des mines de murets à ciel ouvert désaffectées … C’est là que l’on  trouve les ibex. Les étagnes (femelles, dites "hembras" par nos guides) et les jeunes sont d’un incroyable mimétisme qui les rend très difficiles à repérer dans ce décor de western ocre et tourmenté. Les yeux extraordinaires de Dominique, un de mes comparses, faisaient merveille. L’approche de ces animaux est plus facile que celle du chamois ou du mouflon européen, et j’ai été surpris du peu de prudence dans les approches de notre guide, tant au niveau de la rapidité des déplacements que du bruit engendré par  les cailloux. Les mâles, les macho montès chassés à cette période du rut ne sont pas des plus prudents, et leurs couleurs tranchées, noir et gris, ne leur rendent pas service.

Hembra ou jeune mâle ?

Notre groupe de six chasseurs et de trois guides a fort bien fonctionné. Trois chasseurs maîtrisaient la langue de Cervantes, et même si je n’en étais pas, je n’eus pas de gros souci grâce à leur concours. Le patois bressan ne me fut d’aucun secours. Le premier, jour, notre groupe de trois chasseurs de hembras, plus un guide, ne tira pas malgré quelques rencontres. Deux autres chasseurs, cherchant les Macho montes eurent chacun un guide, cette chasse étant présumée plus difficile, ou plus rentable, probablement. Et le soir, un des deux mâles était pris, sur un tir de 180 mètres, énorme dans un vent de folie aux rafales dépassant les cent kilomètres heure.

J’étais le seul chasseur le lendemain avec mon guide, mais accompagné du tireur de la veille, armé de son caméscope et de ses jumelles. Une première fois, les choses vont trop vite, et les animaux alertés s’enfuient avant que je ne sois prêt. Une seconde fois un groupe composé de plusieurs animaux se présente, et le guide tarde de longues minutes à me donner le feu vert ; et ma hembra disparait. Après ces deux occasions de tir manqués pour cause de fuite des animaux ou d’attente trop longue, j’étais sur le gril. Et  je me presse trop, et l’étagne, que j’aurais jurée immanquable à 150 mètres, en contrebas, lors de la troisième occasion, s’enfuit à mon tir, et ne se décide pas à rouler dans les mètres qui suivent. Je parviens à retirer l’animal  au cours de sa fuite, sans succès. Comment ai-je fait ? Trente minutes plus tard, Julio, un guide, avec mon approbation, tirait l’animal au fond du canyon. Après le désappointement du tir raté, après avoir senti l’univers se resserrer sur ma poitrine quand on m’a dit que l’animal était blessé, mon cœur s’envolait au coup de carabine salvateur. Pas longtemps car son tir sur l’animal blessé, avait été intercepté par un petit chêne vert, et le remords m'écrasait à nouveau.

Gao, chien de sang de race rouge de Bavière

Bien que notre groupe soit accompagné de  deux chiens de sang, un rouge de Bavière (ce n'est pas un cru du sud de l'Allemagne) et un basset fauve de Bretagne, nous ne pûmes faire de recherche, la zone étant habitée par un ou plusieurs très grands mâles qu’il n’était pas question de déranger … Pour la première fois, je laisse un animal blessé derrière moi, et cela a un peu obscurci les moments lumineux que je vivais. Je savais bien qu’un jour cela arriverait, et que cela ferait mal. Savoir un animal  souffrant par ma faute.

Dans le même temps, Dominique tuait une étagne d’un tir parfait à 200 mètres et Jean-Pierre tirait dès l'aube une splendeur de Macho montes qui devrait frôler l’or en matière de cotation. Je ne verrai que la tête impressionnante du fabuleux animal. Sachez que leur eau de toilette est à proscrire absolument pour qui veut séduire une femelle de notre espèce.

Le film de cette aventure de chasse

J'en ai modifié la musique qui n'était pas exempte de droits d'auteur ... C'est moins bien

Le bouquetin ibérique - Capra pyranaica ( cabra montés en espagnol, Spanish ibex, ou Iberian ibex en anglais)
De 7900 animaux estimés en 1990, on est passé à 50 000 animaux en 2002 (dernier chiffre trouvé). Cet ancêtre des chèvres domestiques, génère une marché cynégétique considérable et bienvenu.

Le dimorphisme est important, le mâle macho montes atteint 80 kg et ses cornes 75 cm, tandis que la femelle, cornue, est bien plus petite.

Herbivore, avec un régime très varié, la femelle produit un seul cabri chaque année après une gestation de 165 jours.

Vit de 200 m à 3000 mètres d’altitude, en zone escarpée toujours, sur la partie ouest de l'Espagne et au nord du Portugal.

Ce bouquetin ibérique vient d' être réintroduit en France, après la disparition de Capra pyraneica pyraneica, la sous espèces pyrénéenne, espèce éteinte officiellement en 2000.



On avait tenté de la faire renaître par clonage, et frôlé le succès. Des tissus vivants, prélevés en 1999 sur la dernière femelle vivante, nommée Celia, avant sa mort, avaient permis d'engager le processus de clonage pour tenter de sauver l'espèce. Deux équipes de scientifiques espagnols et une équipe française se sont impliquées dans ce projet de clonage. Des cellules prélevées dans les tissus de Celia ont été fusionnées avec des ovocytes de chèvres dont les noyauxont été préalablement enlevés. L'embryon obtenu a ensuite été transféré dans une chèvre domestique. En 2003, il a été annoncé que la première tentative de cloner le bouquetin des Pyrénées avait échoué. Sur les 285 embryons créés, 54 ont été transférés à 12 chèvres, mais seulement deux ont survécu durant les deux premiers mois de gestation avant de mourir également. Les tentatives ultérieures ont conduit en 2009 à la naissance d’un clone qui est mort quelques minutes après la naissance à cause d’un défaut physique au niveau des poumons. Le projet de clonage a été arrêté depuis.