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dimanche 28 juillet 2024

Le fruit est dans le ver

Le fruit est dans le ver ! Et pas l'inverse ! Ce renversement sémantique semble connu des seuls pêcheurs. Et de ce pas, je vous (em)mène en bateau, casquette vissée sur le crâne, pipe à la bouche et main de fer sur la roue, tandis que le mousse devrait astiquer le pont. Nous partons pour une longue pêche hauturière, et dans ces occurrences, un mousse a bien des usages.


Après nombre de retours cale vide, l'armement est exsangue : peu de carburant, à peine d'appâts, guère de biscuit et plus une goutte de rhum. Le mousse est mon dernier luxe. La pêche dans les quarantièmes a bien périclité, il faut le dire : la surpêche, le réchauffement climatique, les spoutniks, et tout le reste. Nous sommes sur le 45 ème parallèle ou presque, sans réaliser la pêche espérée, poussés par la longue houle d'ouest.


Je renonce à la palangre de trois cents hameçons sur ses dix kilomètres de nylon, lui préférant ma célèbre palangre-à-un-coup-mais-le-bon et son montage au mort-vivant permettant une parfaite présentation du vif. Le mousse a d'ailleurs capturé un appât avec un ver. Il ne se rend pas compte qu'il a fait un profit de 4000 %, passant de 1 gramme de ver à 40 grammes de perchette.  Et c'est heureux : si on instruisait les mousses, les capitaines se retrouveraient vite ficelés à fond de cale.


Toujours au ras du 45 ème parallèle, près de l'Anse de la Coste de Renac -  non encore cartographiée - là où le Hollandais Volant serait rené, ou arthur, et en tout cas réapparu,  je laisse filer la perchette au bout de son fil. En manque de rhum, j'allais ... quand je vois le fil se dérouler sur la bobine du moulinet.


Branlecas de bombat  !!!  crié-je distinctement. Mille ras-bords ! Mille d'accord ! A la douzième seconde – la pêche est une science -  je ferre avec en retour une étrange bizarritude dans la sensation. Pas l'effet souche du gros poisson, non,  pas l'effet bouhhhh ! du raté total non plus.  Y'a ben queq'chose,  mais qu'est pas komifo …


En fait, le poisson a attaqué le vif en venant sous le bateau et est reparti avec sa proie vers le large, en contournant mon amarrage, lequel offre un amortissement à toute chose : au ferrage, aux sensations, à l'espoir aussi, car quid du ferrage ? J'engueule le mousse et le destin qui ne mouftent ni l'un ni l'autre. Bientôt un presque hénaurme truc passe, à peine distingué, mais je peux rêver d'un sandre record. Nous libérons la ligne par une habile manœuvre et le poisson donne toute sa mesure, faisant crier le moulinet. Un brochet, vois-je au second passage. Zut !

C'est un sandre que j'espérais et pour ce bestiau méfiant comme un complotiste, la ligne est fine et en nylon. Il va couper ma ligne, ce salaud à grandes dents, cet affameur du pauvre pêcheur, ce bachi-bouzouk des eaux douces. J'admoneste le mousse qui n'y est pour rien, et qui présente l'épuisette à la perfection. Et la bête veut bien y entrer sans trop barguigner.


Ouh qu'il est content ...


Ah on est bien … Je promeus aussitôt le mousse au rang de quartier-maître, et nous voguons vers le port, fortune faite. Du ver au brochet, un armement qui fait  du 400 000 % de profit au moins ! Mieux que la flibuste ! 


Avec ma douce dans le rôle du mousse, avec le 45ème parallèle nord dans le rôle du 45 ème sud, avec les vagues des embarcations des skieurs nautiques dans le rôle de la longue  houle d'ouest ...

samedi 22 juin 2024

Pêches salées

C'est fou, ce sentiment d'urgence qui m'assaille parfois, comme disaient les  célèbres pasteurs nomades. Jugez-en ! Dès janvier je commandais tout ce qui pouvait servir à pêcher en Corse ou à Oléron en mai et en septembre. En Chine je commandais, pour aider les travailleurs Ouïghours dans leur juste combat, et soutenir ma trésorerie en même temps. Et puis, en Corse je suis arrivé, fin mai.


Hélas, la pêche du bord fut nulle. Aucune oblade sur la plage ne voulait de mes leurres, d'aucun leurre, quelle que soit l'heure. Elles se moquaient. Et le coup de vent de sud-ouest ensuite m'empêcha de bien pêcher à l'embouchure du Liamone, petit fleuve côtier.

Porto (Corse)


J'étais déçu. Une pauvre girelle ou deux furent capturées aux appâts. La foi seule pouvait me sauver de ce naufrage halieutique. Par chance, le grand Erasmus, qu'on appelle Saint-Erasme dans le coin,  voire Ducon si on est fâché donnait justement à Ajaccio pour les pêcheurs une fête religieuse suffisamment œcuménique pour que j'aille m'y faire bénir. Je vins en pointu, un bateau traditionnel de 1957, à voile latine et à moteur. Bateau qui fut à la Méditerranée ce que la veste polaire est encore au Cantal. Merci à Bibi, son propriétaire !


Le pointu de Bibi 
Saint Erasme et ses représentants


Et tout fut changé. La mer soudain était poissons. Me voilà chargé de gallinettes (grondin perlon) ici, de dentis (dentex dentex) là, et de sévereaux (chinchards) entre les deux, destinés à séduire les derniers.

Je n'ai pas vraiment capturé les gallinettes, hein, mais je participais, et c'est l'important : j'ai un peu tiré sur les palangres, j'ai un peu remercié la mer en y déversant une offrande constituée de mon dernier repas. Putain de houle …





Une fabuleuse bouillabaisse plus tard, avec gallinettes, vives, poissons de roche et belles rencontres, et j'étais totalement reconstitué.


Et prêt pour le dernier acte : sur une fière monture poussée par deux moteurs de 150CV chacun, je me jetai à la vitesse de l'éclair sur les dentis, ce poisson roi de la Med, comme l'impôt sur les classes moyennes ou un député sur une circonscription. D'abord, pêcher des vifs. C'était génial, mais déjà terminé quand on commençait à vraiment s'amuser. Il fallait passer aux choses sérieuses.

On attaque donc la traîne lente au vif à 3,5 km/heure. Les 300 CV s'ennuient tandis que je piaffe. Trente minutes plus tard je rate la première touche comincon . J'ai bien sorti la canne de son support, j'ai bien poussé le frein, mais j'ai ferré trop tard. "Mmqdzlldlhbd" soupire dans mes bras le chinchard horriblement blessé par les dents du prédateur. "Putain-merde", que je lui réponds sous le coup de l'émotion, en le balançant dans un coin du cockpit. Homme libre, la mer tu chériras.

Un second chinchard, plus petit mais tout aussi courageux, se dévoue à son tour. Je suis aux aguets, comme un amoureux transi, ou comme mille morpions affamés, et moins d'une heure plus tard, la canne plie, que j'extrais vivement de son support en poussant en même temps le frein et en ferrant aussitôt ... En me vautrant sur le pont glissant, car cinq kilos de frein, cela surprend si on est en déséquilibre sur un plancher mouillé ... Sans toutefois lâcher la canne. Marin-pêcheur, quelle vie de m. 

Mon denti ...


Mais il est bien au bout et le guide pronostique "beau denti". Je pompe et je mouline, et bientôt il est à l'épuisette C'est une grande joie et une belle émotion que de capturer si magnifique poisson de plus de six kilogrammes.


samedi 20 avril 2024

Pêche en terre inconnue

L'aventurier qui sommeille en moi avait d'abord observé la magnifique couleur du ciel, senti ce vent du Nord suffisamment léger, déchiffré ce Géoportail aux vingt centimètres de définition … Et paf, il pose le doigt ici sur la carte, l'aventurier.

la rivière rêvée, entre les arbres


Les routes et chemins qui y mènent ont été tracés par des ingénieurs ivres-morts et jemenfoutistes au possible. Avec la même quantité de matériaux, l'accès pourrait être à quatre voies si on n'avait pas autant zizagué !!! Et après, on est endetté.

Nul ici ne saurait lâcher des truites de bassine et je pourrai donc être bredouille sans souci. Mais au km 40, le doute masaï. Vous savez, celui des éleveurs africains … On ne peut pas croiser un autre véhicule, par ici. Un chemin si étroit, puis si pentu, si "non-revêtu", si tout ça, hein … Un indigène m'affirme dans sa langue qu'un certain Duster, que je ne connais pas, y serait descendu et que si ma voiture a quatre roues motrices, ça doit le faire. Remonter côté Aveyron sera préférable ajoute-il. On est sur un pointillé, en prime.

J'ajuste la lanière d'un casque mental et je resserre la ceinture : je n'ai jamais eu l'ombre d'un morceau de début de courage physique. Comme il n'est pas nécessaire de se servir des freins grâce à la technologie de mon véhicule, ça se passe bien malgré une pierre libre, venue d'un talus adjacent, sur laquelle je dois poser la roue pour être certain de ne pas me poser dessus.

Je suis bientôt à pied d'œuvre, la rivière chante tandis qu'une pancarte promet des éboulements, me parlant mais un peu tard de la pierre mal placée. Pas un bruit du monde ! Quel dommage que je ne sache pas pêcher la truite ! La rivière est magnifique. Il y a aussi plein d'insectes volants, je pense surtout des fourmis ailées. J'ai des mouches artificielles dont je ne sais me servir, des vers, des teignes, des leurres souples, de l'espoir.




Bon, je ne vois pas de truite. Alors là ?

Eau vive, jeux de lumière et insectes volants

La truite est vagabonde, disait Schubert, qui ne pêchait pas mieux que moi. Je passe plus de temps à remplacer les hameçons qu'à tremper du fil, d'ailleurs. La sylve se joue de moi sous l'eau et hors de l'eau. Je crois que c'est au leurre que je me débrouillerai le mieux, sur la canne de 3.80 mètres. Sans enregistrer la moindre touche.

Et je quitte l'endroit par son pont de bois, heureux et comblé. 



Le montée côté Aveyron nécessitera l'usage des quatre roues motrices aussi !


vendredi 12 avril 2024

Truite de foire

Solidement incapable de capturer une VRAIE truite au leurre, j'étais. Je n'avais pris qu'une Arc-en-ciel en tout et pour tout. J'ai eu alors l'idée de toquer. La pêche au toc – une canne, un fil, un hameçon – est certes un peu fruste et en dessous de ma condition de sportsman, mais elle me permettrait facilement de capturer une belle fario. Mais aussi toqué que je sois, je n'étais pas bien équipé pour l'exercice ... Et c'est une très vieille canne télé réglable du siècle dernier qui s'est invitée, accompagnée d'un moulinet d'un demi-siècle presque. Un bout d'archives de ma vie en quelque sorte.


La Cère 



Arrivé au bord de la Cère vers 14 heures,  mes yeux s'écarquillent : alors qu'il y a en général au plus une voiture de pêcheur, elles sont presque dix !!! J'apprends que cet afflux est lié au passage le matin  même du Père Noël avec sa hotte de truites de pisciculture. De plus, ma canne est désagréable, même réduite à quatre mètres, et le moulinet est carrément ignoble. Je peine à lancer le gramme de plomb et sa teigne ou son ver à plus de 6 mètres. Je laisse rouler au fond dans le courant en soutenant à peine … et à ma propre surprise, je sors une première truite ! Super !  


Une truite arc-en-ciel


Vous alliez vous esbaudir, admirer chez le vieux pêcheur cet extraordinaire sens de l'eau qui lui permet avec du matériel suranné de capturer une splendide fario parmi les Arcs en Ciel juste lâchées. Ben pas du tout : ce n'est qu'une arc-en-ciel, ce poisson qui est à truite de ruisseau ce que le char à bœuf fut à la De Dion Bouton en 1912.

Étonnamment, j'en prendrai encore cinq alors que nous sommes quatre à pêcher la même eau et que mes trois voisins n'ont pas ma chance. Je suis celui qui lance dans le courant, celui qui a une plombée minimum, celui qui n'a pas de bouchon mais surtout celui qui a du bol. A ma gauche mon voisin pêche comme moi, mais avec un hameçon plus gros et une ligne plus lourdement plombée ... Il en a pris deux le matin, me dit-il, de cette manière, mais le diable à la pêche comme ailleurs réside souvent dans les détails et seul le hasard avait décidé de ma ligne.

Mais la chance, ça tourne ... Vous n'ignorez pas que manger du poisson est dans la nature profonde du mammifère omnivore rural que je suis. La truite dans mon souvenir est un excellent poisson, et je n'avais plus mangé de truite de ma pêche depuis quarante ans, une époque de truites bien jaunes avec des points bien rouges …

J'ai donc gardé mes prises. Qu'elles n'aient connu qu'une petite demie journée de vie sauvage ne présageait pas forcément d'un grand moment de gastronomie. Mais les poulets de Bresse ont zéro heure de vie sauvage et sont délicieux, non ? J'en ferai donc trois à la poêle et je fumerai les trois autres.

 " Votre épouse va être contente " avait pronostiqué le pêcheur d'en face. Eh bien non. D'abord mon épouse n'était pas contente car des écailles avaient volé. Oh que c'est mesquin, ça ! Ensuite parce qu'elle soupçonnait que ça ne serait pas renversant. Un poil d'ail, une lichette de persil et hop dans la poêle et je sers ma belle avec mon sourire de vainqueur. "Pouah ! C'est immangeable", qu'elle dit. "T'exagères, c'est vaguement dégueu, mais à Gaza on adorerait quand même!", je lui rétorque, glissant un autre sujet de conversation qui nous éloignerait de ma performance et démontrerait encore mes infinies capacités d'empathie.

Elle a ensuite amoureusement préparé la truite qu'elle dédaignait pour Fripouille le chat, qui n'aime pas trop les arêtes mais qui semble avoir trouvé ça bon, même s'il n' a pas terminé. J'en ai moi même laissé un peu.

Restaient trois poissons, qui salés avec science, assaisonnés et fumés à la perfection et à la sciure de hêtre, se hisseraient cette fois au niveau d'un caviar, d'un ortolan, d'un homard bleu. A la dégustation, c'est certes mieux, mais en écoutant nos papilles, il semble persister un très vague arrière goût.


Truite fumée


Si jamais je pêche encore une de leurs sœurettes dans la Cère, je la nokillerai sauvagement.

lundi 1 avril 2024

De l'art de convaincre

 Je roulais tranquillement dans le Revermont accompagné de mon épouse. J'avais la banane pour deux bonnes raisons. D'abord un stock tout neuf de vieux comté dans le coffre, et ensuite le bonheur d'être là à traîner sur les chemins de mon adolescence. J'arrivais ainsi à la toute fin du Revermont. Ou au tout début de la Bresse, va savoir ! C'est ici la zone grise où ventres jaunes de la plaine et cavets de la montagne se mélangent allègrement, et où des pointillés clairs et nets amélioreraient la précision du récit.


Passons sur l'impéritie de nos services publics qui couvrent les cartes de pointillés de toutes sortes sans JAMAIS avoir le courage de venir les reporter ensuite sur le terrain. C'est juste là, à l'entrée du village, entre deux virages à 90 degrés dans lesquels on ne tremperait pas un doigt sans se brûler, qu'un gentil monsieur, une brassée de fanions tricolores sous le bras et un panier à la main nous invite à nous arrêter un instant. Comme il est à la fois porteur d'un gilet jaune tout neuf et posé au milieu de l'embranchement, nous lui laissons volontiers la vie sauve. J'ouvre la vitre pour le saluer et m'enquérir de sa démarche.


Il s'excuse de provoquer notre arrêt et nous explique être simplement posté ici pour récolter un peu de fonds en vue du lancement d'un événement gastronomique porté par la maison des jeunes du village.


Ah que pourquoi pas ? J'aime les jeunes, j'aime ce village, j'aime la gastronomie et j'aime la bonne bouille de notre interlocuteur. Donc je veux bien le petiot drapeau tricolore contre deux balles, pourquoi pas ? Alors que l'un de nous se met à la recherche de monnaie, il demande si nous n'aurions pas un billet de dix ou de vingt euros pour se libérer de la monnaie que je vois abonder au fond de son panier, parmi des petits je-ne-sais-quoi emballés de papier plastique. Bien sûr !


Nous cherchons un petit moment – nous sommes auvergnats – et j'ai enfin en main le bifton de vingt euros. Un petit nougat ou un gros ? me demande le gentleman. Je souris, c'est vraiment sympa de filer une friandise aux gentils donateurs. Un gros bien sûr ! Il me tend un je-ne-savais-quoi-mais-je-sais-maintenant, et alors que j'attends 18 euros la main tendue et le sourire aux lèvres, le mec m'en file trois ... Le petiot nougat n'est pas un cadeau ? C'est ce que j'aurais dû comprendre ?




Deux-trois neurones se reconnectent enfin. Je reprends mon billet avec autorité, lui rends ses trois euros, et lui demande aussi à quel point il se paie ma tronche. Magnanime, je garde le drapeau et lui file deux euros.


Il aurait suffit d'un rien, une voiture qui arrive en prime pour créer un léger stress, pour que mes sens endormis ne s'éveillent pas et que je me fasse baiser 17 euros en croyant participer à une initiative sympathique …Il n'y avait d'ailleurs pas l'ombre de projet de manifestation gastronomique.


Quelque jours plus tôt, ma sœurette recevait quelqu'un pour un contrôle de son isolation … Bien normal puisque de l'argent public y avait contribué. Mais ce n'était pas un contrôle, juste des marlous qui récupèrent des fichiers je ne sais comment, et sont là pour des objectifs absolument pas nets (pas de carte pro, pas de document officiel ni même commercial)


Tout ça en trois jours, et sans recourir à l'intelligence artificielle ! Mais moi, je devrais m'en équiper, je crois.

vendredi 15 mars 2024

Une heure de pêche à la truite

 

Je dois fuir un forum où l'on ne peut montrer un poisson s'il est mort, et où il est interdit de parler de la cuisine du poisson. Des végans ? Des animalistes avec une fixette marquée sur le monde subaquatique ? Non, ils seraient juste les pêcheurs nouveaux. Imaginez des êtres éthérés, probablement jeunes, beaux, peut-être asexués, dépourvus d'humour mais pas d'agressivité, se nourrissant probablement du seul chant du ruisseau ou du bruit des vagues. Imaginez-les idéalement debout à la proue d'un bateau brillant comme un bijou fantaisie et couvert de publicités, pêchant des poissons magnifiques sur un fond musical à définir encore … Pour les remettre à l'eau. Et recommencer. Et recommencer.


Alors moi, le petit vieux qui pêche avec une canne à soixante balles et un moulinet soldé et qui ose manger le rare poisson qu'il pêche, je suis l'ENNEMI jamais pardonné.

Du coup je m'étais inscrit sur un forum se nommant La truite et les carnassiers, où les gens ne sont pas sectaires ! Mais voilà, il y avait "truite" dans le nom et je ne m'étais pas méfié des effets secondaires ! On ne lit pas les notices, et après, on a des soucis.

Et en ce jour de mars carrément solaire, je décide, plutôt que de pêcher le lac, d'aller voir la Cère en un lieu totalement civilisé, au sol idéalement pavé et urbain. Ces conditions très confortables sur 200 ou 300 mètres  en font les jours de soleil post ouverture de première catégorie un rassemblement de pré-ados et de post-adultes qui se retrouvent là pour des raisons différentes, mais tous avec des cannes à pêche.


A Laroquebrou, idéal pour post-adulte

Bien sûr on n'y prend rien, et particulièrement ces jours de niveau fort élevé, de courant très fort, car MON lac, quelques kilomètres au-dessus largue en permanence sa surabondance de flotte. Mais ça n'a pas d'importance.

Je me souviens vaguement, pour avoir bossé dans ce chef-lieu de canton autrefois, qu'il y a pas mal d'herbiers. Je m'équipe donc d'une monture anti-accroche avec un beau ver de terre sur une canne, et d'un leurre souple parfumé comme une pute de Bombay sur l'autre. Plombés tous deux de 3 à 5 grammes. Je supprime l'agrafe qui a tendance à me ramener des herbes, au profit d'un nœud malin, et ça marche.


Derrière la pile, LE poisson ... Ou pas


Je suis totalement surprenifié de ne pas accrocher illico, grâce au montage texan sur le leurre souple, grâce à une élytre savamment installée sur la tête plombée au ver. Je suis grand ! et le ver fera une cinquantaine de voyages avant de se rompre sur un accrochage qui était peut-être une touche. Nous ne saurons jamais.

Je redécouvre le plaisir de soutenir dans le courant rapide en guettant la touche. Ayant repèré le seul endroit où je serais si j'étais truite sauvage, dans le remous de la pile du pont, j'y lance et relance sans succès … mais avec bonheur.

Elle était belle, cette bredouille. Sur le retour depuis un paysage où les verts claquent, je scrute la montagne, y imaginant mon fils en train de glisser sur le blanc.

Sur le chemin du retour



jeudi 29 février 2024

Où je sauve la mort d'un poisson

Certes, sauver une vie, c'est génial ; mais admettez que c'est un truc très couru, et même courant. Alors j'ai sauvé une mort. Et pour ça, une médaille serait bienvenue, avec une coupe de champ à la clé. Pourquoi une, d'ailleurs ?


La médaille ?


J'étais venu ce jour de février au bord du lac déguster des rayons de soleil encore un peu acides, relevés du mordant d'un petit vent du nord. Mon but premier était de me me rendre compte de la nage de nouveaux leurres, des "jigs "  de 10 g et 3-4 cm, à 2 hameçons en tête que je venais d'acheter. Des descendants asiatiques des poissons d'étain d'autrefois. Le jig, ce n'est pas le moment ici, mais j'avais aussi des leurres souples. Bien plus que moi.

Mon degré d'optimisme quant à une prise était tel que j'avais laissé l'épuisette à la maison.

La bise me chope au sortir de la Zoe tel un cinéaste la jeune actrice à peine pubère. Aussi j'hésite à poursuivre avant même que d'avoir commencé. Mais le soleil aussi est là et un caprice du relief me procure un endroit abrité qui convient à ma pêche. La nage du nouveau leurre est "bof bof", plus ondulante que celle de mes jigs habituels, et jetant moins d'éclats. Mais cela ne permet en rien de conclure. Ils m'ont coûté une misère et se révéleront peut-être des merveilles aux beaux jours.

Je papote avec un pêcheur qui exhibe sa panoplie de vifeur éduqué : ses 4 cannes télescopiques ne prennent que la moitié des quarante mètres de berge habituels, et il est souriant. Il a raison, car une touche, sympa comme celles qui en annoncent d'autres, secoue sa ligne. Au ferrage c'est lourd, trop pour un sandre ,,, et c'est un silure de quelques kilogrammes qui se pointe, Il l'extrait de l'eau et demande à son voisin s'il le veut ; celui-ci décline. A moi aussi, et je décline. Mais je n'ai pas pour autant sauvé une vie comme n'importe quel chafouin graciant un poisson.



On n'est pas bien, là ?


Car le sympathique pêcheur déclare illico qu'il va l'occire d'un bon coup de gourdin avant de le rejeter à l'eau. Ah que pourquoi ? que je dis. Il pense que que si on garde les sandres et qu'on relâche les silures, mathématiquement viendra le jour où il n'y aura que des silures. "Ceusses qui croivent ça, on n'y peut pas grand chose" (SIC, Lettres sur le capital, Engels, 1887). Le silure lui-même en est conscient et ne proteste pas davantage que moi.

Et c'est là que je décide de sauver cette mort ... Mais déjà la canne d'à côté s'agite et le nylon se déroule. Et c'est un sandre cette fois, qui ravit le pêcheur. Je prend des photos sur son smartphone, pas sur le mien.


Petit baveux ...

Puis je pêche un peu au leurre dur, un autre peu au leurre souple pendant une grosse demi-heure avant de revenir papoter. Il fait nettement meilleur, un bon 10 degrés ensoleillé avec un vent qui a faibli. On ne voit aucun petit poisson qui flâne, la température de l'eau ayant baissé ces jours tandis que le niveau grimpait ...

Puis j'ai un silure à préparer, c'est toujours aussi salissant, mais cette mort ainsi n'est pas vaine. Il sera cuisiné en mode relevé, sauvant un porc de l'amputation de quelques côtes, ou un poulet entier. Tandis que ses abats auront peut-être un destin halieutique dans le cadre de mes recherches les plus extravagantes.