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dimanche 26 janvier 2025

Maquereau en montagne, et marlin ailleurs

Autant l’écrire tout de suite, ça n’a rien donné. Mais ce titre montre le génie et l'inventivité de l’auteur. Quoi ? Il n’y a pas de maquereau dans ce lac ? Mais je les apporte, pardi ! Et le maquereau est au bout de la ligne, en guise d'appât, chargé de convaincre un poisson gastronome.

J’avais bêtement regardé les pêches d'une star d'Outre-Manche. C’était un fake, assurément, un produit de l’IA, un complot... Michel Marron, dit là-bas Mick Brown, soit-disant pêcheur de brochets célèbre Outre-Manche, a-t-il même existé comme voudrait le faire croire cette vidéo? Vous pouvez cliquer si vous aimez. Michel Marron à l'oeuvre . Je suis rentré bredouille au possible, et ça prouve le fake.

Pendant ce temps, à la Réunion, gros contraste ...


Sach95, La Réunion, déc. 2024, 268 kg


Cette déconfiture laissait derrière elle un passif à régler avec mes soi-disant alliés et complices. D'autres maquereaux seraient sacrifiés pour remplacer les sandres et les brochets dont ils m’avaient privé par leur incompétence, leur mauvaise volonté, ou même leur trahison.

White Hunter, Poissonnier, janvier 2025, 468 g.


Je glissai quelques sous dans la poche d’un mauvais garçon notoire, poissonnier de son état, qui me remit cinq maquereaux sauvages d’une livre chacun, pris au hasard des mers et des océans afin que plus aucun d'eux n’ose me ridiculiser pendant quelques générations. J’allais les fumer, moi, ces macs !

Vous aussi, vous avez un compte à régler ? Juste faim ? N'hésitez pas à fumer du maquereau !

C’est incroyablement facile à fileter, et le rendement en filets avec peau est de quasi 60 % ! Contre 35 % pour les perches, peau ôtée, il est vrai.

Et hop, bien rangés dans un plat aux dimensions adéquates, avec 29 g de sel par kg, 3 de cassonade, 3 de poivre noir, 3 de graines de coriandre torréfiées, aussi bien répartis que possible. Laissés de 10 à 72 heures au réfrigérateur, en retournant deux ou trois fois, pour l’homogénéisation du salage. Puis tamponnage au papier ménager et une journée au réfrigérateur pour un ressuyage suffisant avec la mise dans le fumoir.

Ah, on est bien ...


Sciure de hêtre pour une douzaine d’heures, ou plus selon l’humeur. Je les sécherai jusque vers une perte de 15 % de leur poids, et je les congèlerai sous vide deux ou trois jours plus tard, comme il est recommandé pour le poisson sauvage.
    Le fumoir

Ils sont sortis du salage avec 4 % de perte du poids initial, 4 % perdus ensuite en une journée de fumage, 4 % encore dans la nuit dans la cave électrique. Je décide de 4 heures de fumage supplémentaires le matin suivant, perte de poids réelle 12,4 %, et emballage sous vide pour deux jours de frigo, puis congélation anti-parasites (poisson sauvage). Notez que le fumoir aurait été un peu juste pour le marlin !


Ils rejoindront des salades vertes, des blinis tièdes, et je ne sais quoi d’autre…

Les brochets, eux, ils grossissent. Et comme vous avez droit à la photo de la prise extraordinaire de Sacha, "Sach95", qui pêcha en décembre 2024 le prodigieux marlin que vous voyez en tête de cet article ... Je vous livre aussi son récit, le 1er janvier 2025, sur un forum de pêcheurs, car je suis un prince, à défaut d'être un bon pêcheur ...


" .../... une pêche incroyable que j’ai vécue il y a de ça deux jours. En vacances à La Réunion pour une semaine, je me suis prévu une matinée de pêche aux gros avec un pêcheur professionnel, une première fois pour moi. Départ le matin à 7 h, la pêche commence par une traîne rapide au leurre de surface jusqu’à un DCP* à environ 30 minutes de navigation depuis le port. Après quelque temps au jig** sur le DCP sans touche, malgré des échos de thon dans la zone, le capitaine sort une ligne à main pour tenter de prendre un vif ; une fois la chose faite, la ligne au vif est à l’eau, avec un petit poisson d’à peine 10 cm au bout.


Après plusieurs heures sans activité, nous remontons les lignes. Je me charge de remonter celle avec le vif pas plus gros qu’un gardon, et là, à même pas 10 mètres du bateau, une énorme masse noire avec un dos et une dorsale bleu électrique surgit, suivant le vif. Ni une ni deux, une canne avec une bonite entière est à l’eau, et une autre canne avec une imitation d’octopus*** rose de 25cm. S’ensuit une quinzaine de minutes où le poisson slalome entre nos lignes, apparaît puis disparaît, jusqu’au moment où il attaque en surface l’imitation d’octopus. S’ensuit un rush interminable où il déroule plus de 400 ou 500 mètres de fil, tout en faisant des chandelles sur sa course.

Une fois ce rush terminé, je suis installé sur le siège de combat, harnaché au moulinet, et le combat débute. Il était 10 h 15 lorsque la touche a eu lieu, il sera vers 12 h 45 lorsque celui-ci sera terminé.

Je n’aurais jamais pu imaginer à quel point le combat avec un tel poisson était physique et difficile. Il aura fallu se relayer par deux fois avec l’autre personne présente sur le bateau avec moi ce matin pour venir à bout de ce poisson, un marlin bleu de 268 kg, pour près de 3 mètres.

Un poisson exceptionnel, certainement le poisson d’une vie, dans la mesure où le précédent record du capitaine, pêcheur depuis plus de 20 ans sur l’île, était de 246 kg.

Le lendemain, j’avais des courbatures dans les bras, mal aux mains et au dos, et des souvenirs à vie "


* dispositif de concentration de poissons
** Leurre de pêche métallique
*** leurre souple artificiel s'inspirant d'un calamar

lundi 23 décembre 2024

Jouer la coppa au 421

Arf ... Ma coppa, je la jouais au 421 ; et elle était sucrée ! En principe pourtant, ce n'est pas aux vieux singes qu’on apprend à faire la bonne soupe. Ou un truc comme ça, hein  … En principe, je dis, mais essayez seulement une fois de vous appuyer sur un principe, vous verrez qu’il cédera. Tout'façons, c'est pas de soupe, mais de coppa que l'on cause ici.
Cela fait tout juste un demi bail, soit presque un lustre, que je me suis mis à produire mes salaisons fumées et séchées avec ferveur souvent, et parfois seul. Sauf le saucisson, hein, les boyaux, le broyage de la bidoche, c'est pô mon truc. 

Saler juste, ni trop ni trop peu, est le principal enjeu, on s'en rendra compte dès le premier essai. Et on trouvera vite la méthode sûre, celle du salage sous vide : un salage exact !
À mon habitude, j’avais lu pas mal, et pas mal échangé. J’avais aussi consulté beaucoup de tutoriels, qui poussent sur le net comme les herbes sauvages dans mon allée. On y voit clairement que la plupart des tuteurs-influenceurs apprennent en enseignant aux autres, mais n’est-ce pas le lot commun des pédagogues ? 
Je moquais sans pitié ces influenceurs qui sont partout, de la pêche à la ligne à la chasse aussi ... Mais surtout, surtout, je ricanais de leurs victimes ! Des benêts dont le libre arbitre était resté sur le banc de touche, ou même au vestiaire. Qui servent à faire des pouces bleus et des clics. Pour finir au pire populiste ou poutiniste, au mieux adepte de médecines douces ou flexitarien. 


La première recette de coppa enfin déchiffrée !



Pour faire simple, en matière de salaisons, il y a deux manières de saler nos futurs chefs-d'œuvre, que ce soit un morceau d’échine de porc préfigurant une coppa magistrale ou un filet de perche annonciateur d’un filet de perche. Tss, comme les mots manquent, parfois ! Il y a le salage par recouvrement d’abord, basé sur beaucoup de sel pendant un temps calculé finement et sur lequel personne n'est d'accord, et ensuite le salage "exact" dit "en apport limité", où on met la quantité de sel souhaitée au final dans la viande. C’est plus récent, les balances au centième de gramme à 10 euros ont permis ce progrès, ainsi que les machines "Sous Vide" qui ne sont d'ailleurs pas totalement indispensables à ce stade.

Le salage sous vide dit SSV est devenu tendance : pas d’erreur de salage et résultats reproductibles assurés, contrairement au salage par recouvrement. Mais son mot d’ordre fut 4-2-1 pour 4 % de sel, 2 % de sucre, et 1 % d’assaisonnement et d’épices. Presque tous les influenceurs dont j'ai vu les tutoriels ont prescrit ce 4-2-1 ou ses variations... Quand ils ne préféraient pas envoyer les débutants vers des soifs nocturnes inextinguibles avec le salage par recouvrement. J'ai cherché l'influenceur zéro, la première contamination au 4-2-1 … J’ai bien trouvé un nom, grâce à une enquête confiée à Chat GPT, un geek qui bosse dans le renseignement. Mais je n’ai trouvé aucun écrit ou aucune vidéo qui montre l'agent toxique à l'œuvre, donc le doute profitera à l’accusé. Au « mis en cause », pardon, et je ne le nommerai pas.

J’avais lu bien des cahiers des charges pourtant SANS SUCRE, et va savoir pourquoi, Charles, j’ai opté pour le 4-2-1 …

J’ai aussitôt discuté avec moi-même de ce 4 % de sel un peu "trop" dont j’ai fait un 3,5 ou un 3 selon les produits à saler. Et du 1 d’épices que j’ai décliné à l’envi pour mes viandes. Le 2 % de sucre, moitié du 4 est resté cette moitié du sel, et est dont devenu 1,5 à1,7 % ... Et je ne me suis pas interrogé davantage. Car c'est juste du sucre, et que je suis surtout un benêt de follower. Bon, je ne suis pas devenu poutiniste.

Et un jour parmi tous les autres, un très bon ami corse a jugé que ma coppa avait un goût sucré malvenu. Quoi ???? Vendetta ? Il est où, mon douze ? Mais avant de filer dans le maquis, j’ai réouvert le cahier des charges de la Coppa de Corse AOP. Damned ! ZERO SEL ! Le salage en apport limité y est à 35 g par kg maxi. Là au moins je suis dans les clous.

Pire, cherchant des consolations du côté du Bellota espagnol, ou du côté de Parme, pas le moindre grain de sucre non plus. Même le super saumon fumé par les traiteurs est sans sucre ...

Mais voyons le bon côté des choses : je vais devoir réinventer un peu mes recettes, et comme le sucre masque le goût de sel, j’en ai pour un petit moment à recaler les équilibres que nous aimons !

Poitrine fumée








dimanche 28 juillet 2024

Le fruit est dans le ver

Le fruit est dans le ver ! Et pas l'inverse ! Ce renversement sémantique semble connu des seuls pêcheurs. Et de ce pas, je vous (em)mène en bateau, casquette vissée sur le crâne, pipe à la bouche et main de fer sur la roue, tandis que le mousse devrait astiquer le pont. Nous partons pour une longue pêche hauturière, et dans ces occurrences, un mousse a bien des usages.


Après nombre de retours cale vide, l'armement est exsangue : peu de carburant, à peine d'appâts, guère de biscuit et plus une goutte de rhum. Le mousse est mon dernier luxe. La pêche dans les quarantièmes a bien périclité, il faut le dire : la surpêche, le réchauffement climatique, les spoutniks, et tout le reste. Nous sommes sur le 45 ème parallèle ou presque, sans réaliser la pêche espérée, poussés par la longue houle d'ouest.


Je renonce à la palangre de trois cents hameçons sur ses dix kilomètres de nylon, lui préférant ma célèbre palangre-à-un-coup-mais-le-bon et son montage au mort-vivant permettant une parfaite présentation du vif. Le mousse a d'ailleurs capturé un appât avec un ver. Il ne se rend pas compte qu'il a fait un profit de 4000 %, passant de 1 gramme de ver à 40 grammes de perchette.  Et c'est heureux : si on instruisait les mousses, les capitaines se retrouveraient vite ficelés à fond de cale.


Toujours au ras du 45 ème parallèle, près de l'Anse de la Coste de Renac -  non encore cartographiée - là où le Hollandais Volant serait rené, ou arthur, et en tout cas réapparu,  je laisse filer la perchette au bout de son fil. En manque de rhum, j'allais ... quand je vois le fil se dérouler sur la bobine du moulinet.


Branlecas de bombat  !!!  crié-je distinctement. Mille ras-bords ! Mille d'accord ! A la douzième seconde – la pêche est une science -  je ferre avec en retour une étrange bizarritude dans la sensation. Pas l'effet souche du gros poisson, non,  pas l'effet bouhhhh ! du raté total non plus.  Y'a ben queq'chose,  mais qu'est pas komifo …


En fait, le poisson a attaqué le vif en venant sous le bateau et est reparti avec sa proie vers le large, en contournant mon amarrage, lequel offre un amortissement à toute chose : au ferrage, aux sensations, à l'espoir aussi, car quid du ferrage ? J'engueule le mousse et le destin qui ne mouftent ni l'un ni l'autre. Bientôt un presque hénaurme truc passe, à peine distingué, mais je peux rêver d'un sandre record. Nous libérons la ligne par une habile manœuvre et le poisson donne toute sa mesure, faisant crier le moulinet. Un brochet, vois-je au second passage. Zut !

C'est un sandre que j'espérais et pour ce bestiau méfiant comme un complotiste, la ligne est fine et en nylon. Il va couper ma ligne, ce salaud à grandes dents, cet affameur du pauvre pêcheur, ce bachi-bouzouk des eaux douces. J'admoneste le mousse qui n'y est pour rien, et qui présente l'épuisette à la perfection. Et la bête veut bien y entrer sans trop barguigner.


Ouh qu'il est content ...


Ah on est bien … Je promeus aussitôt le mousse au rang de quartier-maître, et nous voguons vers le port, fortune faite. Du ver au brochet, un armement qui fait  du 400 000 % de profit au moins ! Mieux que la flibuste ! 


Avec ma douce dans le rôle du mousse, avec le 45ème parallèle nord dans le rôle du 45 ème sud, avec les vagues des embarcations des skieurs nautiques dans le rôle de la longue  houle d'ouest ...

samedi 22 juin 2024

Pêches salées

C'est fou, ce sentiment d'urgence qui m'assaille parfois, comme disaient les  célèbres pasteurs nomades. Jugez-en ! Dès janvier je commandais tout ce qui pouvait servir à pêcher en Corse ou à Oléron en mai et en septembre. En Chine je commandais, pour aider les travailleurs Ouïghours dans leur juste combat, et soutenir ma trésorerie en même temps. Et puis, en Corse je suis arrivé, fin mai.


Hélas, la pêche du bord fut nulle. Aucune oblade sur la plage ne voulait de mes leurres, d'aucun leurre, quelle que soit l'heure. Elles se moquaient. Et le coup de vent de sud-ouest ensuite m'empêcha de bien pêcher à l'embouchure du Liamone, petit fleuve côtier.

Porto (Corse)


J'étais déçu. Une pauvre girelle ou deux furent capturées aux appâts. La foi seule pouvait me sauver de ce naufrage halieutique. Par chance, le grand Erasmus, qu'on appelle Saint-Erasme dans le coin,  voire Ducon si on est fâché donnait justement à Ajaccio pour les pêcheurs une fête religieuse suffisamment œcuménique pour que j'aille m'y faire bénir. Je vins en pointu, un bateau traditionnel de 1957, à voile latine et à moteur. Bateau qui fut à la Méditerranée ce que la veste polaire est encore au Cantal. Merci à Bibi, son propriétaire !


Le pointu de Bibi 
Saint Erasme et ses représentants


Et tout fut changé. La mer soudain était poissons. Me voilà chargé de gallinettes (grondin perlon) ici, de dentis (dentex dentex) là, et de sévereaux (chinchards) entre les deux, destinés à séduire les derniers.

Je n'ai pas vraiment capturé les gallinettes, hein, mais je participais, et c'est l'important : j'ai un peu tiré sur les palangres, j'ai un peu remercié la mer en y déversant une offrande constituée de mon dernier repas. Putain de houle …





Une fabuleuse bouillabaisse plus tard, avec gallinettes, vives, poissons de roche et belles rencontres, et j'étais totalement reconstitué.


Et prêt pour le dernier acte : sur une fière monture poussée par deux moteurs de 150CV chacun, je me jetai à la vitesse de l'éclair sur les dentis, ce poisson roi de la Med, comme l'impôt sur les classes moyennes ou un député sur une circonscription. D'abord, pêcher des vifs. C'était génial, mais déjà terminé quand on commençait à vraiment s'amuser. Il fallait passer aux choses sérieuses.

On attaque donc la traîne lente au vif à 3,5 km/heure. Les 300 CV s'ennuient tandis que je piaffe. Trente minutes plus tard je rate la première touche comincon . J'ai bien sorti la canne de son support, j'ai bien poussé le frein, mais j'ai ferré trop tard. "Mmqdzlldlhbd" soupire dans mes bras le chinchard horriblement blessé par les dents du prédateur. "Putain-merde", que je lui réponds sous le coup de l'émotion, en le balançant dans un coin du cockpit. Homme libre, la mer tu chériras.

Un second chinchard, plus petit mais tout aussi courageux, se dévoue à son tour. Je suis aux aguets, comme un amoureux transi, ou comme mille morpions affamés, et moins d'une heure plus tard, la canne plie, que j'extrais vivement de son support en poussant en même temps le frein et en ferrant aussitôt ... En me vautrant sur le pont glissant, car cinq kilos de frein, cela surprend si on est en déséquilibre sur un plancher mouillé ... Sans toutefois lâcher la canne. Marin-pêcheur, quelle vie de m. 

Mon denti ...


Mais il est bien au bout et le guide pronostique "beau denti". Je pompe et je mouline, et bientôt il est à l'épuisette C'est une grande joie et une belle émotion que de capturer si magnifique poisson de plus de six kilogrammes.


samedi 20 avril 2024

Pêche en terre inconnue

L'aventurier qui sommeille en moi avait d'abord observé la magnifique couleur du ciel, senti ce vent du Nord suffisamment léger, déchiffré ce Géoportail aux vingt centimètres de définition … Et paf, il pose le doigt ici sur la carte, l'aventurier.

la rivière rêvée, entre les arbres


Les routes et chemins qui y mènent ont été tracés par des ingénieurs ivres-morts et jemenfoutistes au possible. Avec la même quantité de matériaux, l'accès pourrait être à quatre voies si on n'avait pas autant zizagué !!! Et après, on est endetté.

Nul ici ne saurait lâcher des truites de bassine et je pourrai donc être bredouille sans souci. Mais au km 40, le doute masaï. Vous savez, celui des éleveurs africains … On ne peut pas croiser un autre véhicule, par ici. Un chemin si étroit, puis si pentu, si "non-revêtu", si tout ça, hein … Un indigène m'affirme dans sa langue qu'un certain Duster, que je ne connais pas, y serait descendu et que si ma voiture a quatre roues motrices, ça doit le faire. Remonter côté Aveyron sera préférable ajoute-il. On est sur un pointillé, en prime.

J'ajuste la lanière d'un casque mental et je resserre la ceinture : je n'ai jamais eu l'ombre d'un morceau de début de courage physique. Comme il n'est pas nécessaire de se servir des freins grâce à la technologie de mon véhicule, ça se passe bien malgré une pierre libre, venue d'un talus adjacent, sur laquelle je dois poser la roue pour être certain de ne pas me poser dessus.

Je suis bientôt à pied d'œuvre, la rivière chante tandis qu'une pancarte promet des éboulements, me parlant mais un peu tard de la pierre mal placée. Pas un bruit du monde ! Quel dommage que je ne sache pas pêcher la truite ! La rivière est magnifique. Il y a aussi plein d'insectes volants, je pense surtout des fourmis ailées. J'ai des mouches artificielles dont je ne sais me servir, des vers, des teignes, des leurres souples, de l'espoir.




Bon, je ne vois pas de truite. Alors là ?

Eau vive, jeux de lumière et insectes volants

La truite est vagabonde, disait Schubert, qui ne pêchait pas mieux que moi. Je passe plus de temps à remplacer les hameçons qu'à tremper du fil, d'ailleurs. La sylve se joue de moi sous l'eau et hors de l'eau. Je crois que c'est au leurre que je me débrouillerai le mieux, sur la canne de 3.80 mètres. Sans enregistrer la moindre touche.

Et je quitte l'endroit par son pont de bois, heureux et comblé. 



Le montée côté Aveyron nécessitera l'usage des quatre roues motrices aussi !


vendredi 12 avril 2024

Truite de foire

Solidement incapable de capturer une VRAIE truite au leurre, j'étais. Je n'avais pris qu'une Arc-en-ciel en tout et pour tout. J'ai eu alors l'idée de toquer. La pêche au toc – une canne, un fil, un hameçon – est certes un peu fruste et en dessous de ma condition de sportsman, mais elle me permettrait facilement de capturer une belle fario. Mais aussi toqué que je sois, je n'étais pas bien équipé pour l'exercice ... Et c'est une très vieille canne télé réglable du siècle dernier qui s'est invitée, accompagnée d'un moulinet d'un demi-siècle presque. Un bout d'archives de ma vie en quelque sorte.


La Cère 



Arrivé au bord de la Cère vers 14 heures,  mes yeux s'écarquillent : alors qu'il y a en général au plus une voiture de pêcheur, elles sont presque dix !!! J'apprends que cet afflux est lié au passage le matin  même du Père Noël avec sa hotte de truites de pisciculture. De plus, ma canne est désagréable, même réduite à quatre mètres, et le moulinet est carrément ignoble. Je peine à lancer le gramme de plomb et sa teigne ou son ver à plus de 6 mètres. Je laisse rouler au fond dans le courant en soutenant à peine … et à ma propre surprise, je sors une première truite ! Super !  


Une truite arc-en-ciel


Vous alliez vous esbaudir, admirer chez le vieux pêcheur cet extraordinaire sens de l'eau qui lui permet avec du matériel suranné de capturer une splendide fario parmi les Arcs en Ciel juste lâchées. Ben pas du tout : ce n'est qu'une arc-en-ciel, ce poisson qui est à truite de ruisseau ce que le char à bœuf fut à la De Dion Bouton en 1912.

Étonnamment, j'en prendrai encore cinq alors que nous sommes quatre à pêcher la même eau et que mes trois voisins n'ont pas ma chance. Je suis celui qui lance dans le courant, celui qui a une plombée minimum, celui qui n'a pas de bouchon mais surtout celui qui a du bol. A ma gauche mon voisin pêche comme moi, mais avec un hameçon plus gros et une ligne plus lourdement plombée ... Il en a pris deux le matin, me dit-il, de cette manière, mais le diable à la pêche comme ailleurs réside souvent dans les détails et seul le hasard avait décidé de ma ligne.

Mais la chance, ça tourne ... Vous n'ignorez pas que manger du poisson est dans la nature profonde du mammifère omnivore rural que je suis. La truite dans mon souvenir est un excellent poisson, et je n'avais plus mangé de truite de ma pêche depuis quarante ans, une époque de truites bien jaunes avec des points bien rouges …

J'ai donc gardé mes prises. Qu'elles n'aient connu qu'une petite demie journée de vie sauvage ne présageait pas forcément d'un grand moment de gastronomie. Mais les poulets de Bresse ont zéro heure de vie sauvage et sont délicieux, non ? J'en ferai donc trois à la poêle et je fumerai les trois autres.

 " Votre épouse va être contente " avait pronostiqué le pêcheur d'en face. Eh bien non. D'abord mon épouse n'était pas contente car des écailles avaient volé. Oh que c'est mesquin, ça ! Ensuite parce qu'elle soupçonnait que ça ne serait pas renversant. Un poil d'ail, une lichette de persil et hop dans la poêle et je sers ma belle avec mon sourire de vainqueur. "Pouah ! C'est immangeable", qu'elle dit. "T'exagères, c'est vaguement dégueu, mais à Gaza on adorerait quand même!", je lui rétorque, glissant un autre sujet de conversation qui nous éloignerait de ma performance et démontrerait encore mes infinies capacités d'empathie.

Elle a ensuite amoureusement préparé la truite qu'elle dédaignait pour Fripouille le chat, qui n'aime pas trop les arêtes mais qui semble avoir trouvé ça bon, même s'il n' a pas terminé. J'en ai moi même laissé un peu.

Restaient trois poissons, qui salés avec science, assaisonnés et fumés à la perfection et à la sciure de hêtre, se hisseraient cette fois au niveau d'un caviar, d'un ortolan, d'un homard bleu. A la dégustation, c'est certes mieux, mais en écoutant nos papilles, il semble persister un très vague arrière goût.


Truite fumée


Si jamais je pêche encore une de leurs sœurettes dans la Cère, je la nokillerai sauvagement.

lundi 1 avril 2024

De l'art de convaincre

 Je roulais tranquillement dans le Revermont accompagné de mon épouse. J'avais la banane pour deux bonnes raisons. D'abord un stock tout neuf de vieux comté dans le coffre, et ensuite le bonheur d'être là à traîner sur les chemins de mon adolescence. J'arrivais ainsi à la toute fin du Revermont. Ou au tout début de la Bresse, va savoir ! C'est ici la zone grise où ventres jaunes de la plaine et cavets de la montagne se mélangent allègrement, et où des pointillés clairs et nets amélioreraient la précision du récit.


Passons sur l'impéritie de nos services publics qui couvrent les cartes de pointillés de toutes sortes sans JAMAIS avoir le courage de venir les reporter ensuite sur le terrain. C'est juste là, à l'entrée du village, entre deux virages à 90 degrés dans lesquels on ne tremperait pas un doigt sans se brûler, qu'un gentil monsieur, une brassée de fanions tricolores sous le bras et un panier à la main nous invite à nous arrêter un instant. Comme il est à la fois porteur d'un gilet jaune tout neuf et posé au milieu de l'embranchement, nous lui laissons volontiers la vie sauve. J'ouvre la vitre pour le saluer et m'enquérir de sa démarche.


Il s'excuse de provoquer notre arrêt et nous explique être simplement posté ici pour récolter un peu de fonds en vue du lancement d'un événement gastronomique porté par la maison des jeunes du village.


Ah que pourquoi pas ? J'aime les jeunes, j'aime ce village, j'aime la gastronomie et j'aime la bonne bouille de notre interlocuteur. Donc je veux bien le petiot drapeau tricolore contre deux balles, pourquoi pas ? Alors que l'un de nous se met à la recherche de monnaie, il demande si nous n'aurions pas un billet de dix ou de vingt euros pour se libérer de la monnaie que je vois abonder au fond de son panier, parmi des petits je-ne-sais-quoi emballés de papier plastique. Bien sûr !


Nous cherchons un petit moment – nous sommes auvergnats – et j'ai enfin en main le bifton de vingt euros. Un petit nougat ou un gros ? me demande le gentleman. Je souris, c'est vraiment sympa de filer une friandise aux gentils donateurs. Un gros bien sûr ! Il me tend un je-ne-savais-quoi-mais-je-sais-maintenant, et alors que j'attends 18 euros la main tendue et le sourire aux lèvres, le mec m'en file trois ... Le petiot nougat n'est pas un cadeau ? C'est ce que j'aurais dû comprendre ?




Deux-trois neurones se reconnectent enfin. Je reprends mon billet avec autorité, lui rends ses trois euros, et lui demande aussi à quel point il se paie ma tronche. Magnanime, je garde le drapeau et lui file deux euros.


Il aurait suffit d'un rien, une voiture qui arrive en prime pour créer un léger stress, pour que mes sens endormis ne s'éveillent pas et que je me fasse baiser 17 euros en croyant participer à une initiative sympathique …Il n'y avait d'ailleurs pas l'ombre de projet de manifestation gastronomique.


Quelque jours plus tôt, ma sœurette recevait quelqu'un pour un contrôle de son isolation … Bien normal puisque de l'argent public y avait contribué. Mais ce n'était pas un contrôle, juste des marlous qui récupèrent des fichiers je ne sais comment, et sont là pour des objectifs absolument pas nets (pas de carte pro, pas de document officiel ni même commercial)


Tout ça en trois jours, et sans recourir à l'intelligence artificielle ! Mais moi, je devrais m'en équiper, je crois.