Le fruit est dans le ver ! Et pas l'inverse ! Ce renversement sémantique semble connu des seuls pêcheurs. Et de ce pas, je vous (em)mène en bateau, casquette vissée sur le crâne, pipe à la bouche et main de fer sur la roue, tandis que le mousse devrait astiquer le pont. Nous partons pour une longue pêche hauturière, et dans ces occurrences, un mousse a bien des usages.
Après nombre de retours cale vide, l'armement est exsangue : peu de carburant, à peine d'appâts, guère de biscuit et plus une goutte de rhum. Le mousse est mon dernier luxe. La pêche dans les quarantièmes a bien périclité, il faut le dire : la surpêche, le réchauffement climatique, les spoutniks, et tout le reste. Nous sommes sur le 45 ème parallèle ou presque, sans réaliser la pêche espérée, poussés par la longue houle d'ouest.
Je renonce à la palangre de trois cents hameçons sur ses dix kilomètres de nylon, lui préférant ma célèbre palangre-à-un-coup-mais-le-bon et son montage au mort-vivant permettant une parfaite présentation du vif. Le mousse a d'ailleurs capturé un appât avec un ver. Il ne se rend pas compte qu'il a fait un profit de 4000 %, passant de 1 gramme de ver à 40 grammes de perchette. Et c'est heureux : si on instruisait les mousses, les capitaines se retrouveraient vite ficelés à fond de cale.
Toujours au ras du 45 ème parallèle, près de l'Anse de la Coste de Renac - non encore cartographiée - là où le Hollandais Volant serait rené, ou arthur, et en tout cas réapparu, je laisse filer la perchette au bout de son fil. En manque de rhum, j'allais ... quand je vois le fil se dérouler sur la bobine du moulinet.
Branlecas de bombat !!! crié-je distinctement. Mille ras-bords ! Mille d'accord ! A la douzième seconde – la pêche est une science - je ferre avec en retour une étrange bizarritude dans la sensation. Pas l'effet souche du gros poisson, non, pas l'effet bouhhhh ! du raté total non plus. Y'a ben queq'chose, mais qu'est pas komifo …
En fait, le poisson a attaqué le vif en venant sous le bateau et est reparti avec sa proie vers le large, en contournant mon amarrage, lequel offre un amortissement à toute chose : au ferrage, aux sensations, à l'espoir aussi, car quid du ferrage ? J'engueule le mousse et le destin qui ne mouftent ni l'un ni l'autre. Bientôt un presque hénaurme truc passe, à peine distingué, mais je peux rêver d'un sandre record. Nous libérons la ligne par une habile manœuvre et le poisson donne toute sa mesure, faisant crier le moulinet. Un brochet, vois-je au second passage. Zut !
C'est un sandre que j'espérais et pour ce bestiau méfiant comme un complotiste, la ligne est fine et en nylon. Il va couper ma ligne, ce salaud à grandes dents, cet affameur du pauvre pêcheur, ce bachi-bouzouk des eaux douces. J'admoneste le mousse qui n'y est pour rien, et qui présente l'épuisette à la perfection. Et la bête veut bien y entrer sans trop barguigner.
Ouh qu'il est content ... |
Ah on est bien … Je promeus aussitôt le mousse au rang de quartier-maître, et nous voguons vers le port, fortune faite. Du ver au brochet, un armement qui fait du 400 000 % de profit au moins ! Mieux que la flibuste !
Avec ma douce dans le rôle du mousse, avec le 45ème parallèle nord dans le rôle du 45 ème sud, avec les vagues des embarcations des skieurs nautiques dans le rôle de la longue houle d'ouest ...