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lundi 2 juin 2025

En toute transparence

 L'observation de l’humanité est un riche moment, tout autant que celle de la faune  ou des paysages de montagne. Mais en être peut être déprimant. Que ces deux évènements se soient succédés leur donne un peu plus de relief.


J’habite un trou du cul du monde, si campagnard que les bruits de circulation se résument à des cloches de vaches, à une tondeuse de semaine en semaine, à une voiture de facteur quasi inaudible, à des tracteurs agricoles, et au pataclop de chevaux.

Les chevaux, c’est peureux, ça n’aime pas les voitures, alors les cavaliers passent souvent ici, de chemins vides en chemins de terre et de randonnée. Ceux supposés venir de loin utilisent encore des cartes d’état-major en papier, ai-je observé plusieurs fois.

Partant de ce trou du cul du monde pour aller déjeuner chez un copain, je rattrape vingt mètres après mon portail ceux de quatre ou cinq chevaux et poneys surmontés d’autant de trous du cul humains, et je me mets au pas, pour ne stresser ni bêtes ni cavaliers. Je pourrai les doubler trois cents mètres plus loin, car ils prendront alors le sens interdit.

Ils ne le prennent pas, et partent sur la gauche. Moi, j’y suis contraint par le code de la route, et je les suis donc, toujours au pas. Malgré toute la place disponible, personne n’envisage de laisser passer l’automobiliste, ou ne lui fait un signe. Pire, ceux qui se sont éloignés un peu à gauche viennent me défiler devant le nez, et je dois stopper complètement, cette fois.

Invisible

Une voiture venue à leur rencontre est stationnée quasiment au milieu de l’asphalte et trois personnes scrutent des cartes en papier posées sur le capot de ladite automobile. Deux sont côté route, en prime … A ma gauche, un cavalier m'a dépassé et s'est arrêté, serre le frein à main de son bestiau en attachant les rênes à la clôture, sans tenir compte de ma présence le moins du monde... J’aurais peut-être la place de passer, à la limite, mais si près de l’arrière-train du canasson... J’hésite ; et en dix secondes, deux ou trois bourrins viennent s’ajouter au premier dans ce parking équin improvisé. Je devrais me pincer, pour être sûr ? Je suis à un mètre cinquante ou deux de quatre chevaux juste devant moi à gauche, tandis qu’une voiture mal garée devant mais à droite m’interdit de passer suffisamment au large des bêtes, avec des couillons qui continuent de déchiffrer leur carte. J’attends, dans cette étrangeté absolue et surréaliste.

Je fais mine d’avancer, moins qu’au pas, et devant moi, à ma droite, les deux déchiffreurs de cartes d’état major sur capot daignent se déplacer, touchant ma voiture de leur corps, mais sans un regard. J’avance centimètre par centimètre, rasant la voiture de très près… et un gars me montre d'un geste que je risque de la rayer ! Alors que quatre paires de sabots sont juste à deux mètres d’eux, et que je dois passer entre voiture et chevaux.

Cette irréalité aurait-elle pu se poursuivre encore au-delà de ces sept ou huit minutes et de ces trois cents mètres depuis mon départ ? On ne saura pas, un 4 x 4 arrive. C’est le patron du centre équestre, qui saisit la situation en une seconde. Les chevaux attachés sont aussitôt déplacés à sa demande. Et je peux passer. Aucun cavalier, aucun accompagnateur ne m’a fait le moindre signe.

J’ÉTAIS INVISIBLE DANS MA ZOE BLEUE, JE N’EXISTAIS PAS.

Visible


Deux jours plus tôt, en bateau sur le lac de Saint-Etienne-Cantalès, c’était le vendredi suivant l’Ascension, des beaufs supposés, en scooter des mers (et des lacs) écoutaient leur musique à fond  en oubliant la limitation de vitesse sur zone, et l’exquis savoir-vivre qui avait fait la grandeur de notre civilisation. Ils étaient plutôt gros, et ça, c’était bien.

La scène de crime

Je m'arrête désormais devant chaque miroir pour m'assurer de ma matérialité. Devient-on transparent pour apprendre à être mort ?

dimanche 11 mai 2025

A l'eau ?

Ouf, de retour dans les Quarantièmes. Oui, d'accord, de l'hémisphère Nord, mais on a les Quarantièmes qu'on peut... J'étais à nouveau sur l'eau, après au moins dix bredouilles totales, sévères et indiscutables depuis le bord du lac ce début d'hiver. J'étais en réalité peu enthousiaste à l'idée d'essayer de fréquenter à nouveau ces êtres humides et poisseux qui peuplent nos eaux selon la rumeur, mais qui semblaient tellement absents !

 



Ce fut un samedi vers quinze heures que je lançai mon rafiot. Mais évidemment je voulus réinitialiser le sondeur, avec les soucis inhérents. Je dus aussi me séparer de 600 euros auxquels j'étais attaché par de forts liens sentimentaux, pour un rien d'huile et un bout de courroie... Ah, la barque en bois à rames, le crin de jument en guise de ligne, c'était le bon temps.



Finalement, tout fonctionna.


Les vers canadiens achetés à grands frais la veille, pas chez, ne l’étaient pas, frais. Ils étaient morts sauf un ou deux, de trouille probablement, ou bien d'épuisement parce que venus à la nage. Heureusement, mon assortiment d'appâts était vaste, le sondeur avait les crocs, et l'acier des hameçons lançait des éclairs féroces. L'écran vide du sondeur était comme une question, la plupart des fichus poissons restaient sans doute collés au fond comme des moules à leur rocher.

Pêche à l'aveugle, donc.. Les poètes parlent de "pêcher l'eau". Je me dirige vers mes coins favoris, mais ça ne veut pas rire du tout. Heureusement, il fait beau, il fait chaud. De coin qui ne donne rien en coin où rien ne bouge, je fais doucement le tour de la baie. Je sens un truc, "tiens, c'est accroché ?", puis une belle défense sur la canne à lancer ultra-léger : "un bébé silure ?" "un sandre ? " (c'est fermé), "un petit brochet ?"(ça va couper). "Noooon !" Une perche de 300 bons grammes, un vrai poisson, piqué au bord de la lèvre, hop dans l’épuisette.

Il fait meilleur, l'air est plus doux, les engins bruyants ne me gênent plus guère. La grande sœur suit, une grosse demi-heure plus tard. Je poursuis mon tour de la baie, une perchette encore, et un gardon qui arrive trop tard pour une chasse au brochet entre potes, car les nuages menacent et la nuit approche.

Le plat fut parfait pour deux convives.

Bien sûr, trois perches pour 800 grammes en cinq heures de pêche laissent suffisamment de temps pour goûter le bonheur simple d’être sur l’eau, seul et tranquille. Et même trop tranquille. C’était plutôt un échauffement, et pour la seconde partie, quatre jours plus tard, ce serait festival d’éclaboussures, crissement des moulinets, prises magnifiques. Ou pas.

Vêtu d’espoir et de coutil épais, car il caille, me revoici quatre jours plus tard. J’ai même prévu des lignes aux hameçons minuscules pour prendre des vifs. Je parviens en milieu d’après-midi à capturer une seule et minuscule perche de 6-8 cm que je convaincs de pêcher le gros avec moi. Vers dix-neuf heures, bredouille, je reviens au ponton.


J’amarre solidement le bateau et, regardant la perchette toujours aussi en train, je décide d'une petite prolongation. Les pontons sont souvent de bons plans. Le vent tombe complètement, et je pêche également au ver avec une autre canne.


Et c'est avec la ligne au ver que je décroche le pompon : je ressens un toc toc bien mou, typique du gardon… Je rends la main et au toc suivant, je ferre. "C’est koitesse ?" « Ça » pèse et "ça" monte mollement avant de contester, une grosse brème visqueuse ? Et la bataille s’engage. Le poisson énervé fonce sous les bateaux en libérant du fil sur le moulinet, je plonge la canne dans l’eau pour éviter que la tresse ne frotte aux carènes ou bien à une embase de moteur. Wouahh, une belle perche, et elle fonce à nouveau.




Elle se rend bientôt. Un bon kilo de perche combative ! Un peu au-delà de vingt heures. Je libère le petit vif qui ne se fait pas prier.

dimanche 26 janvier 2025

Maquereau en montagne, et marlin ailleurs

Autant l’écrire tout de suite, ça n’a rien donné. Mais ce titre montre le génie et l'inventivité de l’auteur. Quoi ? Il n’y a pas de maquereau dans ce lac ? Mais je les apporte, pardi ! Et le maquereau est au bout de la ligne, en guise d'appât, chargé de convaincre un poisson gastronome.

J’avais bêtement regardé les pêches d'une star d'Outre-Manche. C’était un fake, assurément, un produit de l’IA, un complot... Michel Marron, dit là-bas Mick Brown, soit-disant pêcheur de brochets célèbre Outre-Manche, a-t-il même existé comme voudrait le faire croire cette vidéo? Vous pouvez cliquer si vous aimez. Michel Marron à l'oeuvre . Je suis rentré bredouille au possible, et ça prouve le fake.

Pendant ce temps, à la Réunion, gros contraste ...


Sach95, La Réunion, déc. 2024, 268 kg


Cette déconfiture laissait derrière elle un passif à régler avec mes soi-disant alliés et complices. D'autres maquereaux seraient sacrifiés pour remplacer les sandres et les brochets dont ils m’avaient privé par leur incompétence, leur mauvaise volonté, ou même leur trahison.

White Hunter, Poissonnier, janvier 2025, 468 g.


Je glissai quelques sous dans la poche d’un mauvais garçon notoire, poissonnier de son état, qui me remit cinq maquereaux sauvages d’une livre chacun, pris au hasard des mers et des océans afin que plus aucun d'eux n’ose me ridiculiser pendant quelques générations. J’allais les fumer, moi, ces macs !

Vous aussi, vous avez un compte à régler ? Juste faim ? N'hésitez pas à fumer du maquereau !

C’est incroyablement facile à fileter, et le rendement en filets avec peau est de quasi 60 % ! Contre 35 % pour les perches, peau ôtée, il est vrai.

Et hop, bien rangés dans un plat aux dimensions adéquates, avec 29 g de sel par kg, 3 de cassonade, 3 de poivre noir, 3 de graines de coriandre torréfiées, aussi bien répartis que possible. Laissés de 10 à 72 heures au réfrigérateur, en retournant deux ou trois fois, pour l’homogénéisation du salage. Puis tamponnage au papier ménager et une journée au réfrigérateur pour un ressuyage suffisant avec la mise dans le fumoir.

Ah, on est bien ...


Sciure de hêtre pour une douzaine d’heures, ou plus selon l’humeur. Je les sécherai jusque vers une perte de 15 % de leur poids, et je les congèlerai sous vide deux ou trois jours plus tard, comme il est recommandé pour le poisson sauvage.
    Le fumoir

Ils sont sortis du salage avec 4 % de perte du poids initial, 4 % perdus ensuite en une journée de fumage, 4 % encore dans la nuit dans la cave électrique. Je décide de 4 heures de fumage supplémentaires le matin suivant, perte de poids réelle 12,4 %, et emballage sous vide pour deux jours de frigo, puis congélation anti-parasites (poisson sauvage). Notez que le fumoir aurait été un peu juste pour le marlin !


Ils rejoindront des salades vertes, des blinis tièdes, et je ne sais quoi d’autre…

Les brochets, eux, ils grossissent. Et comme vous avez droit à la photo de la prise extraordinaire de Sacha, "Sach95", qui pêcha en décembre 2024 le prodigieux marlin que vous voyez en tête de cet article ... Je vous livre aussi son récit, le 1er janvier 2025, sur un forum de pêcheurs, car je suis un prince, à défaut d'être un bon pêcheur ...


" .../... une pêche incroyable que j’ai vécue il y a de ça deux jours. En vacances à La Réunion pour une semaine, je me suis prévu une matinée de pêche aux gros avec un pêcheur professionnel, une première fois pour moi. Départ le matin à 7 h, la pêche commence par une traîne rapide au leurre de surface jusqu’à un DCP* à environ 30 minutes de navigation depuis le port. Après quelque temps au jig** sur le DCP sans touche, malgré des échos de thon dans la zone, le capitaine sort une ligne à main pour tenter de prendre un vif ; une fois la chose faite, la ligne au vif est à l’eau, avec un petit poisson d’à peine 10 cm au bout.


Après plusieurs heures sans activité, nous remontons les lignes. Je me charge de remonter celle avec le vif pas plus gros qu’un gardon, et là, à même pas 10 mètres du bateau, une énorme masse noire avec un dos et une dorsale bleu électrique surgit, suivant le vif. Ni une ni deux, une canne avec une bonite entière est à l’eau, et une autre canne avec une imitation d’octopus*** rose de 25cm. S’ensuit une quinzaine de minutes où le poisson slalome entre nos lignes, apparaît puis disparaît, jusqu’au moment où il attaque en surface l’imitation d’octopus. S’ensuit un rush interminable où il déroule plus de 400 ou 500 mètres de fil, tout en faisant des chandelles sur sa course.

Une fois ce rush terminé, je suis installé sur le siège de combat, harnaché au moulinet, et le combat débute. Il était 10 h 15 lorsque la touche a eu lieu, il sera vers 12 h 45 lorsque celui-ci sera terminé.

Je n’aurais jamais pu imaginer à quel point le combat avec un tel poisson était physique et difficile. Il aura fallu se relayer par deux fois avec l’autre personne présente sur le bateau avec moi ce matin pour venir à bout de ce poisson, un marlin bleu de 268 kg, pour près de 3 mètres.

Un poisson exceptionnel, certainement le poisson d’une vie, dans la mesure où le précédent record du capitaine, pêcheur depuis plus de 20 ans sur l’île, était de 246 kg.

Le lendemain, j’avais des courbatures dans les bras, mal aux mains et au dos, et des souvenirs à vie "


* dispositif de concentration de poissons
** Leurre de pêche métallique
*** leurre souple artificiel s'inspirant d'un calamar

dimanche 28 juillet 2024

Le fruit est dans le ver

Le fruit est dans le ver ! Et pas l'inverse ! Ce renversement sémantique semble connu des seuls pêcheurs. Et de ce pas, je vous (em)mène en bateau, casquette vissée sur le crâne, pipe à la bouche et main de fer sur la roue, tandis que le mousse devrait astiquer le pont. Nous partons pour une longue pêche hauturière, et dans ces occurrences, un mousse a bien des usages.


Après nombre de retours cale vide, l'armement est exsangue : peu de carburant, à peine d'appâts, guère de biscuit et plus une goutte de rhum. Le mousse est mon dernier luxe. La pêche dans les quarantièmes a bien périclité, il faut le dire : la surpêche, le réchauffement climatique, les spoutniks, et tout le reste. Nous sommes sur le 45 ème parallèle ou presque, sans réaliser la pêche espérée, poussés par la longue houle d'ouest.


Je renonce à la palangre de trois cents hameçons sur ses dix kilomètres de nylon, lui préférant ma célèbre palangre-à-un-coup-mais-le-bon et son montage au mort-vivant permettant une parfaite présentation du vif. Le mousse a d'ailleurs capturé un appât avec un ver. Il ne se rend pas compte qu'il a fait un profit de 4000 %, passant de 1 gramme de ver à 40 grammes de perchette.  Et c'est heureux : si on instruisait les mousses, les capitaines se retrouveraient vite ficelés à fond de cale.


Toujours au ras du 45 ème parallèle, près de l'Anse de la Coste de Renac -  non encore cartographiée - là où le Hollandais Volant serait rené, ou arthur, et en tout cas réapparu,  je laisse filer la perchette au bout de son fil. En manque de rhum, j'allais ... quand je vois le fil se dérouler sur la bobine du moulinet.


Branlecas de bombat  !!!  crié-je distinctement. Mille ras-bords ! Mille d'accord ! A la douzième seconde – la pêche est une science -  je ferre avec en retour une étrange bizarritude dans la sensation. Pas l'effet souche du gros poisson, non,  pas l'effet bouhhhh ! du raté total non plus.  Y'a ben queq'chose,  mais qu'est pas komifo …


En fait, le poisson a attaqué le vif en venant sous le bateau et est reparti avec sa proie vers le large, en contournant mon amarrage, lequel offre un amortissement à toute chose : au ferrage, aux sensations, à l'espoir aussi, car quid du ferrage ? J'engueule le mousse et le destin qui ne mouftent ni l'un ni l'autre. Bientôt un presque hénaurme truc passe, à peine distingué, mais je peux rêver d'un sandre record. Nous libérons la ligne par une habile manœuvre et le poisson donne toute sa mesure, faisant crier le moulinet. Un brochet, vois-je au second passage. Zut !

C'est un sandre que j'espérais et pour ce bestiau méfiant comme un complotiste, la ligne est fine et en nylon. Il va couper ma ligne, ce salaud à grandes dents, cet affameur du pauvre pêcheur, ce bachi-bouzouk des eaux douces. J'admoneste le mousse qui n'y est pour rien, et qui présente l'épuisette à la perfection. Et la bête veut bien y entrer sans trop barguigner.


Ouh qu'il est content ...


Ah on est bien … Je promeus aussitôt le mousse au rang de quartier-maître, et nous voguons vers le port, fortune faite. Du ver au brochet, un armement qui fait  du 400 000 % de profit au moins ! Mieux que la flibuste ! 


Avec ma douce dans le rôle du mousse, avec le 45ème parallèle nord dans le rôle du 45 ème sud, avec les vagues des embarcations des skieurs nautiques dans le rôle de la longue  houle d'ouest ...

samedi 22 juin 2024

Pêches salées

C'est fou, ce sentiment d'urgence qui m'assaille parfois, comme disaient les  célèbres pasteurs nomades. Jugez-en ! Dès janvier je commandais tout ce qui pouvait servir à pêcher en Corse ou à Oléron en mai et en septembre. En Chine je commandais, pour aider les travailleurs Ouïghours dans leur juste combat, et soutenir ma trésorerie en même temps. Et puis, en Corse je suis arrivé, fin mai.


Hélas, la pêche du bord fut nulle. Aucune oblade sur la plage ne voulait de mes leurres, d'aucun leurre, quelle que soit l'heure. Elles se moquaient. Et le coup de vent de sud-ouest ensuite m'empêcha de bien pêcher à l'embouchure du Liamone, petit fleuve côtier.

Porto (Corse)


J'étais déçu. Une pauvre girelle ou deux furent capturées aux appâts. La foi seule pouvait me sauver de ce naufrage halieutique. Par chance, le grand Erasmus, qu'on appelle Saint-Erasme dans le coin,  voire Ducon si on est fâché donnait justement à Ajaccio pour les pêcheurs une fête religieuse suffisamment œcuménique pour que j'aille m'y faire bénir. Je vins en pointu, un bateau traditionnel de 1957, à voile latine et à moteur. Bateau qui fut à la Méditerranée ce que la veste polaire est encore au Cantal. Merci à Bibi, son propriétaire !


Le pointu de Bibi 
Saint Erasme et ses représentants


Et tout fut changé. La mer soudain était poissons. Me voilà chargé de gallinettes (grondin perlon) ici, de dentis (dentex dentex) là, et de sévereaux (chinchards) entre les deux, destinés à séduire les derniers.

Je n'ai pas vraiment capturé les gallinettes, hein, mais je participais, et c'est l'important : j'ai un peu tiré sur les palangres, j'ai un peu remercié la mer en y déversant une offrande constituée de mon dernier repas. Putain de houle …





Une fabuleuse bouillabaisse plus tard, avec gallinettes, vives, poissons de roche et belles rencontres, et j'étais totalement reconstitué.


Et prêt pour le dernier acte : sur une fière monture poussée par deux moteurs de 150CV chacun, je me jetai à la vitesse de l'éclair sur les dentis, ce poisson roi de la Med, comme l'impôt sur les classes moyennes ou un député sur une circonscription. D'abord, pêcher des vifs. C'était génial, mais déjà terminé quand on commençait à vraiment s'amuser. Il fallait passer aux choses sérieuses.

On attaque donc la traîne lente au vif à 3,5 km/heure. Les 300 CV s'ennuient tandis que je piaffe. Trente minutes plus tard je rate la première touche comincon . J'ai bien sorti la canne de son support, j'ai bien poussé le frein, mais j'ai ferré trop tard. "Mmqdzlldlhbd" soupire dans mes bras le chinchard horriblement blessé par les dents du prédateur. "Putain-merde", que je lui réponds sous le coup de l'émotion, en le balançant dans un coin du cockpit. Homme libre, la mer tu chériras.

Un second chinchard, plus petit mais tout aussi courageux, se dévoue à son tour. Je suis aux aguets, comme un amoureux transi, ou comme mille morpions affamés, et moins d'une heure plus tard, la canne plie, que j'extrais vivement de son support en poussant en même temps le frein et en ferrant aussitôt ... En me vautrant sur le pont glissant, car cinq kilos de frein, cela surprend si on est en déséquilibre sur un plancher mouillé ... Sans toutefois lâcher la canne. Marin-pêcheur, quelle vie de m. 

Mon denti ...


Mais il est bien au bout et le guide pronostique "beau denti". Je pompe et je mouline, et bientôt il est à l'épuisette C'est une grande joie et une belle émotion que de capturer si magnifique poisson de plus de six kilogrammes.


samedi 20 avril 2024

Pêche en terre inconnue

L'aventurier qui sommeille en moi avait d'abord observé la magnifique couleur du ciel, senti ce vent du Nord suffisamment léger, déchiffré ce Géoportail aux vingt centimètres de définition … Et paf, il pose le doigt ici sur la carte, l'aventurier.

la rivière rêvée, entre les arbres


Les routes et chemins qui y mènent ont été tracés par des ingénieurs ivres-morts et jemenfoutistes au possible. Avec la même quantité de matériaux, l'accès pourrait être à quatre voies si on n'avait pas autant zizagué !!! Et après, on est endetté.

Nul ici ne saurait lâcher des truites de bassine et je pourrai donc être bredouille sans souci. Mais au km 40, le doute masaï. Vous savez, celui des éleveurs africains … On ne peut pas croiser un autre véhicule, par ici. Un chemin si étroit, puis si pentu, si "non-revêtu", si tout ça, hein … Un indigène m'affirme dans sa langue qu'un certain Duster, que je ne connais pas, y serait descendu et que si ma voiture a quatre roues motrices, ça doit le faire. Remonter côté Aveyron sera préférable ajoute-il. On est sur un pointillé, en prime.

J'ajuste la lanière d'un casque mental et je resserre la ceinture : je n'ai jamais eu l'ombre d'un morceau de début de courage physique. Comme il n'est pas nécessaire de se servir des freins grâce à la technologie de mon véhicule, ça se passe bien malgré une pierre libre, venue d'un talus adjacent, sur laquelle je dois poser la roue pour être certain de ne pas me poser dessus.

Je suis bientôt à pied d'œuvre, la rivière chante tandis qu'une pancarte promet des éboulements, me parlant mais un peu tard de la pierre mal placée. Pas un bruit du monde ! Quel dommage que je ne sache pas pêcher la truite ! La rivière est magnifique. Il y a aussi plein d'insectes volants, je pense surtout des fourmis ailées. J'ai des mouches artificielles dont je ne sais me servir, des vers, des teignes, des leurres souples, de l'espoir.




Bon, je ne vois pas de truite. Alors là ?

Eau vive, jeux de lumière et insectes volants

La truite est vagabonde, disait Schubert, qui ne pêchait pas mieux que moi. Je passe plus de temps à remplacer les hameçons qu'à tremper du fil, d'ailleurs. La sylve se joue de moi sous l'eau et hors de l'eau. Je crois que c'est au leurre que je me débrouillerai le mieux, sur la canne de 3.80 mètres. Sans enregistrer la moindre touche.

Et je quitte l'endroit par son pont de bois, heureux et comblé. 



Le montée côté Aveyron nécessitera l'usage des quatre roues motrices aussi !


vendredi 12 avril 2024

Truite de foire

Solidement incapable de capturer une VRAIE truite au leurre, j'étais. Je n'avais pris qu'une Arc-en-ciel en tout et pour tout. J'ai eu alors l'idée de toquer. La pêche au toc – une canne, un fil, un hameçon – est certes un peu fruste et en dessous de ma condition de sportsman, mais elle me permettrait facilement de capturer une belle fario. Mais aussi toqué que je sois, je n'étais pas bien équipé pour l'exercice ... Et c'est une très vieille canne télé réglable du siècle dernier qui s'est invitée, accompagnée d'un moulinet d'un demi-siècle presque. Un bout d'archives de ma vie en quelque sorte.


La Cère 



Arrivé au bord de la Cère vers 14 heures,  mes yeux s'écarquillent : alors qu'il y a en général au plus une voiture de pêcheur, elles sont presque dix !!! J'apprends que cet afflux est lié au passage le matin  même du Père Noël avec sa hotte de truites de pisciculture. De plus, ma canne est désagréable, même réduite à quatre mètres, et le moulinet est carrément ignoble. Je peine à lancer le gramme de plomb et sa teigne ou son ver à plus de 6 mètres. Je laisse rouler au fond dans le courant en soutenant à peine … et à ma propre surprise, je sors une première truite ! Super !  


Une truite arc-en-ciel


Vous alliez vous esbaudir, admirer chez le vieux pêcheur cet extraordinaire sens de l'eau qui lui permet avec du matériel suranné de capturer une splendide fario parmi les Arcs en Ciel juste lâchées. Ben pas du tout : ce n'est qu'une arc-en-ciel, ce poisson qui est à truite de ruisseau ce que le char à bœuf fut à la De Dion Bouton en 1912.

Étonnamment, j'en prendrai encore cinq alors que nous sommes quatre à pêcher la même eau et que mes trois voisins n'ont pas ma chance. Je suis celui qui lance dans le courant, celui qui a une plombée minimum, celui qui n'a pas de bouchon mais surtout celui qui a du bol. A ma gauche mon voisin pêche comme moi, mais avec un hameçon plus gros et une ligne plus lourdement plombée ... Il en a pris deux le matin, me dit-il, de cette manière, mais le diable à la pêche comme ailleurs réside souvent dans les détails et seul le hasard avait décidé de ma ligne.

Mais la chance, ça tourne ... Vous n'ignorez pas que manger du poisson est dans la nature profonde du mammifère omnivore rural que je suis. La truite dans mon souvenir est un excellent poisson, et je n'avais plus mangé de truite de ma pêche depuis quarante ans, une époque de truites bien jaunes avec des points bien rouges …

J'ai donc gardé mes prises. Qu'elles n'aient connu qu'une petite demie journée de vie sauvage ne présageait pas forcément d'un grand moment de gastronomie. Mais les poulets de Bresse ont zéro heure de vie sauvage et sont délicieux, non ? J'en ferai donc trois à la poêle et je fumerai les trois autres.

 " Votre épouse va être contente " avait pronostiqué le pêcheur d'en face. Eh bien non. D'abord mon épouse n'était pas contente car des écailles avaient volé. Oh que c'est mesquin, ça ! Ensuite parce qu'elle soupçonnait que ça ne serait pas renversant. Un poil d'ail, une lichette de persil et hop dans la poêle et je sers ma belle avec mon sourire de vainqueur. "Pouah ! C'est immangeable", qu'elle dit. "T'exagères, c'est vaguement dégueu, mais à Gaza on adorerait quand même!", je lui rétorque, glissant un autre sujet de conversation qui nous éloignerait de ma performance et démontrerait encore mes infinies capacités d'empathie.

Elle a ensuite amoureusement préparé la truite qu'elle dédaignait pour Fripouille le chat, qui n'aime pas trop les arêtes mais qui semble avoir trouvé ça bon, même s'il n' a pas terminé. J'en ai moi même laissé un peu.

Restaient trois poissons, qui salés avec science, assaisonnés et fumés à la perfection et à la sciure de hêtre, se hisseraient cette fois au niveau d'un caviar, d'un ortolan, d'un homard bleu. A la dégustation, c'est certes mieux, mais en écoutant nos papilles, il semble persister un très vague arrière goût.


Truite fumée


Si jamais je pêche encore une de leurs sœurettes dans la Cère, je la nokillerai sauvagement.