Ce qui va faire marrer les marrants, mais dé-marrer les bougons, c’est que j’ai
rencontré un génie. Pour de bon, et un bon. Me sachant chasseur et ne sachant chasser
lui-même, il m’a accordé un chamois, un cerf, un brocard. Comme un con, j’ai
pensé trop tard au wapiti ou au buffle, mais les vœux étaient sans délai de rétractation. Je suis parti tôt, pour une courte randonnée suivie d’affût, ce lundi 17 février. Avoir ces trois bracelets en poche est magnifique. Il y a sur cette zone au moins un cerf et
au moins un brocard, et quelques chamois. Ne pas manquer, surtout ne pas
blesser.
Sous-vêtu chaudement d'Odlo et de blanc survêtu, je me
lance. Et je m’embourbe par à-coups dans la neige. Moins 3 degrés, 10 km/heure
de vent. Mon cœur, à trop battre, me fait
mal et je dois m’économiser tout en gravissant 100 mètres de dénivelé dans 30
cm de neige gelée. Bon dieu, 60 ans… Arrivé à la limite du bois, je jumelle le
grand rien, blanc et pentu. Il est un peu plus de 8 heures : il fait froid, mais j’ai
chaud. Un chamois à 500 mètres, mais aucun dans les proches. Je reste une
heure comme ça. Ou deux. Dégustation de thé bien chaud et très sucré, c’est bon. Puis je pars doucement
en direction de la victoire, du côté du col. Le chamois s’inquiète, s’éloigne,
surveille. Bizarre. Je comprends en voyant deux bobos venus oxygéner leurs raquettes, entre le chamois et moi. Émoi.
Deux grands corbeaux dans leur studio avec vue |
Dépité, je vire à 180 degrés dans un flocon de poudreuse. Privilégiant le récit dynamique, j’avais écrit d’abord "dans une gerbe de poudreuse" pour la beauté de l’image suggérée, mais la licence poétique a des limites. Je m’approche du bout du massif surplombant le village. Des grands corbeaux bavards agrémentent une pause que je juge méritée tous les deux pas. Désormais à belle
hauteur, intelligemment, je ne lâche pas un mètre en revenant en direction du
col, sous la limite des noisetiers. Je
me pose, je bronze, je rêvasse, je déjeune de quelques abricots secs. Je vise
même longuement le bouc à 450-500 mètres, et
me rappelle que je n’ai pas le bracelet adéquat. Les génies sont parfois
surfaits : trop vieux et trop gros. Pas le génie, le bouc. Mais il est
accompagné d’un comparse en contrebas que je n'ai pu juger. Je choisis d’avancer quand le
plouc de service vient polluer la blancheur. Trois personnes en une journée ! C'est fou et ce
n’est décidément plus possible ... Je décide de ne rien faire, un cerf va bien
venir, avec un brocard puisque le génie m'a promis. Pour le chamois, il n’a certes rien compris aux classes d’âge,
mais pour cerf et brocard (chevreuil mâle), c’est plus simple ...
Les chevreuils apparaissent, deux femelles, dont une jeune.
Je me régale à les observer. Un troisième larron, un garçon. 135 mètres.
une chevrette |
le brocard |
Je décide de tirer. Assis. Il commet un pas au moment du
tir, et fuit dans un léger ralenti. La chevrette et le jeune sont
toujours proches, reviennent finalement vers le bois, puis s’enfuient
doucettement. Je quitte ma position, et je descends précautionneusement. Le
brocard est mort, à 15 mètres du point de tir. Je le caresse, lui offre une dernière mangeure, je le photographie, et nous partons amoureusement tous les deux dans la pente, ma main de fer dans ses bois
de velours. Je croise l’administrateur qui m’a préparé les documents le matin, et il me
dit avoir observé un cerf, candidat à un tir lointain. Bon … Mais pas sans mon
coach !
Il broute à 400 mètres. Mais non, pas le coach ! Nous
avançons sur un chemin et nous y
couchons dans une gadoue relative. Je ne vois pas grand-chose dans ma lunette
Minox ; je prends une contre visée significative pour tenir compte de la
distance. Le cerf se présente enfin de profil. Nicolas, le coach, trempe également, juste à côté de moi, prêt à doubler mon tir s'il est inefficace. Prêt ?
Il est prêt. Je lâche ma balle et la flamme du tir m’éblouit dans ma
lunette. Raté ! lâche le coach
qui décoache aussitôt une balle, comme convenu, une grosse seconde plus
tard. Le cerf chute, se relève, et parcourt quelques mètres avant de tomber mort.
jeune cerf |
Ainsi va la chasse : des émotions puissantes, des regrets d'avoir tué mais aussi de n'avoir pas tué, mêlés en un flot de sensations difficiles à exprimer.