Ca
y est, je suis retourné à la chasse hier pour une courte battue
de l'après-midi. Dans le Lot, sur la causse. J'espérais une bonne
forme, mais comme j'avais encore très peu dormi, ce n'était pas
complètement ça … Huit mois de nuits douloureuses au sommeil compté ! Ce qui est
nouveau, c'est que parfois je ne souffre pas, sans pour autant que le sommeil vienne ... Mais sonnez
trompettes de l'espoir, je reviens !!!
Alors
la veille j'ai préparé la chose, mais de manière prudente, légère
et réversible. On sait que l'absence d'activité pousse à la prise
de poids, mais la surprise est grande quand on s'aperçoit que ça concerne aussi les carabines ! Elle a pris au moins deux kilos depuis ma dernière chasse de la saison
passée !!! Je peine presque à la garder à l'épaulé …
Effroyable sensation, mais juste mesure de ma forme.
Pourtant j'ai progressé fortement ces derniers jours. Ma pensée
vole vers un copain oublié, qui me racontait qu'après avoir vaincu
son cancer, il peinait à soulever sa belle carabine express quand il
avait voulu renouer avec la vie. Quinze ans plus tard, je saisis
complètement son propos.
Je
prépare une veste, quelques balles, et je recharge la radio. Ce sera
juste jeans, on verra plus tard, si ça semble durer. Pour la
première fois depuis quarante jours environ, je n'ai pas infirmière
et pansement ; c'est la fête jusqu'à demain ...
Mais
peut-être ne fermerai-je pas l'œil, et alors je resterai à la
casa, faute du jus nécessaire. C'est un entre-deux au lever, alors
j'y vais … en partant vers 9 heures 30, tant je maîtrise la
proportionnalité des choses.
Mon
père me disait, à 78 ans, deux mois avant sa mort brutale d'une
légionellose, sa quasi incompréhension de cette façon de certains
de le traiter comme un vieux, alors qu'il ne se percevait pas ainsi,
capable encore de courir et de sauter une clôture, ne connaissant
les rhumatismes que par ouï-dire, et faisant son bois pour l'hiver
comme un jeune homme. Tandis que la maladie m'aura accompagné chaque
année de ma vie hormis les dix premières. On ne choisit pas. Et
c'est une petite victoire d'être là. J'ai abandonné la montagne,
je peine encore dans les vallées, mais l'espoir flambe par instants.
On
pleure un jour de détresse, on flambe d'espoir et d'envie le
lendemain. Retrouver avec bonheur les têtes connues autour de la
table, penser à André, mon voisin de table d'avant, qui ne le sera
plus jamais, qui avait validé son permis mais qui s'en est allé
juste avant l'ouverture et juste avant de fêter ses 89 printemps. Nul n'a occupé sa place du bout de table. Découvrir des invités, apprendre qu'Eugène, 15 ans juste passés,
vient de tirer et de tuer son premier sanglier ce matin même, tandis
que je roulais en soignant le syndrome du décrocher de mâchoire à
coups d'expressos. La nuit, je la retiens … J'espère que le retour
ne sera pas trop difficile.
Laurent
ne chasse plus avec nous cette année, je m'y attendais un peu. Je le
regrette, lui, Christine et leurs magnifiques chiens. Une tristesse,
les gens sont compliqués, et les taiseux encore bien plus.
Je
serai posté dans la Baie d'Along. En fait la Combe d'Alon,
mais j'adore la faire et la refaire... Le pied du sanglier se situe quelque part entre cette
combe et la vallée du Célé, dans cette colline. Je m'installe à
côté de la Cochonne Rose à défaut de monolithes ou d'îles
karstiques luxuriants. Ici aussi on a du calcaire, et on se la pète
pas pour ça. Je goûte au bonheur simple d'entendre les clochettes,
puis les voix des chiens, et les piqueurs à la radio. Ca ne lance
pas, ça ne danse pas malgré la musique parfois entrainante ;
j'apprendrai un peu plus tard que les chiens sont partis à contre
sur un autre sanglier. Ils ont remonté une trace d'un sanglier lancé
par des voisins et passé sur notre territoire.

Les
chiens sont remis et cette fois est la bonne ... Mais l'action se
passe hors de portée de mes vielles oreilles et je ne bénéficie
pas de la symphonie. Orange ne passe pas, la radio peine, et vers
16:45, Erwan s'arrête sur la route, me conte la chasse. Il a
récupéré et abreuvé ses chiens contents et épuisés, il fait
presque 20 degrés. Nous partons préparer le sanglier du matin. Le
cochon est aussi une cochonne, mais noire, d'une cinquantaine de
kilos, traversée par une balle de calibre trente qui a explosé
l'estomac et saccagé les os du sternum. Estomac plein de gland
finement moulu.
Je pars à la nuit tombante pour deux
heures de route et dès que j'accède à la nationale à peu près
correcte, je mets en marche le "lane assist" qui bizarrement sur une
petite route nationale pleine de courbes garde merveilleusement
éveillé en donnant l'impression que le volant à une vie propre.
Bien
content et bien fatigué, j'arrive. Si cette fois je ne dors pas …
Eh bien, je ne dors pas, peut-on y croire ??? Même si je n'ai
pas mal, juste une petite sensation qui ne justifie même pas un
demi-gramme de doliprane, je prends un coup d'opiacées en me disant
que peut-être... Ca ne rate pas, je dors comme un juste.
Les
emmerdes, disait Chirac, ça vole toujours en escadrille.