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lundi 2 juin 2025

En toute transparence

 L'observation de l’humanité est un riche moment, tout autant que celle de la faune  ou des paysages de montagne. Mais en être peut être déprimant. Que ces deux évènements se soient succédés leur donne un peu plus de relief.


J’habite un trou du cul du monde, si campagnard que les bruits de circulation se résument à des cloches de vaches, à une tondeuse de semaine en semaine, à une voiture de facteur quasi inaudible, à des tracteurs agricoles, et au pataclop de chevaux.

Les chevaux, c’est peureux, ça n’aime pas les voitures, alors les cavaliers passent souvent ici, de chemins vides en chemins de terre et de randonnée. Ceux supposés venir de loin utilisent encore des cartes d’état-major en papier, ai-je observé plusieurs fois.

Partant de ce trou du cul du monde pour aller déjeuner chez un copain, je rattrape vingt mètres après mon portail ceux de quatre ou cinq chevaux et poneys surmontés d’autant de trous du cul humains, et je me mets au pas, pour ne stresser ni bêtes ni cavaliers. Je pourrai les doubler trois cents mètres plus loin, car ils prendront alors le sens interdit.

Ils ne le prennent pas, et partent sur la gauche. Moi, j’y suis contraint par le code de la route, et je les suis donc, toujours au pas. Malgré toute la place disponible, personne n’envisage de laisser passer l’automobiliste, ou ne lui fait un signe. Pire, ceux qui se sont éloignés un peu à gauche viennent me défiler devant le nez, et je dois stopper complètement, cette fois.

Invisible

Une voiture venue à leur rencontre est stationnée quasiment au milieu de l’asphalte et trois personnes scrutent des cartes en papier posées sur le capot de ladite automobile. Deux sont côté route, en prime … A ma gauche, un cavalier m'a dépassé et s'est arrêté, serre le frein à main de son bestiau en attachant les rênes à la clôture, sans tenir compte de ma présence le moins du monde... J’aurais peut-être la place de passer, à la limite, mais si près de l’arrière-train du canasson... J’hésite ; et en dix secondes, deux ou trois bourrins viennent s’ajouter au premier dans ce parking équin improvisé. Je devrais me pincer, pour être sûr ? Je suis à un mètre cinquante ou deux de quatre chevaux juste devant moi à gauche, tandis qu’une voiture mal garée devant mais à droite m’interdit de passer suffisamment au large des bêtes, avec des couillons qui continuent de déchiffrer leur carte. J’attends, dans cette étrangeté absolue et surréaliste.

Je fais mine d’avancer, moins qu’au pas, et devant moi, à ma droite, les deux déchiffreurs de cartes d’état major sur capot daignent se déplacer, touchant ma voiture de leur corps, mais sans un regard. J’avance centimètre par centimètre, rasant la voiture de très près… et un gars me montre d'un geste que je risque de la rayer ! Alors que quatre paires de sabots sont juste à deux mètres d’eux, et que je dois passer entre voiture et chevaux.

Cette irréalité aurait-elle pu se poursuivre encore au-delà de ces sept ou huit minutes et de ces trois cents mètres depuis mon départ ? On ne saura pas, un 4 x 4 arrive. C’est le patron du centre équestre, qui saisit la situation en une seconde. Les chevaux attachés sont aussitôt déplacés à sa demande. Et je peux passer. Aucun cavalier, aucun accompagnateur ne m’a fait le moindre signe.

J’ÉTAIS INVISIBLE DANS MA ZOE BLEUE, JE N’EXISTAIS PAS.

Visible


Deux jours plus tôt, en bateau sur le lac de Saint-Etienne-Cantalès, c’était le vendredi suivant l’Ascension, des beaufs supposés, en scooter des mers (et des lacs) écoutaient leur musique à fond  en oubliant la limitation de vitesse sur zone, et l’exquis savoir-vivre qui avait fait la grandeur de notre civilisation. Ils étaient plutôt gros, et ça, c’était bien.

La scène de crime

Je m'arrête désormais devant chaque miroir pour m'assurer de ma matérialité. Devient-on transparent pour apprendre à être mort ?