L'observation de l’humanité est un riche moment, tout autant que celle de la faune ou des paysages de montagne. Mais en être peut être déprimant. Que ces deux évènements se soient succédés leur donne un peu plus de relief.
J’habite un trou
du cul du monde, si campagnard que les bruits de circulation se
résument à des cloches de vaches, à une tondeuse de semaine en
semaine, à une voiture de facteur quasi inaudible, à des tracteurs
agricoles, et au pataclop de chevaux.
Les chevaux, c’est
peureux, ça n’aime pas les voitures, alors les cavaliers passent
souvent ici, de chemins vides en chemins de terre et de randonnée. Ceux supposés
venir de loin utilisent encore des cartes d’état-major en papier,
ai-je observé plusieurs fois.
Partant de ce trou
du cul du monde pour aller déjeuner chez un copain, je rattrape
vingt mètres après mon portail ceux de quatre ou cinq chevaux et poneys
surmontés d’autant de trous du cul humains, et je me mets au
pas, pour ne stresser ni bêtes ni cavaliers. Je pourrai les doubler
trois cents mètres plus loin, car ils prendront alors le sens
interdit.
Ils ne le prennent pas, et partent sur la
gauche. Moi, j’y suis contraint par le code de la route, et je les
suis donc, toujours au pas. Malgré toute la place disponible,
personne n’envisage de laisser passer l’automobiliste, ou ne lui
fait un signe. Pire, ceux qui se sont éloignés un peu à
gauche viennent me défiler devant le nez, et je dois stopper complètement, cette fois.
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Invisible |
Je fais mine d’avancer, moins
qu’au pas, et devant moi, à ma droite, les deux déchiffreurs de
cartes d’état major sur capot daignent se déplacer,
touchant ma voiture de leur corps, mais sans un regard. J’avance centimètre par centimètre,
rasant la voiture de très près… et un gars me montre d'un geste que je risque de la rayer ! Alors que quatre paires de sabots sont
juste à deux mètres d’eux, et que je dois passer entre voiture et
chevaux.
Cette irréalité aurait-elle pu se poursuivre
encore au-delà de ces sept ou huit minutes et de ces trois cents mètres depuis mon départ ?
On ne saura pas, un 4 x 4 arrive. C’est le patron du centre
équestre, qui saisit la situation en une seconde. Les chevaux
attachés sont aussitôt déplacés à sa demande. Et je peux
passer. Aucun cavalier, aucun accompagnateur ne m’a fait le
moindre signe.
J’ÉTAIS INVISIBLE DANS MA ZOE BLEUE, JE
N’EXISTAIS PAS.
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Visible |
Deux jours plus tôt, en bateau sur le lac de Saint-Etienne-Cantalès, c’était le vendredi suivant l’Ascension, des beaufs supposés, en scooter des mers (et des lacs) écoutaient leur musique à fond en oubliant la limitation de vitesse sur zone, et l’exquis savoir-vivre qui avait fait la grandeur de notre civilisation. Ils étaient plutôt gros, et ça, c’était bien.
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La scène de crime |
Je m'arrête désormais devant chaque miroir pour m'assurer de ma matérialité. Devient-on transparent pour apprendre à être mort ?