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mardi 10 mars 2015

Le chamois d'Erwan, 2007


Je suis à chaque fois surpris par la densité des émotions qui traversent mes invités dans les moments forts d'une approche en montagne. Chaque fois que je suis seul dans l'exercice, que je sens mon cœur s'envoler, je croirais volontiers que nul autre ne peut éprouver toute cette intensité, toute cette plénitude. La chasse qui suit est la première très belle chasse que j'ai offerte à un ami, et elle tient de ce fait une place spéciale au panthéon des bons moments de ma vie.

Erwan est mon invité. Il m' a fait découvrir la chasse au sanglier avec les grands courants dans le Lot, sur les pentes du Célé, la chasse aux truffes avec son grand-père, et les merveilles de la table lotoise. Trente ans nous séparent, ou plutôt nous rapprochent. C’est bientôt parti, d'une altitude de 1500 m. Un premier chamois farceur apparaît et disparaît dans la brume et dans les replis de la montagne. Croiserons-nous le train du Puy Mary composé de cinq ou six chamois pressés et jamais tirables ? Nous gardons donc un œil sur la Brêche de Rolland et un pour nos pieds ... tout en surveillant devant, derrière, et en bas … La chasse en montagne est exigeante !

Erwan m’arrête d’un chuchotement juste adapté à la faiblesse de mes tympans. Le gros lot, sous la forme de quelques chamois, brille au soleil d’un petit plateau à la limite des forts(1), à cinq cents mètres plus bas .


Erwan et le Griou

Je sens, puis je sais qu’il est quasi impossible de les approcher en ce point. Il faut descendre et probablement échouer, puis remonter après avoir fait bouger les animaux. D’autre part nous pouvons espérer la harde entrevue la veille en un lieu probablement plus propice. Erwan acquiesce, se remplit les yeux et nous voilà repartis. Jusqu’à ce qu’une chèvre solitaire, sur notre trajet nous bloque pendant une bonne trentaine de minutes. Nous ne voulons pas qu'elle siffle (2). Elle se décide finalement à poursuivre sa route.

Nous pouvons le faire aussi et soudain Erwan les voit. nombreux, magnifiques, loin, haut … Je renonce à l’idée initiale de passer par le bas, là où la femelle, puis un mâle ont disparu. Nous décidons de monter par le Peyre Arse lui-même en espérant que l’approche sera plus aisée. Nous nous arrêtons pour un auto portrait à mille sept cents mètres d’altitude. Nous sommes les rois du monde. 
 
Nous sommes les rois du monde, ce 25 septembre

Et nous entamons la descente, moins royaux, souvent sur le cul pour disparaître plus rapidement si nécessaire, dans la bruyère et les myrtilles, doucement et en silence … Et bientôt contact visuel. Nous resterons très longtemps au plus près de la harde, plus d'une heure, de rocher en mamelon protecteur, jusqu’à avoir trois animaux à quatre-vingt mètres à notre gauche et une dizaine à cent-dix mètres sous notre surplomb(3). D'autres animaux encore, un peu plus loin. Cela fait beaucoup de paires d'yeux. Heureusement, plus besoin de bouger, ou à peine ; il suffit de repérer le bon animal. Entre Erwan, peu expérimenté, et moi même qui n’ai pas un œil d’aigle, c’est difficile dans cette position surplombante de juger la hauteur des cornes, elle-même critère d'âge.


Quarante-cinq minutes plus tard, Erwan foudroie une jolie éterle(2) d’une balle parfaite. Quelques minutes avant, il a vécu un moment extraordinaire issu de cette longue tension de l'identification, où tout peut basculer : je parviens enfin à lui désigner un premier éterlou. Il le place dans son réticule ... mais ne parvient pas à tirer, comme si son doigt refusait d'obéir. Un moment après, sur un second animal, il ne faillira pas. Il est heureux comme moi. Nous attendons quinze minutes, pour éviter le lien entre  coup de feu, présence humaine et mort. Et nous approchons. Une dernière mangeure pour l’éterle, une gorgée de poire pour nous, à la santé de qui m’offrit ce breuvage et de qui m'offrit la jolie flasque. Rarement journée  m’aura autant souri. Tant de beauté devant nos yeux, tant de réussite dans nos choix tactiques, tant d’élégance dans la chasse où pas une fois nous n’avons fait bouger un animal jusqu’au tir, pas un randonneur n’a croisé notre chemin … Du lever du jour au retour à la voiture vers quinze ou seize heures, la perfection nous a accompagnés.


ma photo fétiche dans laquelle il y a tout, de la quête à la conquête



 
1 Zones de refuge des chamois
2 le sifflement d'alerte du chamois est perçu de loin par ses comparses
3 les chasseurs à l'approche en montagne ont la manie des distances précises, aidés en cela par les télémètres.
4  femelle de chamois dans sa seconde année

1 commentaire:

  1. Quelle aventure !
    Bravo à tous les acteurs (chasseurs, chamois, montagne et flasque) sans qui rien n'aurait été possible.
    Amicalement
    GGWAW

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