Ils arrivent comme ça, à l'improviste, à l'occasion de. Oui, la phrase s'arrête bien là. Collatéralement à une assemblée annuelle, souvent. C'est normal, nul ne viendrait pour une "minute de rien". La minute de silence durant laquelle tu penses juste que cette pratique est nulle, ou bien que si quelqu'un voulait bien péter bruyamment, ça serait génial.
Deux hommages à Claude ont ponctué ma journée. Le premier de ma pure volonté, parce que
je n'avais pu assister à ses obsèques. Alors, avant le
repas de notre confrérie, je lui ai apporté quelques fleurs en fin de matinée, pour qu'on papote dix minutes. Car nous avons des souvenirs communs. Sa tombe
est joliment fleurie ; j'ai eu du mal à la trouver d'abord, puis à trouver une
place pour la petite corbeille. J'étais satisfait de le voir si bien installé. Et une
grosse heure après, minute de silence au début du repas des chasseurs.
Claude, octobre 2010 |
Alors je vais évoquer Claude ... Claude, cher Claude. Il
ratait tout, en matière de gros gibier, et mérite le titre de protecteur
obstiné et passionné, lui qui guida avec succès nombre de riches tireurs à une époque où le commerce
faisait rage. Il n’avait pas de carabine, au départ, et pas de fortune non plus. Un chasseur payant qu’il guidait, lui offrit une carabine en calibre 7 x 64 avec une lunette, un ensemble neuf je crois, il y a environ quinze ans ! Même chez les riches, il n'y a pas que des cons. Il manquait, avec la lunette. Qui fut vite
cassée, je ne sais comment. Il manquait aussi sans. Mais le gibier venait sans cesse
à lui, et ses yeux le trouvaient toujours, même invisible pour les autres, dans la montagne.
un sanglier, un teckel, Claude à droite |
Un jour, il y a deux ans, après un énième raté, il me confie
qu’il va aller acheter une lunette. Redoutant qu’il soit mal conseillé, et
certain que le problème était le tireur de peu de sang-froid, et pas l’arme ou aucune lunette, je pensai qu'il dépenserait beaucoup et pour rien. Comme j’avais
acheté au printemps précédent une petite Ruger American Rifle avec sa lunette (il n’y avait
pas d’offre sans), c'était le moment de ma bonne action centennale. Une 1.5-6 x 42 à super-effet tunnel, illuminée, qui avait juste
servi pour l’essai de l’arme, et attendrait, peut – être sans fin, une mienne casse d'optique, pour un dépannage… Je propose de la lui prêter, mais il veut l’acheter.
Je lui offre de me la payer 100 euros, quand il aura tué avec. Mais peu de jours
après, il me tend le chèque.
Nicolas, un autre chasseur, l'installera sur la carabine, avec un montage qui
dort dans ses tiroirs. Un autre chasseur, Gilles, garde-chasse mais honnête, lui règle pile-poil. Claude marche désormais plus difficilement que moi ; et
trois, quatre ou cinq collègues l’emmèneront tout à tour chasser. Avec Michel, comme avec Nicolas auparavant, il cède à la
buck fever [1]
et manque un bélier [2], avec Thierry il couche une brebis, mais touchée juste aux apophyses … et elle se sauve
après avoir été morte quelques secondes. En battue, en 2014, à environ cent cinquante
mètres il taille l'ongle d'un solitaire ... Il exécute aussi deux renards lors de ses
ballades. "Loin ?" je lui demande … " Loin", il me
répond. Le poids des mots.
Une fois, à un contre mille, il y a une éternité - c'était au siècle dernier - il tue une biche en battue, au calibre douze, d’une balle dans l’œil. D'émotion il
en perd son fusil, qu'il avait fallu à plusieurs chercher dans les
genêts. Systématiquement, dans toute conversation, il reposait la question qui venait d'être traitée, peut-être parce qu'il entendait presque aussi mal qu'il voyait
bien, peut-être parce qu'il avait déjà oublié. Sa vue était extraordinaire. Jamais
il n'avait un mot méchant pour qui que ce soit. C'est décousu ? C'est comme ça ...
Et il tue enfin un premier chamois en 2014, puis un second au début de 2015. Il y a trente
ou quarante ans qu’il chassait là ... et ces deux chamois arrivent enfin ! Mais bientôt, ce fut fini. La maladie l’a emporté après qu’il ait
résisté plus de cinq ans. Mais c’est sûr, il finit en beauté et emporte de
sacrés souvenirs pour faire passer le temps là-haut.
Dans cette société de chasse aux mœurs abruptes jusqu'à la
caricature, et où les manifestations de l'amour du prochain sont à peu près
aussi fréquentes que les canicules en haute montagne, l’enchaînement de beaux actes, de cette carabine donnée il y a longtemps jusqu'à ce premier chamois, montre qu'il ne faut désespérer de rien ! Car de bons ennemis ont collaboré pour cela. Et
Claude en plus d'avoir été un bon guide, est devenu un chasseur adroit ! Et un mec sympa toujours.
un joli "tombeau" comme on disait au Grand Siècle !
RépondreSupprimerDe connaissances en amis, le lien vers ton brillant texte parvient ce soir dans ma boite mail...
RépondreSupprimerTu fais chier Régis, t'es une chasseur, et j'aime pas beaucoup ça, mais ça va, à force des années et des rdv à Ussel, je sais que t'es un bon gars.
Mais ce soir, tu me mets la larme à l'oeil, parce que Claude, je le connais depuis, pfff, toujours, c'était un simple, mais un simple bon, toujours gentil, une crème d'homme comme il n'y en a pas beaucoup.
Alors merci Régis, et adieu mon Claude.
Je suis heureux que ce texte touche des mondes divers, dont le dénominateur commun est souvent la Gravière, ce hameau au bord de la Santoire, où régnait Claude.
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