"Tu tueras au moins quelques
pigeons [ ...si tu prends ton permis de chasser ]" m'assurait Denis,
qui m'avait aussi prêté une petite carabine de jardin pour
que je me rembourse des dégâts des lapins de garenne dans mon jardin. Je
l'avais cru, mais cette première saison m'apporta une ou deux
alouettes, et deux ou trois grives ... Ma mémoire flanche. 1986 ou
87, c'est loin. Comme j'avais toujours été un chasseur croyant sans jamais aller à l'office,
j'avais enfin acheté un fusil.
J'habitais alors dans une région au
nord de tout, où l'hiver succédait directement à un printemps froid et humide. De
pigeon, il n'y eut jamais dans ma gibecière. Trente ans après,
j'avais pris quelques cerfs, quelques chamois, mais j'avais abandonné
à elles-mêmes mes armes lisses* qui dormaient dans leur armoire,
tristes et résignées. Deux jolis superposés à la même couche, en
calibre douze et vingt, dont je percevais presque le reproche muet.
Je racontais parfois ce non-souvenir,
et Gilles, authentique chasseur et
bienfaiteur cynégétique, me proposa une chasse au pigeon. Et moi de
fouiller dans les reliques d'une grande caisse pour en extraire,
parmi deux cents munitions de mes amours anciennes, deux douzaines de
cartouches au poil pour la plume. Plomb de six surtout, et de sept.
Vêtements camouflés, cagoule et gants - je connais pour l'approche
du grand gibier- siège, et enthousiasme. Lequel sera un peu rincé de pluie,
de grésil et de vent... Me voilà aux marches du département, tout
près de la Haute-Loire que nous touchons du doigt et dont Gilles me montre le pointillé au bord du chemin. Je fais comme si j'avais vu.
La Margeride cantalienne |
Les sols de la Margeride sont granitiques et craignent la sécheresse. Y persistent, en conséquence agronomique, parmi les prairies et les bois, des céréales dont les
chaumes ne sont pas toujours immédiatement retournés. C'est presque miracle. Ils assurent la
pitance à l'avifaune qui a motivé notre venue. Quand Gilles part à
grands pas installer avec dextérité huit formes et un flottant, je
dois quasiment courir pour ne pas être distancé. "Formes" qui
sont de faux pigeons en plastique sur une courte tige, et flottant qui
est la même chose, mais avec les ailes ouvertes, et implanté sur
une tige souple et longue qui donnera par son balancement dans la brise un surplus de vérité à
cette fausse troupe se restaurant des grains oubliés par
la machine.
Puis nous nous replions en lisière
d'une haie, assis bas et immobiles, masqués comme des bandits sardes. Quelques pigeons qui passent trop vite, trop haut, trop loin, sont l'occasion pour mon hôte de parler bisets,
colombins et palombes, leurs caractéristiques, leurs habitudes,
leurs pensées les plus secrètes. Il chasse aujourd'hui avec un joli "Merkel" français en calibre 16, mais m'a montré aussi un
Charlin antique et gravé, toujours dans son calibre préféré. Au
premier passage tonitruant, seul Gilles tire au sens wallon du mot,
tandis que je me contente de la signification hexagonale** ... Pour la concision du récit, les manqués
ne seront pas développés, car écrire tout un livre m'a
toujours semblé rebutant.
Et soudain, nos formes sont attaquées
en rase mottes par une escadrille de trois colombins qui
arrivent droit sur nous et se posent parmi elles à 35 mètres environ... et redécollent
dans la même seconde. Nous tirons, mais ma première cartouche s'avère
inefficace, contrairement à celle de mon admirable confrère. Mon second tir
fait mouche. Ouf ! Plus rien ne vole, les trois oiseaux sont ramassés. Je viens
de tuer mon premier pigeon, trente ans après mes plus anciennes tentatives. Je craignais de n'en être plus capable, manquant désormais du nécessaire entraînement au fusil. D'autant que je suis désormais
un vieux chasseur, je vois la bande ventilée floue, comme érodée et incertaine, voire molle et floue quand je monte l'arme à
l'épaule. Je me réadapte très vite.
Quelques coulemelles, palombes, bisets et colombins |
Trois ou quatre oiseaux nous avons, en
arrivant, gelés et affamés au restaurant de Chastel. Nous en
ressortons sous le grésil et une pluie venteuse. Nous changeons de
chaume. Gilles ajoutera quelques prises, et pour moi un seul tir réussi, à
près de cinquante mètres. Dix cartouches par oiseau pour ma part ... Je me suis régalé de cette belle chasse-cueillette. Chasse pour laquelle il est prudent de se signaler quand arrive un confrère lui-même à la billebaude car il n'est pas impossible de voir ses formes prendre une giclée de plombs amis.
Même un splendide busard de St-Martin quasi blanc vient traîner près de nos formes ! Plusieurs fois, Gilles les a vues attaquées par des buses ou busards ! La photo est empruntée à M'sieur Google.
* armes à canons lisses tirant de la grenaille par opposition aux armes rayées
** en Wallonie, on a "tiré" ou a "manqué"
Même un splendide busard de St-Martin quasi blanc vient traîner près de nos formes ! Plusieurs fois, Gilles les a vues attaquées par des buses ou busards ! La photo est empruntée à M'sieur Google.
Un busard de St-Martin |
* armes à canons lisses tirant de la grenaille par opposition aux armes rayées
** en Wallonie, on a "tiré" ou a "manqué"
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