C'était en janvRier. Oui, tout à la fin, et on sentait bien février poindre jusque sous l'orthographe. Ce serait probablement ma dernière battue en montagne de la saison.
On y verrait l'expérience et la sûreté
de jugement de l'ancien s'imposer face à la fougue et à
l'impatience de la jeunesse. Ou le contraire.
Une partie du terrain de chasse, plus tôt en saison |
Émulsifié(1) par la bonté de mes
amis montagnards qui m' avaient gardé la moitié d'un grand cervidé
malgré ma très rare présence aux battues, je ne pouvais faire autre choses qu'apporter une boutanche ou deux pour les remercier. Car de la venaison je suis un adorateur. J'avais été fortement empêché par une
claudication qu'on dira galopante pour le plaisir de la dissonance. Cerise sur le gâteau, une tête de veau était promise au repas, dont je raffole … Alors
si j'ai chassé, ce n'est pas que pour compenser mes rejets de
carbone par un approvisionnement local.
Le poste le plus cool à atteindre
m'échoit naturellement au titre peu envié du plus déglingué de la bande. Seulement trente mètres à faire,
en fort devers quand même contre deux ou trois
kilomètres et plus pour mes jeunes confrères qui héritent de
postes lointains et prometteurs. Qui seront aussi en plein vent, tant
qu'à faire.
Au menu pour douze chasseurs dont deux
traqueurs, un flanc de montagne de 6 kilomètres, possiblement garnis d'un cerf sans limite
de pointes, d'une ou deux biches non suitées ou de bichettes, de sangliers s'ils veulent bien. Un faon femelle, ça marcherait aussi,
mais pas un faon mâle, donc les faons, on évitera. Arrivé à
mon poste, je cherche en vain un pauvre mètre carré plat pour
installer mon siège Walkstool, télescopique et ultraléger. Ben non, il aura été volé … Pas le siège, le m² plat. Je recompte mes
jumelles, ma radio, mon téléphone, ma belle carabine. Ah !
Qu'on est bien …
Le jeune chasseur, un autre jour de l'automne, pour une autre victoire |
La bande de jeunes a longé la crête et
s'est positionnée de loin en loin : des nains jaunes
observables aux jumelles, qui peuvent en observer trois autres en bas. Et chacun de projeter
ses angles de sécurité, et de se satisfaire de ses possibilités de
tir. Les miennes sont restreintes vers le haut, mais basta, je suis là surtout pour la tête de veau. Et les cartouches, c'est pas
donné ! Je ne vois pas passer la biche pourtant annoncée à la
radio, puis je la découvre à 200 mètres environ, au delà de
l'angle de sécurité, qui écoute. Alex, qui occupe le poste face à
moi ne l'a pas vue non plus. Pas envie de tenter le tir à cette
distance, même avec un bâton, et je lui trouve en plus un air
juvénile dans mes jumelles. Elle descend de la montagne, sans cheval
mais en se rapprochant, et je la perds malheureusement de vue dans
les genêts et les arbustes. Elle franchit bientôt la route
départementale.
Juste avant et au cours de cet épisode, Etienne, le jeune Etienne, 16 ans et plein d'enthousiasme, fait parler
la poudre, et son premier grand cervidé tombe : un daguet tué
d'une belle balle de 30.06. Un daguet de 80 kg qu'il redescendra seul
sur près de 500 mètres ! Belle balle, pas de dégât, bon tir.
Tout, quoi.
Notre jeune président, Maxime, 23 ans, tire
aussi quelques dizaines de minutes plus tard. Une belle biche, tuée
proprement. Tout, quoi !
La ligne des modernes en haut,
s'affirme tandis que celle des anciens, en bas, se tait. Puis la
ligne du haut avance sur deux kilomètres, tandis que les anciens
prennent un 4 x 4 pour aller s'installer deux ou trois km plus loin,
sur ce même flanc, et toujours en bas. Mais, même en bas, je dois
marcher un petit kilomètre pour atteindre mon poste, le plus facile
encore. Tous les cerfs semblaient en séminaire dans ce coin :
cerf annoncé à la radio, re-cerf annoncé, daguet, re-daguet annoncés ... Qu'on
ne tire plus, le dernier bracelet de mâle de l'équipe vient d'être utilisé.
Jean-Pierre, qui traque sans chien, passe dans un découvert à 150
mètres au dessus de moi, tandis que Jean-Marc avec ses trois chiens
se situe à 1.5 km environ, venant vers lui dans le bois, et faisant
courir tous ces cerfs. Soudain ...
Biche et Biche !
Me hurle aux oreilles mon for intérieur surexcité quand deux fusées gris-fauve giclent du bois à moins de 100 mètres et longent la côte à fond
et passent à 60 mètres de moi environ pour rejoindre la sécurité du couvert.
Ma carabine vole vers mon épaule, ma balle vole vers sa cible, et je
vois la biche touchée, je recharge à la volée et une seconde balle
tente de rattraper la première, jetant la bête au sol là où mes
yeux la perdent. Jean-Pierre arrive à la course tandis que je peine
à monter, mais l'animal se relève hors de ma vue, il le manque. Je
sens poindre la catastrophe de la bête blessée, mais celle-ci, sévèrement touchée, s'arrête et je peux l'achever après l'avoir
approchée à portée de tir. En deux balles, la première vise le
cou et passe à côté ... Mon ventricule gauche, le plus rapide, est à
au moins 150 coups par minute après deux cents mètres d'une "course"
surement pathétique. La seconde balle sera adressée au thorax et y
fera un trou imposant et définitif.
J'ai déjà vu que
biche ce n'est pas, je suis furieux contre moi. Ma fierté part en vrille, moteurs en feu, et va s'écraser ... J'appelle le président, humble comme
jamais. Ce faon mâle bien costaud l'oblige à appeler un gars de
l'autre équipe pour récupérer leur bracelet de mâle, contre un de
biche. Je suis confus, la punition sera probablement terrible …
Conseil de guerre où figurent les trois tireurs ... |
Le repas fut chaleureux et délicieux.
En sus de crudités auvergnates habituelles (jambon cru, saucisse
sèche, fromages au lait cru), il comportera sa part de rigolades
bienveillantes sur ma vieille personne et sur ma faute, et aussi une tête
de veau absolument délicieuse.
La vaisselle fut ma peine !
Aggravée d'une moitié de ce faon, qui pour la première fois de
mémoire de ma 9.3, avait des dégâts terribles, la moitié du
gigot était détruite par l'Accubond de 16 g. Je me rappelle d'un
faon tué à Avène (Héraut) il y a longtemps, je m'étonnais du peu de dégâts
d'une balle d'épaule dans ce calibre ... Des fois, c'est
différent.
La morale de la fable est limpide : mieux
vaut être un jeune et beau chasseur, avec de bonnes jambes, de bons
yeux, un bon jugement, un bon tir que … … … … …. …
(remplir les pointillés à votre guise).
- À la fois ému et bouleversifié (2).
- Mot nouveau.
Tes textes paraissent tout en retenue, Whithy, mais on se tromperait en ne voyant pas fleurir ta poésie à chaque ligne. Allez Faon-faon : la tulipe !
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