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jeudi 21 septembre 2017

Quelques pigeons

"Tu tueras au moins quelques pigeons [ ...si tu prends ton permis de chasser ]" m'assurait Denis, qui m'avait aussi prêté une petite carabine de jardin pour que je me rembourse des dégâts des lapins de garenne dans mon jardin. Je l'avais cru, mais cette première saison m'apporta une ou deux alouettes, et deux ou trois grives ... Ma mémoire flanche. 1986 ou 87, c'est loin. Comme j'avais toujours été un chasseur croyant sans jamais aller à l'office, j'avais enfin acheté un fusil.

J'habitais alors dans une région au nord de tout, où l'hiver succédait directement à un printemps froid et humide. De pigeon, il n'y eut jamais dans ma gibecière. Trente ans après, j'avais pris quelques cerfs, quelques chamois, mais j'avais abandonné à elles-mêmes mes armes lisses* qui dormaient dans leur armoire, tristes et résignées. Deux jolis superposés à la même couche, en calibre douze et vingt, dont je percevais presque le reproche muet.

Je racontais parfois ce non-souvenir, et Gilles, authentique chasseur et bienfaiteur cynégétique, me proposa une chasse au pigeon. Et moi de fouiller dans les reliques d'une grande caisse pour en extraire, parmi deux cents munitions de mes amours anciennes, deux douzaines de cartouches au poil pour la plume. Plomb de six surtout, et de sept. Vêtements camouflés, cagoule et gants - je connais pour l'approche du grand gibier- siège, et enthousiasme. Lequel sera un peu rincé de pluie, de grésil et de vent... Me voilà aux marches du département, tout près de la Haute-Loire que nous touchons du doigt et dont Gilles me montre le pointillé au bord du chemin. Je fais comme si j'avais vu.

La Margeride cantalienne


Les sols de la Margeride sont granitiques et craignent la sécheresse. Y persistent, en conséquence agronomique, parmi les prairies et les bois, des céréales dont les chaumes ne sont pas toujours immédiatement retournés. C'est presque miracle. Ils assurent la pitance à l'avifaune qui a motivé notre venue. Quand Gilles part à grands pas installer avec dextérité huit formes et un flottant, je dois quasiment courir pour ne pas être distancé. "Formes" qui sont de faux pigeons en plastique sur une courte tige, et flottant qui est la même chose, mais avec les ailes ouvertes, et implanté sur une tige souple et longue qui donnera par son balancement dans la brise un surplus de vérité à cette fausse troupe se restaurant des grains oubliés par la machine.

Puis nous nous replions en lisière d'une haie, assis bas et immobiles, masqués comme des bandits sardes. Quelques pigeons qui passent trop vite, trop haut, trop loin, sont l'occasion pour mon hôte de parler bisets, colombins et palombes, leurs caractéristiques, leurs habitudes, leurs pensées les plus secrètes. Il chasse aujourd'hui avec un joli  "Merkel" français en calibre 16, mais m'a montré aussi un Charlin antique et gravé, toujours dans son calibre préféré. Au premier passage tonitruant, seul Gilles tire au sens wallon du mot, tandis que je me contente de la signification hexagonale** ... Pour la concision du récit, les manqués ne seront pas développés, car écrire tout un livre m'a toujours semblé rebutant.

Pose des formes

Et soudain, nos formes sont attaquées en rase mottes par une escadrille de trois colombins qui arrivent droit sur nous et se posent parmi elles à 35 mètres environ... et redécollent dans la même seconde. Nous tirons, mais ma première cartouche s'avère inefficace, contrairement à celle de mon admirable confrère. Mon second tir fait mouche. Ouf ! Plus rien ne vole, les trois oiseaux sont ramassés. Je viens de tuer mon premier pigeon, trente ans après mes plus anciennes tentatives. Je craignais de n'en être plus capable, manquant désormais du nécessaire entraînement au fusil. D'autant que je suis désormais un vieux chasseur, je vois  la bande ventilée floue, comme érodée et incertaine, voire molle et floue quand je monte l'arme à l'épaule. Je me réadapte très vite.


Quelques coulemelles, palombes, bisets et colombins

Trois ou quatre oiseaux nous avons, en arrivant, gelés et affamés au restaurant de Chastel. Nous en ressortons sous le grésil et une pluie venteuse. Nous changeons de chaume. Gilles ajoutera quelques prises, et pour moi un seul tir réussi, à près de cinquante mètres. Dix cartouches par oiseau pour ma part ... Je me suis régalé de cette belle chasse-cueillette. Chasse pour laquelle il est prudent de se signaler quand arrive un confrère lui-même à la billebaude car il n'est pas impossible de voir ses formes prendre une giclée de plombs amis.

Même un splendide busard de St-Martin quasi blanc vient traîner près de nos formes ! Plusieurs fois, Gilles les a vues attaquées par des buses ou busards ! La photo est empruntée à M'sieur Google.


Un busard de St-Martin

* armes à canons lisses tirant de la grenaille par opposition aux armes rayées
** en Wallonie, on a "tiré" ou a "manqué"

mercredi 6 septembre 2017

Dégât des os


J'aurais aimé titrer "Fortune de mer". Ça aurait eu de la gueule et ça y ressemble un tout petit peu. Mais c'était dans ma cour, un lundi ... Alors, après un "Dégât des eaux", ce «Dégât des os » ira bien.



Qui aurait cru qu'un voilier se transporte par la route ? Ben si, quand ils sont petits. Mais pas à la voile quand même ...  Pratique quand on sait les places de ports rares et chères, ou quand on veut naviguer ici et là. Mais je n'imaginais pas la quantité et la complexité des problèmes possibles avant de flotter enfin. Problèmes de remorque et de remorquage, de mâtage et de démâtage, de grûtage et de mise à l'eau ...

Marin-rêveur, j'arpentais depuis des mois la littérature sur le levage des mâts des petits voiliers, et les œuvres cinématographiques s'y rapportant, des productions Youtube de marins. Rien à voir avec du Gogol ou de l'Hemingway, rien d'approchant avec du Cimino ou du Clouzot non plus … Des explications, des croquis, des bouts d'images. Pour transporter un petit voilier, il faut évidemment ôter le mât. Et forcément le remettre pour naviguer. Pour mon petit bateau, un rugbyman ou un décathlonien échapperaient à l'ardente obligation que j'ai de contourner mes faibles capacités physiques par un "système de poulies et de renvois"


La scène de crime

Et j'ai commandé le nécessaire, des bouts, des manilles, des cadènes, des mousquetons ... J'ai jeté mon dévolu sur le système inventé par "Henri", dont l’œuvre à la fois littéraire, graphique et cinématographique m'avaient convaincu. Il avait équipé ainsi Daria, son joli voilier Edel. Mais la conviction ne rend pas architecte (naval) pour autant, et moins encore charpentier de marine. Le système Henri est expliqué sous ce lien. Ce sera d'ailleurs une mienne interprétation de ce système, en fonction de l'outillage et des pièces à ma disposition


micro-poulie, 2 manilles, cadène, anneau, mousqueton, pontet ...


Et un beau lundi, armé de mes deux mains gauches et de mon enthousiasme, je sors de leurs emballages les trésors concoctés par Chronopost et Mondial Relay. Le pont de mon fier voilier est vite encombré de drisses colorées que je coupe, noue et renoue, de pièces inoxydables rutilantes, et de quelques poulies et outils basiques. Je fixe manilles, anneaux, bouts, je fais et refais des nœuds de chaise pour approcher les longueurs nécessaires, des tours morts et des clés à répétition ... Malgré la fin tragi-comique de cette aventure, je ne vous épargnerai aucun des mots techniques ingurgités avec gourmandise et par nécessité. Finalement, ne sachant comment fixer une cadène dans les règles de l'art, j'opte pour une patte d'oie dans le prolongement de l'axe de pivotement du mât. Vous êtes verts, hein ?


Il me manquait d'ailleurs une cadène de grande longueur qui eût été idéale pour accueillir les deux bouts latéraux sur le bastaing à vocation de chèvre ** qui remplacera le tangon que je n'ai pas (vous êtes vert foncé, maintenant ?) ... Et aussi des taquets coinceurs pour régler idéalement la longueur des bouts sur le bastaing. 


Bon, la version courte : je veux installer un système de levage, destiné à démultiplier ma force pour ériger le mât de 7.45 mètres tout en le sécurisant pour qu'il ne s'échappe pas d'un côté ou de l'autre. Car les dégâts que cela pourrait produire sur le bateau, sur le marin et sur l'environnement immédiat sont à envisager. 


A 16 heures, presque prêt mais fourbu, je fais la pose. On verra demain ... Appeler un copain en renfort peut-être, démarrer en douceur après un dernier contrôle du système et de tous ses nœuds, et ne pas faire l'économie d'une réflexion sur les forces et les faiblesses de cet appareillage interprété à ma façon, pour d'éventuelles corrections ...


Et puis non, j'ai trop envie d'essayer ... Une vis costaude remplace bravement la cadène idéale, absente, et ne déméritera pas. J'ai mis en appui le bastaing verticalement sur une plaque de caoutchouc anti-dérapante au pied du mât, la compression devant faire œuvre de fixation. Je ne résiste pas à mouliner un peu le winch "pour voir", pour lever le doute sur les conséquences du pré-levage un peu limité. Diable, mais ça monte ! Eurêka ! Je suis grand !!!


Le mât parcourt 20 à 30 degrés ... Il penche un peu à bâbord me semble t'il. Bizarrerie géométrique ? J'arrête. Demitours-je *** ? Heu ... comment, d'ailleurs ? Côté tribord mes bouts sont tendus à bloc, et un peu mous à bâbord, ce qui paraît normal dans cette occurrence ... Donc je suis paré, me dis-je, ça retiendra forcément tout mouvement supplémentaire vers bâbord ... Je me dépêche donc, et comme c'est moins dur avec la verticalisation, je vais vite, approchant déjà des 60 ou 70 degrés. Et soudain je sens comme un relâchement dans le winch (?), le mât part vers l'arrière, côté bâbord et me bouscule rudement. J'étais posté sur le winch de ce côté, précisément ... Mais le mât en me frappant sèchement m'envoie au tapis qu'il n y a pas pour amortir le contact, et m'évite aussi toute possibilité de laisser traîner une main ou un bras près du winch qui le réceptionne.

Cheville râpée- juste la peinture, hein- , côtes endolories, mais hanche salement secouée : je marche difficilement et douloureusement, mais, le pire n'étant jamais sûr, j'espère qu'il n'y a rien de grave. 

Ma carrière de marin transportable s'arrêtera t'elle ici ? Je ne sais pas, mais celle de charpentier de marine va vers des développements nouveaux et inattendus, dès que je serai rétabli, car il faut bien réparer. Il ne manquera que le bistrot du port pour aller causer technique.



gros plan de la casse et éclat du pied de mât


*** chèvre ou bigue, engin de levage antique
***du verbe demitourir, troisième groupe, qui signifie faire demi-tour, et que je viens d'inventer juste pour vous.

mardi 22 août 2017

Si t'en tues pas un ...

L'approche de la chasse d'été du chevreuil alimente habituellement mes rêves, et parfois me tient même éveillé. Pas cette année, bizarrement…  Ce début d'été sans l'impatience traditionnelle témoigne-t-il du début d'une autre époque ?  D'un déclin du désir qui restera momentané, ou qui confirmera que décidément, tout passe ?
Selon le bon Saint-Augustin, "mieux vaut se perdre dans sa passion que perdre sa passion ". Alors, je me suis admonesté sèchement et envoyé à la chasse sans barguigner, aidé en cela par mes papilles de mammifère omnivore, qui elles, restaient heureusement motivées par un chevreuil ou deux. Le Lot voisin m'a accueilli à nouveau.

Troisième chasse, au tout début d'août, il est environ vingt heures ...
"- Si t'en tues pas un … Alors t'es mauvais " me dit le paysan venu voir qui est ce petit bonhomme au bord de ses parcelles, habillé de camo, canne de pirsch à la main et carabine à l'épaule.

Ça pourrait sembler quasi grossier ... Mais c'est sympa au fond, car il me prodigue aussi des conseils pour ne pas me faire descendre malencontreusement par les chasseurs de sangliers parfois à l'affût, qui ont "de ces trucs !"  : des semi-auto en 300 Mag, je présume, du bruit et de la fureur en tube.

- "Ils sont là tous les soirs à 8 heures 30, les chevreuils, tu PEUX PAS les louper ...  
- ….
- si t'es pas mauvais. 
- …
- Il y en a plein ! 
- Des brocards ? je demande, car ce sont des mâles que je cherche.
- Chaipas ! Mais ne viens pas dans le pré là-haut, mon taureau est assez « spécial »

Effectivement, le garçon fait tonner une voix aussi rauque qu'énervée. Mon petit sac à dos plein de ses conseils, et ma petite Brno Effect *** pleine de son unique cartouche, il m'explique encore qu'il aimerait que je tire plutôt un des sangliers qui font des misères à son magnifique maïs , protégé pourtant par un canon. Et il se retire vers la très jolie ferme après m'avoir assuré que je tuerai un cerf ce soir, si, bien sûr… 

La vie sauvage ...

Je me dirige vers l'endroit abrité des armes maléfiques, et si fourni en cervidés de toutes sortes. On y est bien, c'est beau, il fait doux, des palombes rentrent dormir au bois. Les brocards patientent dans les fourrés peut-être, mais ne se montrent pas.

Comme c'est le plein rut, je buttolote* quand le délai me semble excessif ; sans résultat. Je descends la combe, et sa courbe me révèle de jolies lisières aussi vides qu'il est possible pour une jolie lisière d'être vide. Les couleurs s'adoucissent et s'estompent, et je décide de monter au danger, à peu près certain qu'après avoir tué un sanglier hier, les fiers chasseurs armés de leurs sacrés trucs  ne reviendront pas ce soir.

La sueur me vient dans la côte, et le chemin caillouteux me tient une conversation trop bruyante. Je franchis une clôture presque invisible dont je note mentalement l'emplacement, car ma chambre à coucher sera là-haut. Pour sentir encore, en dormant à la belle étoile, le zéphyr qui enfin vient me caresser ... Si je ne conclus pas ce soir, bien sûr, car sinon, le frigo ou la cave  devront être rejoints rapidement. Le chemin à présent herbeux se tait, le soleil encore visible éclaire une nappe de brume de chaleur dans un vallon. Ça sera une superbe image, mais mon œil est attiré au même instant. Ni cerf, ni sanglier, mais un brocard qui me paraît beau, à 150 mètres environ sur la colline, devant un bois en partie défriché. Je ne vois que sa tête en raison du relief. 

M'a t'il vu ? Il mange en venant vers moi, cherche dans ma direction, prend une bouchée de temps en temps.  Je profite de sa tête baissée pour mettre sur pied mon bipied² **.  Il s'approche toujours, zigzagant un peu, et jamais complètement de face et vraiment immobile, pour que je l'assassine sereinement. Comme l'endroit où passe la colonne vertébrale n'est pas marqué par un pointillé sur le pelage, j'aime tirer au cou absolument de face.

La distance continue à se réduire, il va être urgent de tirer avant qu'il ne me sente et s'enfuie…  Et comme il reste peu immobile, je décide de tirer davantage à la base du cou, car je redoute de blesser. A 60 mètres environ, je lâche ma balle et je le vois tomber comme un chiffon. 

Un été exceptionnellement vert dans le Segala lotois


Un mètre derrière lui, une tache de sang projeté bien ronde me dit que la balle a traversé. Où ? Je ne trouve que difficilement l'entrée, bien au point visé, et pas la sortie. J'espère que la balle n'a pas longé colonne et filet... C'est un bel animal long et jeune. Une seule pointe n'est pas ébréchée, et il porte les marques d'une blessure en velours. Un sacré bagarreur qui s'est de plus pris une clôture au printemps, avant de me priver de ma nuit à la belle étoile.

Pas le moindre dégât lié à la balle, verrai-je plus tard.  La chasse d'été est terminée pour moi, et je décide de regrouper mes deux prises de la saison pour la postérité.

Mes deux prises de la saison
* utilisation d'un appeau célèbre, le Buttolo qui permet d'imiter les soupirs et les mots tendres de la chevrette amoureuse.
** bipied au carré ... car composé de quatre tiges se joignant par deux au sol, et permettant une grande précision en tir debout. (4 stable stick)
*** c'est un de mes Kipplauf, une carabine basculante à un seul canon, très légère, et précise. Dans un calibre léger de 6.5 mm. Une arme d'approche et non de battue

samedi 29 juillet 2017

Dégât des eaux

Cela fait quarante-cinq ans qu'un petit voilier glisse parfois entre mes oreilles. Et qu'une santé flageolante me garde sur la berge. Mais là, je le sens bien, je suis moins cassé. Un peu. Une journée sur un First 210* tout début avril 2017 a rallumé le rêve pas encore éteint depuis une balade sur le Golfe d'Ajaccio un an plus tôt sur un Evasion 32. Mmmhhhhh ! Il se barre du bout des doigts, ce First 210 !!! Trois jours de stage avec les Glénans ** suivent, dont je reviens enfiévré, et le cul un peu douloureux des assises inconfortable. Je peux le faire !

A moi petites annonces, articles des revues nautiques, et rêves bleus et penchés. C'est capitaine que je serai ! La visite " pour voir " des plans d'eau douce de mon département me laisse de marbre : ce n'est pas à la taille de mes rêves, lesquels s'ajustent mieux avec les dimensions de l'Etang de Thau. Où je me sens délicieusement perdu, mais pas trop. Une petite mer, presque.

J'achète un Blue Djinn *** de vingt ans, et je réserve une dizaine de jours au port de Mèze. Commencent - dans la tête - les tracas du grutage qui s'avère finalement indispensable malgré la promesse de glissade sur cale de ce dériveur pur. Le stockage de la remorque dont il faut bien faire quelque chose en est un autre. Mais des questions administratives d'immatriculation retardent l'achat. Exit Mèze, donc.

Moins d'un mois plus tard, la chose administrative est réglée, la facture aussi, et j'attelle le bateau. C'est parti pour trois heures de route stressante avec mille deux cents kilogrammes aux fesses : quatre-vingt kilomètres par heure sur route, dix de plus sur autoroute pour éviter la mise en lacets. Peut-être manque t-il du poids sur le timon ? Première nuit dans mon six mètres, sur un parking où je suis déjà secoué par des rafales de Sud, après le matage réussi pour lequel Bruno, l'ex-propriétaire, joue l'essentiel de la partition.

Derrière la voiture


Le lendemain, un copain, Jean-Didier, nous rejoint alors que Bruno finit de changer les bosses de ris ( des cordes, quoi !) mangées dans la bôme par des loirs durant l'hivernage ! Nous courons tous trois une bonne vingtaine de milles en ligne droite ou en zig-zag. C'est formidable. Sauf la barre un peu dure par rapport à celle du First. Je touche le ciel du doigt, tout comme le lendemain, où nous enchaînons les manœuvres. Cela correspond si bien à ce que j'espérais ... mais je commence pourtant à redouter les lendemains ...

Car Bruno n'est plus là. Jean-Didier et moi faisons quelques courses, dont du carburant en abondance. Et de l'huile pour moteurs deux temps. Nous perdons un temps inouï pour savoir la valeur de la doseuse  intégrée ... Alors qu'elle était bien inscrite, mais nous avait échappée ... Y a t'il un, deux, quatre centilitres dans cette maudite dose ? La victoire du raisonnement sur la presbytie adoucit notre rancune soudaine contre Total.

Le vent est faible ; nous aussi. Première manœuvre de port, nous nous faisons un peu peur, réalisons une sortie du port et retour au moteur. C'est chaud … Bah ! ce sera mieux la prochaine fois ! Mais non ... Sortie en marche arrière, passage en marche avant et virage qui tarde, tarde, tarde ... Boum, Flâneur caresse un poteau. Nous sortons du port, et y revenons. Mon cœur saigne un peu, mon optimisme fait comme une une traînée grasse dans ce bout de sillage foiré.


Mon joli Flâneur


Le lendemain, je suis seul. Je décide courageusement de ne pas faire de manœuvre au moteur. Ni à la voile, évidemment. J'assiste aux joutes qui se déroulent à deux pas sur le canal. Superbe ! Ah, une place assise ... Je promeus la vulgaire table porteuse de prospectus en estrade personnelle car elle reçoit un peu d'ombre, et j'y pose mes fesses, rapidement rejointes par d'autres et d'autres encore. Toutes ces fessiers et kilogrammes rattachés se retrouvent brutalement au sol. Et j'ai droit aux soins des secouristes qui  au vu de l'enflure immédiate de ma cheville, pronostiquent une entorse, heureusement plus spectaculaire par ses jolies couleurs à venir que douloureuse.

J'ai pris rendez-vous pour mettre le bateau sur remorque, et pour le démâter le lendemain matin. Vent frais annoncé jusqu'à 35 nœuds dans les rafales, de nord-ouest (65 km/heure). L'ombre du radeau de la Méduse couvre les jolis sillages des jours précédents.

Olivier, copain du club, est pris par le travail, alors un autre membre de l'Aviron Marseillannais vient à mon secours. Avec Christian, sortir de la place n'est pas un problème malgré le vent. Il fait avancer jusqu'au quai le bateau que je garde aligné avec les deux amarres arrière, et le détache. Je libère l'amarre arrière sous le vent, il détache ensuite celle au vent, et je teufe-teufe à reculons. Puis à donf le moteur en marche avant, pour virer en poussant barre ET moteur. Flâneur veut bien virer court, ainsi mené. C'était donc ça … A la sortie du port nous sommes attrapés par la tramontane plein travers, je fais donner tous les chevaux sur les instructions de Christian, et je tire sur la barre. Le brise-lame cesse de s'approcher ... Suivent deux appontages "presque bon" à Tabarka. Et commence la pénible séance de mise sur remorque, de démâtage, de changement de remorque. Sans Christian, je n'y serais jamais arrivé, grand merci à lui. Qui a dit qu'on n'avait pas besoin d'une place de port pour un petit bateau  ?

Suivront cinq heures de route … Plus vingt minutes pour réussir à reculer dans l'allée de la maison. Et là, Flâneur, insensible à mes calculs cartésiens qui concluaient le contraire, bouche l'entrée du garage !

    *First 210, petit voilier de Bénéteau, voilier de 6.20 m et 1300 kg, très marin, beau et agréable à barrer.
    ** Ecole de voile 
    ***Blue Djinn, petit voilier de B2 marine, mesure 6.09 m, s'échoue à plat, pèse 900 kg "seulement ". Davantage transportable.

mercredi 26 avril 2017

Souquez les artimuses !

C’est pas pour me vanter, mais il a fait rudement beau ... Un temps idéal pour un stage de découverte de la voile sur croiseur côtier, en trois jours. Dans un cadre idéal aussi, où la mer a la taille parfaite pour débuter. Vous avez échappé de peu, en titraille, à « Remets ton slip gondolier » du regretté Frédéric Dard, car la voile à Marseillan (Glénans) commence par quelques coups de godille pour traverser le canal et être parés à embarquer sur l’Etang de Thau ...


A la recherche d'une risée 

L’enjeu pour moi était de savoir si j’étais en mesure de naviguer sur un petit croiseur au regard de mes capacités physiques réduites. Ma crainte était bien sûr de devoir ranger au fond d’un tiroir ce vieux rêve de toile penchée. Les autres participants étaient là pour un apprentissage basique avant un stage embarqué, ou pour enrichir leur expérience pratique de bases techniques et théoriques pour mieux naviguer en famille,  ou pour simplement découvrir la voile, et même pour accompagner une amie dans sa découverte.

Je rencontre de bon matin mon moniteur, Francis, autour du kiosque-bar où un café nous est offert lors de l’arrivée groupée des participants des  quatre ou cinq stages concomitants. Qui sur les grands Dufour 325 de dix mètres, qui sur cata, qui sur dériveur léger, qui sur Bisprise. « sur Surprise », ça sonnerait mal. Notre stage est plein de filles ! Nous avons droit à un second mono en la personne d’Aurélien. Neptune m’a sûrement à la bonne pour envoyer du ciel ces jolies naïades d’ascendance flibustière. Je n’ai plus la jeunesse, mais je serai éclairé de sa lumière, de sa fraîcheur et de son entrain  pendant ces trois jours, où nous avons constitué un équipage réussi.


Je suis au premier plan sur cette photo, le papi du groupe.


Bon … Dans mes rêves, on hisse tout et on s’éloigne du quai. Ici, il faut gréer les voiles d’abord, dénouer des nœuds rétifs, nouer des drisses, déspaghettiser des écoutes un peu râpeuses et récupérer des aussières franchement trempées. Quel bintz ! Quitter le quai n’est pas simple non plus. Je maugrée quand j’apprends qu’il faut dégréer, juste pour regréer le lendemain. Mais bon gré mal gré, je grée et je dégrée.  Je rêve sournoisement de catboat. Mais Neptune m’a-t-il lâché ? Il y a deux fois plus de mats sur notre ketch de neuf mètres que sur les autres bateaux de la flotte. Je suis aussi le plus maladroit au plan des nœuds de chaise, de cabestan ou d’ailleurs, mais je progresse … comme les pires maladies. Les virements de bord, et les empannages s’enchaînent. 


Un équipage qui allie beauté et compétence

Je découvre qu’il faut incroyablement anticiper par rapport aux autres bateaux, qu’il faut toujours ranger chaque bout qui traîne, car sinon il vous le fera payer, qu’on ne sait jamais où se trouve l’amer indiscutable pris avant de virer.

Le vocabulaire est royal et il est source infinie de rigolade. Car nous mélangeons souvent mots techniques ou prénoms dans des manœuvres sensées être parfaitement synchronisées. Je lofe, donc je … On pense "border", mais on dit "choquer", on dit juste mais on comprend faux. 
« Souquez l’artimuse ! » est le fleuron d’un petit délire. Vivien, grand et adroit apparaît vite comme un équipier de premier plan, et les filles conjuguent souplesse et rapidité. L’arrivée et le départ du quai me sont les plus difficiles, car je ne suis ni grand, ni agile, ni souple. Mais parfaitement heureux, et j’étais justement venu pour ça.

Le troisième jour, nous naviguons répartis sur deux Glénans 5.7, de la taille d’un petit croiseur, mais sans cabine et bas sur l’eau. Très réactifs. Nous jouons au chat et à la souris poursuivant ou tractant un bout de 10 mètres avec un leurre constitué d’un pare-battage. Une matinée fun ! Départs au lof et rires garantis par un vent de force 4.

lundi 3 avril 2017

White sailor


Du rêve embrumé de bateau à la réalité ensoleillée, il n'y a que trois cents kilomètres que j'ai franchis pour me jeter à l'eau. Voileux croyant depuis l'adolescence, dès la révélation de la beauté magique et irréelle des voiles penchées et silencieuses, je suis pourtant resté non pratiquant. Mais je suis aujourd'hui l'invité d'Olivier, membre de l'Aviron Marseillannais !  Nous sommes neuf, mais anciens … Seul Olivier avec ses cinquante balais s'échine encore à gagner son pain. Nous nous répartissons sur trois croiseurs et par miracle le First 21, le plus petit des trois avec ses six mètres, nous échoit. Un bateau que je connais par mes lectures et qui suscite bien des louanges. Celui que j'aurais choisi ! Des trois équipiers Jean-Jacques semble le plus expérimenté, Olivier est le plus costaud, et moi le plus "rien de tout ça". Le Bassin de Thau confirme heureusement sa réputation de vagues modestes et de soleil orgueilleux.

Pourquoi j'ai toujours rêvé voiliers est un mystère. Ma Bresse d'hier ne s'y prêtait pas plus que mes montagnes d'aujourd'hui. J'ai lu pas mal de récits de marins au long de ma vie, et La longue route de Bernard Moitessier a par exemple accompagné un moment difficile de ma vie. Dire que j'ai perdu ce bouquin ! Une santé de merde en général et la vie en particulier m'ont laissé sur le rivage. Une balade sur un ketch de neuf mètres il y a un an dans le Golfe d'Ajaccio a rallumé du rêve.

Le Mont St-Clair nous déventera un court moment


Ben c'est déjà gros un six mètres … Je les voyais minuscules à côté des grands, ou sur l'eau. Je n'imaginerais plus traîner ça derrière une voiture, et surtout le charger, le décharger et le mâter seul. Mais il est idéal pour cette journée ! Nous partons de Marseillan au près dans un tout petit vent, direction Bouzigues et nous tirons des bords pour atteindre notre destination. Je barre !  Je suis le roi du monde, que dis-je, je suis Neptune soi-même ! Sauf que parfois je tire la barre au lieu de la pousser, ou inversement ... Mais pas souvent, et je surveille la voile d'avant pour serrer au mieux le vent. Olivier et Jean-Jacques sont excellents pédagogues. J'enrichis mon vocabulaire marin et surtout je mets un usage sur des mots plus ou moins connus, taquet, coinceur, winch, et ces sacrées drisses de ci, drisse de ça, qui spaghettisent quand j'essaie de les ranger. La balancine se révèle à moi qui ne comprenais pas à quoi ça pouvait servir.

Retour sous spi à fond ... pas loin de douze kilomètres heure  !

Alors, bien sûr, j'épluche férocement les petites annonces, sans savoir si je vais franchir le pas. Car il ne faudrait pas que ce soit une amourette sans lendemain. Si un bateau j'ai, il sera transportable, et je pourrai pêcher avec aussi … La pêche, une vieille passion qui pourrait, sans se rallumer gravement, redevenir un passe-temps conforme à mon âme de chasseur-cueilleur. Bricoler je ne sais, alors il devrait donc être en "suffisamment bon état ". Costaud je ne suis pas du tout, il devrait être facile à mâter. Auvergnat je suis, il ne devra pas me ruiner ... 


On n'apprend pas grand-chose en une journée, bien sûr. Je serais incapable probablement de virer de bord proprement seul, car j'étais trop concentré sur la barre pour repérer l'ordre des actions sur les voiles …  Mais je me rends compte du bonheur que ce serait d'être seul sur l'eau, avec juste ce petit bruit de carène. Avec un GPS pour être certain d'être à ma place, un sondeur de la profondeur sous la coque … Un bon peu - c'est de l'auvergnat - de compétence supplémentaire aussi, à acquérir dans un club ou avec un voileux de rencontre. 

mardi 27 septembre 2016

Une chasse si facile

La quête importe plus que la prise, ignore parfois le chasseur. Néanmoins, la chasse comme l'amour ne peut se contenter toujours de promesses.

Maman bébé, à la manière d' une toile...

Après une bredouille royale en solitaire- mais bredouille quand même- la semaine précédente, j'étais accompagné ce mardi de septembre d'un jeune chasseur dont les bras et les jambes m'étaient indispensables pour rapporter ma prise encore toute putative. Nous avons trouvé une météo juste moyenne, mais je savais le brouillard un allié de choix s'il voulait bien jouer dans mon camp. Connaître ses intentions, ou celles de Diane, est une autre gageure mais en gros, il allait plus probablement se lever que s'épaissir. Et m'aider peut-être à trouver les chamois à leur insu. Voir sans être vu, c'est plus de la moitié d'une chasse réussie.

Diane m'avait vraiment à la bonne ce jour-là : nous avons avancé, parfois masqués par la brume, sur près de deux kilomètres à flanc d'une montagne parfois cachée, parfois découverte. Et bingo ! Nous sommes arrivés au-dessus d'une chevrée qui tenait le creux d'une combe. A cent mètres. S'allonger, trouver la bonne position, le bon animal, installer le bipied de la carabine. Tir facile, l'animal touché parcourt quelques mètres et tombe mort.

l'animal de droite sera le premier à présenter son profil ...



Après une éviscération toujours aussi maladroite, nous enfournons le bouc dans le grand sac et Maxime m'éblouit : les trente-deux kilogrammes sur son dos, vingt-huit de l'animal et quatre du sac et ses accessoires, ne l'empêchent pas de me distancer lorsqu'il n'y prend garde. Le retour se fait en une petite heure.

Maxime et le bouc 


Comme c'est facile, la chasse au chamois, direz-vous. Ah les animaux impossibles à approcher, les retours dans la nuit semblent soudain des légendes … Fort de mon inestimable succès, j'accompagne deux jours plus tard un troisième chasseur venu chercher un cabri, un éterlou ou un bouc. Cette fois le soleil est radieux, et des chamois sont observés d'entrée. Mais eux aussi nous observent … ce qui n'est pas idéal. Nous suivons le même cheminement que l'avant-veille. Sauf que la luminosité ne nous aide pas, et que surtout, les chamois ne sont pas au bas des ondulations du terrain, mais quasi aux sommets. Mais jamais du bon côté du relief.


Merveilleux chamois



Nous les apercevons à trois cents mètres environ … et eux nous rendent la pareille. Impossible de réduire la distance dans ses conditions. Ils sont prudents, et quand après quelques hectomètres courbés et cachés nous pointons notre frimousse au-dessus d'un rocher, ils ne sont plus là, mais deux ou trois cents mètres plus loin. C'est mal barré ; alors nous montons en crête et avançons à nouveau après une pose de récupération. Nouvelle petite chevrée à cent cinquante mètres. Cette fois sera t'elle la bonne ? Nous détaillons les animaux. Pas de bouc, mais éterlous et cabris sont présents parmi les femelles adultes. J'encourage Didier à tirer : cent-cinquante mètres n'est pas la mer à boire. Il préfère attendre, il approche encore : cent mètres. Mais les éterlous ne sont plus en vision, ayant basculé un peu dans la pente. J'aime ces moments tout en tension où tout va se conclure pour le meilleur, ou le pire. Pire qui est de blesser ... Un cabri offre enfin son profil et Didier le manque (le film du tir le montre clairement). Probablement une lunette déréglée : les chocs sont fréquents en montagne ; ils passent parfois inaperçus, mais ne sont pas toujours sans conséquence sur le réglage.


Sorbiers en beauté

Ce fut une belle chasse, avec de belles approches. Trois mouflons ont été observés au début de la chasse, et nous avons entendus des brames. Bilan globalement très positif, donc.

Pour varier les plaisirs, je m'accorde alors deux jours de chasse en battue au sanglier dans le midi, le samedi et le dimanche. Mais ma déesse, en matière de sanglier, rarement m'est favorable, malgré ma vaine menace de tourner mes prières vers Saint-Hubert ... Cette fois ne sera pas meilleure, et le weekend verra pour les quinze participants une double bredouille. Deux sangliers sont manqués le samedi, et il n'y aura pas de tir le dimanche. Les sangliers ont couru, les chiens ont joué leur partition, les postés ont attendu. J'avais un brocard à tirer et j'ai fait deux petites balades d'avant ou d'après battue, sans succès. Seules des femelles se sont montrées le samedi soir et le dimanche matin.


Veine et déveine. Et les légumes, c'est excellent, à ce que l'on dit …